Dans ce numéro, Beaux Arts Magazine consacre un focus aux outils scientifiques de lutte contre les faux et à l’authentification des œuvres. Le laboratoire de Gilles Perrault y est présenté comme une référence dans ce domaine, utilisant des méthodes d’analyse physico-chimique (microscopie, spectroscopie, études de pigments et d’alliages) pour établir la datation et l’authenticité des pièces. L’article souligne que son équipe allie rigueur scientifique et expertise historique, permettant de déjouer des contrefaçons parfois très sophistiquées et d’apporter une sécurité supplémentaire aux musées, aux collectionneurs et au marché de l’art.
Malika Bauwens
Les nouveaux Sherlock Holmes de l’art
Entre analyses scientifiques et technologies numériques
Fini l’heureuse époque de la traque « à l’ancienne » ! La « veille » artistique est maintenant de rigueur avec ses instruments de haute technologie qui pourraient bien révéler de nouvelles falsifications et ébranler quelques certitudes sur des œuvres réputées vraies.
Un matin de juillet. Les iris de Montréal sont en fleur et Alain Lacoursière est installé derrière son ordinateur. C’est un bonhomme frêle d’une cinquantaine d’années qui a conservé la crinière folle de sa jeunesse psyché et porte un costume sombre, plus raccord avec son rôle de flic. Confortablement installé depuis deux bonnes heures, le sergent-détective traque les magouilles sur écran. Quand Lacoursière n’est pas dans les vernissages ou en planque devant l’atelier d’un présumé fraudeur, il nourrit son « bébé », un système d’alerte de trafic d’œuvres d’art fonctionnant par e-mails, développé avec Jean-François Talbot, son collègue. Art Alerte est un gigantesque Bottin d’artistes et de tableaux, une liste de transactions et de rapports de vols, un répertoire des galeries, des marchés aux puces et une mine d’informations sur les réseaux criminels… À chaque fois que s’ajoute une note pertinente (par exemple, une vente suspecte, un Picasso bradé ou une toile de petit maître surestimée), un e-mail est envoyé à des policiers, conservateurs, historiens de l’art, avocats, maisons de ventes, antiquaires… Faussaires, tenez-vous à carreau ! Le Colombo de l’art vous file. Et sa meilleure taupe est votre adresse IP. Art Alerte a aussi fait des émules chez Interpol et Scotland Yard, qui ont développé un outil de ce genre. « Même si les lois québécoises et canadiennes sont moins sévères que dans d’autres pays, notre taux de récupération de fausses œuvres d’art vendues frauduleusement est plus important au Québec que partout ailleurs grâce à Art Alerte », assure le sergent-détective Lacoursière. Après un passage dans les « escouades spéciales » du centre-ville, où il a travaillé comme « agent double », Lacoursière s’est mué en chevalier blanc des arts après un séjour à Paris en 1989. Depuis, avec son unité de Montréal, il piège les marchands peu scrupuleux, ironise sur une bonne partie de l’establishment artistique, dévoile les magouilles des mafias, démonte les blanchiments d’argent liés aux fausses œuvres d’art, comme ceux perpétrés par les Hells Angels. Il n’y a pas longtemps, le fin limier a fait une belle prise au musée des Beaux-Arts de Montréal, entre deux petits fours : « Ça faisait longtemps que je le connaissais. Après le vernissage, je lui ai dit : “Maurice, j’ai un mandat d’arrestation contre toi” », raconte-t-il avec le flegme d’Hercule Poirot dans le Meurtre de Roger Ackroyd.
Prêcher le faux pour savoir le vrai
Des épilogues de romans comme celui-là, Gilles Perrault, expert en objets d’art à Paris, pourrait aussi vous en écrire. Dans son laboratoire de la rue de la Paix, cet ancien restaurateur des musées nationaux et son équipe de quatre personnes observent au microscope, passent au scanner ou aux rayons X sculptures en bronze, plâtres et bois, tableaux ou mobiliers, toutes époques confondues. Avec une centaine d’affaires judiciaires traitées par son cabinet depuis 1995, il connaît bien les ficelles des trafiquants de faux. Mais il invoque son droit de réserve lorsqu’il revient sur l’affaire Guy Hain, à la fin des années 1990. L’un des plus importants trafics de contrefaçons de ces dernières années portait sur plus de 6 000 sculptures, d’une valeur totale estimée à 130 millions de francs. Seul un tiers en a été retrouvé. Gilles Perrault a expertisé quelque 2 500 bronzes et plâtres placés sous scellés : l’œuvre originale ou contrefaite de 98 artistes dont des Rodin, Maillol, Claudel, Bourdelle, Barye, Carpeaux… Tous dispersés dans des foires internationales ou en ventes publiques. L’expertise judiciaire du cabinet Perrault aura duré un an. En 2001, au procès de Besançon, les résultats des analyses tombent. Elles conduiront Hain directement derrière les barreaux pour quatre ans. La facture des frais de justice est salée : 1,5 million de francs. Car les écoutes et les preuves irréfutables apportées par la science ont un prix : « Si je change le microscope électronique, cela me coûte 200 000 euros ! » La Justice s’est remboursée en revendant aux enchères des œuvres originales saisies chez Hain par les douaniers au triple du coût de l’expertise. La croissance exponentielle des prix sur le marché de l’art a entraîné une floraison de faux. Ce dessin de Michel-Ange que votre grand-mère vous a légué en héritage pourrait bien en être un. « La seule analyse stylistique n’est plus suffisante aujourd’hui. L’expert doit se familiariser avec les techniques d’analyse scientifique », insiste Gilles Perrault, stigmatisant « l’expertise de grand-papa », uniquement fondée sur l’examen visuel. Sans l’analyse par micro-fluorescence X mettant en évidence une forte présence de zinc dans les fonds jaunes, cette étude — prétendument de Rubens — aurait-elle été démasquée ? Contrebande, corruption, faux certificats et tutti quanti. Du côté de la police ou des professionnels du monde de l’art, chacun doit s’adapter aujourd’hui aux ruses, de plus en plus sophistiquées, des faussaires pour commettre le crime parfait. Le prochain challenge aura lieu avec la Chine, qui peaufine très vite, d’année en année, sa patte de plagiaire. Messieurs Lacoursière et Perrault les attendent de pied ferme : eux ont déjà troqué leur casquette de Sherlock Holmes pour le microscope à balayage et la base de données informatiques de Cold Case.
Sous le faux, un vrai !
Qui mieux qu’un atelier de restauration et de copie pourra déceler le faux ? La contrefaçon a tout à craindre désormais de la science, qui peut révéler des surprises. Pour preuve, cette expertise réalisée par le Cabinet Gilles Perrault, à Paris, en 2009.
Les faussaires, de plus en plus habiles, donnent bien du fil à retordre aux historiens de l’art, même aux plus chevronnés. Les méthodes d’analyse scientifique, dont les progrès ont été considérables ces vingt dernières années, aident à débusquer les contrefaçons. À première vue, cet Autoportrait d’Albrecht Dürer a l’air authentique : le tableau est bien craquelé et porte le monogramme A.D. L’émotion est grande lorsque vous songez à une possible découverte… Supercherie ! Pour vous rouler, les escrocs sont prêts à tout, et ce faux en est un exemple parfait. Une toile anciennement peinte que l’on a « surpeinte » au XIXᵉ siècle en ajoutant fausses signatures et craquelures artificielles, matières grattées et pseudo-restaurations… Le tricheur a cru qu’en réutilisant un vieux châssis daté du XVIIᵉ siècle son œuvre ferait illusion. C’était compter sans les analyses scientifiques. Car rien n’échappe aux experts en blouse blanche, pas même un tableau de l’École allemande, un authentique trésor qui, caché sous le faux Dürer, attendait que la vérité éclate au grand jour !
Dürer sous ultraviolet et infrarouge
À LIRE SUR LE FAUX
De main de maître – L’artiste et le faux, Collectif, actes du colloque qui s’est tenu au musée du Louvre en 2004, Éd. Hazan, 2009.
Otto Kurz, Faux et faussaires, Éd. Flammarion, 1983.
Michel Laclotte, Copies, répliques, pastiches, Éd. RMN, 1973.
Emmanuel Le Roy Ladurie, Vrai ou faux ?, Éd. Bibliothèque nationale, 1991.