Le célèbre buste de Néfertiti exposé à Berlin n’est-il qu’un vulgaire moulage moderne ? Ce ne serait pas la première œuvre à susciter des interrogations… Pourtant, grâce à leurs instruments high-tech, les experts sont presque toujours capables de distinguer le vrai du faux.
Bernadette Arnaud
L’histoire fera-t-elle de nouveau « perdre la tête » à une reine ?
Tout juste rénové, le Neues Museum de Berlin, qui rouvre ses portes ce mois-ci, devrait présenter à des milliers de visiteurs séduits le célèbre buste de la souveraine égyptienne Néfertiti, trésor de ses collections antiques. La tête sculptée à l’altière beauté, vieille de 3400 ans, sera présentée seule, au centre d’une salle à coupole, à l’abri d’une vitrine. Pourtant, une récente publication a jeté un pavé dans la mare* : le chef-d’œuvre millénaire ne serait qu’un vulgaire moulage du début du XXᵉ siècle ! Le buste aurait été fabriqué en 1912 en Égypte, sur le chantier même où il est censé avoir été découvert, à la demande de l’archéologue allemand Ludwig Borchardt qui souhaitait faire des tests de polychromie. Un banal quiproquo serait ensuite à l’origine de l’imbroglio, l’archéologue n’osant démentir l’authenticité de la pièce. Cette version, jamais étayée, est fermement contestée par les responsables du musée berlinois. Pourtant, si l’histoire était avérée, le buste de Néfertiti ne serait pas le premier faux à avoir rejoint des collections officielles ! Dans un entretien accordé en 2008 au quotidien Le Monde, Susan La Niece, conservatrice au British Museum, reconnaissait que « beaucoup de faux se trouvent dans les collections ».Le marché de la contrefaçon ne s’est d’ailleurs jamais aussi bien porté. Un indice, en Italie : les saisies d’œuvres contrefaites y auraient augmenté de 36 % l’an dernier.Une tendance que confirme Gilles Perrault, spécialiste français en contrefaçon artistique. Dans le laboratoire privé qu’il dirige à Paris, ses équipes traquent les falsifications à la demande de la police, des tribunaux ou de particuliers.« L’expertise de papa, c’est fini ! Les investigateurs doivent se familiariser avec les techniques d’analyse scientifique, les seules à même de déceler à coup sûr les faux. Notre travail est une somme d’études stylistiques, techniques, scientifiques et historiques. Il faut prendre conscience que tout ce qui a été réalisé par l’homme peut être copié. Un bon faussaire y arrive toujours », affirme cet ancien restaurateur des musées nationaux, diplômé de l’École Boulle et des centres de restauration de Venise (Pro Venetia Viva) et de Rome (Iccrom, Institut international d’études pour la conservation et la restauration). Même si les statistiques restent évidemment imprécises, la quantité de faux présents sur le marché serait hallucinante. Une réalité dérangeante que personne n’aime vraiment aborder dans le monde très feutré des beaux-arts et de la culture, de peur du scandale et surtout, de crainte de voir fuir les acheteurs potentiels. « Il existe des centaines de fausses sculptures de Rodin ou de Giacometti ! », précise celui qui est aussi expert agréé auprès de la Cour de cassation de Paris. Pour preuve, en août, la police allemande a saisi un millier de fausses sculptures d’Alberto Giacometti qu’un réseau d’escrocs tentait de vendre 10 millions d’euros pièce. « De tout temps, ont été forgés des faux, poursuit l’expert. Toute la nuance consiste pour nous à distinguer la main d’un artiste de celle d’un faussaire dont l’intention est de tromper. » Ainsi, chaque année, près de 150 œuvres passent sous les microscopes binoculaires ou les analyseurs laser de son cabinet d’investigation. Et la découverte d’une copie est souvent source de drame. Ainsi cette famille, convaincue de posséder une toile de maître depuis des générations, qui apprend qu’un aïeul indélicat l’avait vendue et remplacée par une copie pour éponger une dette. Les reproduction pouvant être d’excellente facture, elles vieillissent de la même façon que le ferait l’œuvre originale, leurrant ainsi des générations entières d’amateurs. Ces révélations ne sont d’ailleurs pas toujours exemptes de risque.« Travailler avec les ressortissants de certains pays de l’Est se révèle parfois très délicat… », lance Gilles Perrault, faisant allusion aux activités des mafias qui investissent sur le marché spéculatif de l’art.Menaces et intimidations ne sont jamais bien loin quand une tentative d’arnaque est mise au jour. Démasqué, le propriétaire d’une œuvre analysée peut accuser le laboratoire d’avoir remplacé son prétendu chef-d’œuvre par une copie ! D’où les précautions légales prises lors du dépôt des œuvres. Mais « sous le microscope, l’analyse est quasi infaillible », affirme Gilles Perrault. Après un premier examen optique, les toiles sont passées sous les rayons ultraviolets. Ce procédé permet de faire apparaître les restaurations récentes et les falsifications effectuées depuis moins de cinquante ans. Pour localiser des interventions plus anciennes, au-delà du siècle, on utilisera plutôt la réflectographie infrarouge, une technique qui permet également de retrouver tous les dessins sous-jacents. D’une longueur d’onde supérieure à celle des ultraviolets, les rayonnements infrarouges pénètrent en effet davantage la matière. « Les repentirs des créateurs sont toujours recherchés, car ils nous permettent aussi de voir si l’artiste a modifié son tableau en cours de réalisation », précise Gilles Perrault. En passant de l’autre côté du spectre de la lumière avec des rayons plus courts, les radiographies à rayons X permettent également de traverser la matière. Il est possible d’aller au cœur de la toile, d’atteindre la trame et de voir ainsi surgir les conditions de naissance de l’œuvre et d’identifier sa touche picturale. « C’est un examen important pour déceler aussi la part qui revient à un maître ou bien à un élève », poursuit le spécialiste.Sans compter qu’aux XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles, la mode du rajout a parfois considérablement transformé certaines œuvres. Fleurs supplémentaires dans des coiffures, tentures modifiées, décors réaménagés, vêtements retouchés… Des microprélèvements faits sous binoculaire permettront justement d’étudier la stratigraphie de ces couches picturales.
Passés au microscope électronique à balayage, les échantillons n’auront plus de secrets. Une touche rouge d’un demi-micromètre de diamètre grossie 400 000 fois sera peut-être le grain de sable qui trahira l’intervention d’un faussaire. Avec, par exemple, la présence décelée dans des couches d’origine d’un pigment qui n’existait pas à l’époque où le tableau est censé avoir été peint. Cela peut être la trace infime laissée par le pinceau mal nettoyé de l’escroc… « C’est cette accumulation d’indices qui nous met sur la voie d’une œuvre falsifiée », dit Gilles Perrault. De même pour les sculptures. « Bien sûr, l’œil d’un connaisseur sera toujours irremplaçable pour distinguer un bronze de Rembrandt, Bugatti, Bourdelle ou Pompon. Mais seul l’apport de l’examen scientifique pourra conforter l’authenticité de la pièce », précise Gilles Perrault. Et il se remémore l’anecdote de ce cheval chinois plus vrai que nature. L’ancienneté de la sculpture en terre cuite d’époque Tang (618-907) avait été confirmée par des analyses de thermoluminescence, l’objet ayant été effectivement modelé à partir de briques prélevées sur des monuments antiques ! Un second examen par tomographie a permis de prouver à son propriétaire qu’il s’agissait d’un faux contemporain : à l’écran, sont apparues à l’intérieur de l’œuvre plusieurs armatures métalliques modernes servant à maintenir les pattes de l’animal. Une preuve définitive de la contrefaçon. « Je milite pour l’instauration d’un constat d’État avant chaque transaction, ce que les anglophones appellent un Condition Report », déclare l’expert. Avec ce certificat d’authenticité, les acheteurs auraient une garantie à vie. « Si le faux a de beaux jours devant lui, ce n’est pas une raison pour ne pas le combattre inlassablement avec des moyens toujours plus modernes. » À ce titre, la National Gallery de Londres prépare pour 2010 une importante exposition sur les contrefaçons dans l’art intitulée : “Examen rapproché : faux, erreurs et découvertes.”
Pour en savoir plus
Le Buste de Néfertiti. Une imposture de l’égyptologie ? Henri Stierlin, In Folio, 2009.
De main de maître. L’artiste et le faux, ouvrage collectif, introduction Henri Loyrette, 2009, Éditions Hazan.