Deux amis affirment avoir acheté un Van Gogh dans une vente aux enchères. L’œuvre sera présenté en novembre à Paris.
Philippe Motta
« C’est un Van Gogh, j’en suis persuadé. Nous avons une certitude scientifique. L’étape de l’authentification définitive s’annonce beaucoup trop complexe et coûteuse pour nous. C’est pourquoi nous révélons l’existence de ce tableau. »
Un Van Gogh encore inconnu ? Bertrand Lusse et Claude Lyon sont « quasiment certains » que le destin leur a fait un signe. Un dimanche de 1987, ces deux amis qui se disent « un peu amateurs d’art », passent une journée à la campagne, près de Toulouse. Ils se rendent par hasard à une vente aux enchères.
Les mêmes pigments
Un lot de sept ou huit tableaux est proposé, parmi lesquels deux toiles seulement les intéressent. Pour « environ 12 000 francs », ils remportent la mise. « Ce tableau ne m’intéressait pas vraiment, il est resté près de trois ans chez moi, dans un recoin », explique Bertrand Lusse. Un jour de 1990, pourtant, « sans trop savoir pourquoi », il exhume la toile oubliée et l’examine.
Je n’ai pas eu d’émotion particulière en regardant ce paysage. » En revanche, quand il tourne le tableau, Bertrand Lusse aperçoit une inscription floue sous le cadre : « Vincent », suivie d’une date qui pourrait être 1882 ou 1887. Il se documente et constate que Van Gogh signait parfois ses tableaux ainsi – surtout en cette période.
« Je n’y ai pas cru, dit-il, mais j’ai senti qu’il fallait engager une démarche. » Avec Claude Lyon, il décide de « tenter un gros coup » et soumettent l’œuvre à un expert parisien internationalement réputé, Gilles Perrault.
Son examen est strictement scientifique. D’abord, la signature : « Faite avec une encre utilisée couramment au XIXᵉ siècle et déposée à la plume métallique », « la date, 1882 », « le châssis est cloué de façon très rudimentaire », « la peinture est appliquée directement sur une toile dédoublée, préalablement enduite d’une couche pouvant être de la colle de peau. » Gilles Perrault préconise « une analyse de cette couche organique ».
Dans ses conclusions, l’expert est catégorique : « Tous ces pigments ont été trouvés dans d’autres tableaux de Van Gogh (…). Deux de ces pigments ont d’ailleurs été cités dans ses Lettres. » Gilles Perrault s’engage plus loin encore : le vert oxyde de chrome, le bleu cobalt, l’ocre rouge ont été trouvés dans Champ de blé avec cyprès, le jaune cadmium dans Self portrait (1886) et Still Life fruit (1887).
Dans un grand hôtel
Quand ces résultats leur sont assénés fin 1991, Claude Lyon et Bertrand Lusse trouvent vite de bonnes raisons d’espérer : « Van Gogh faisait lui-même ses peintures et couleurs. Il est peu probable qu’il les ait prêtées à un peintre. En outre, en 1882, il est en Hollande encore plus inconnu qu’avant son arrivée à Paris. Pourquoi quelqu’un aurait-il entrepris de l’imiter au point de contrefaire sa signature ? », plaident les deux amis.
Depuis cette date, leur vie a « un peu changé ». Ils tiennent à garder l’anonymat et utilisent des noms d’emprunt. Pour accéder au tableau, le parcours tient du jeu de piste entre Toulouse, Albi et un village de l’Hérault. C’est là, quelque part entre Sète et Béziers qu’il sera présenté, pour une promenade au milieu des vignes, avant de retourner au secret du coffre qui l’abrite.
Après avoir hésité, les deux amis ont décidé de lancer le tableau sur le marché. Son existence n’est connue que d’un cénacle de spécialistes fortunés. « Nous avons déjà des propositions à 15 millions de francs », assurent-ils.
L’étape suivante est la plus lourde, il faut évaluer l’esprit du tableau. Pour cela, on doit conjuguer des données historiques, des références techniques et des appréciations esthétiques. C’est du domaine exclusif de la Fondation Van Gogh », admet Bertrand Lusse.
Les 17 et 18 novembre prochains, les deux « découvreurs », présenteront officiellement la toile dans les salons d’un grand hôtel parisien. Les investisseurs sont les premiers invités. Pour les deux Toulousains, une aventure s’achève, c’est certain ; une polémique commence, c’est probable.