Le documentariste Jean-Luc Léon signe un délicieux portrait de Guy Ribes, le plus grand et le plus prolifique faussaire français, qui inonda le marché de l’art pendant trente ans.
Camille Larbey
Avec sa pipe, son chapeau, son trench-coat et son langage fleuri, Guy Ribes semble tout droit sorti d’un roman noir. À cela s’ajoute une profession digne du meilleur polar : faussaire. Ex-faussaire, pour être exact. Tombé en 2005 pour contrefaçon en bande organisée, il écope de trois ans de prison, dont deux avec sursis. Au cours du procès, l’expert en art Gilles Perrault, venu témoigner, déclare : « Je suis déjà intervenu dans beaucoup de dossiers de ce genre, mais je n’ai encore jamais vu un faussaire avec une telle palette d’artistes. Si Picasso était encore vivant, il l’embaucherait. » Le documentaire Un vrai faussaire retrace le parcours d’un homme qui mit son génie au service de l’entourloupe. Impossible de savoir combien de faux cet as des pinceaux a produits. Plusieurs milliers, certainement. Parmi cette longue liste, des Miró, Matisse, Picasso, Renoir, Le Corbusier, Degas, Braque, Vuillard, Dufy… Chaque faussaire a son propre mode opératoire. Wolfgang Beltracchi, célèbre contrefacteur allemand écroué en 2010, peignait des tableaux considérés comme disparus sous le IIIᵉ Reich. Guy Ribes, lui, ne fait ni une reconstitution, ni une copie stricto sensu, mais une variation de l’œuvre. Quand Picasso peint une suite de trente tableaux, celui-ci en réalise un trentième et unième, censé s’intégrer à cette série. Le secret pour réussir une bonne duperie ? Elle ne doit être, selon l’aveu du faussaire, « ni trop belle, ni trop moche », afin de ne pas éveiller l’attention de l’expert. A ce jeu-là , notre homme est devenu un maître. Sous l’œil de la caméra, il invente une encre de Chine à la plume, façon Picasso des années 1910-1915 ! Son extraordinaire tour de main s’exprime en direct. Lorsqu’une goutte d’encre tombe malencontreusement sur le carton, il maquille l’erreur comme s’il s’agissait d’un véritable repentir du Malaguène. « Le motif n’est pas difficile à faire », confie-t-il, gouailleur. « Le plus dur est de rechoper le rythme, qu’il y ait l’âme, et de savoir arrêter le tableau. » Guy Ribes dévoile aussi quelques procédés pour berner les experts. Par exemple, il achetait des vieilles gravures des années 1950 dans le seul but de récupérer la poussière restée prisonnière sous le verre, et la disperser ensuite sur ses faux. À un moment du film, sa version des faits diverge avec celle du commandant Marten Perolin, responsable de son arrestation. Le réalisateur Jean-Luc Léon n’est pas dupe, ayant avant tout affaire à un faussaire… Dans son documentaire Vérités et mensonges (1973), consacré à un autre mystificateur, Elmyr de Hory, Orson Welles prévenait le spectateur : « Attention à ce que l’on nous raconte ! » Les récits des faussaires sont parfois aussi “vrais” que leurs œuvres. « Finalement, peu importe la vérité, seule l’émotion du public doit primer », commente Jean-Luc Léon, poursuivant : « Nous savons que se trouvent dans les grands musées des tableaux qui ne sont pas l’œuvre de tel ou tel peintre célèbre. Et alors ? S’ils fabriquent des émotions ! Je ne suis pas fétichiste. Ce n’est pas parce que le peintre n’a pas touché la toile qu’il n’a pas mis son empreinte, que l’œuvre en a moins de valeur émotionnelle ou esthétique. » Guy Ribes a un temps mené la grande vie, fréquenté les casinos et les hôtels de luxe, avant de tout perdre. Aujourd’hui, il s’est « rangé des voitures », comme disent les voyous. Toutefois, il n’a pas raccroché les pinceaux. Il peint des œuvres sous son propre nom et produit encore des copies, en toute légalité cette fois-ci : en 2012, il a réalisé des toiles pour les besoins du film Renoir, de Gilles Bourdos, où il doublait également les mains de Michel Bouquet lorsque l’interprète du rôle-titre était censé peindre. Régulièrement, sa longue carrière clandestine resurgit quand il feuillette un catalogue raisonné de tel ou tel peintre et tombe sur l’une de ses productions. Mais ne comptez pas sur lui pour s’étendre dessus… Il aime à le rappeler : « Un bon faux, on n’en entend plus jamais parler ! »