Justice. Une œuvre « antique » vendue il y a six ans à Paris serait en réalité une « reproduction moderne ». L’affaire sera rejugée en appel.
Vincent Noce
Chakib Eldrissi-Slitine, le principal expert en archéologie de la place parisienne, a bien du souci avec la justice. Après l’annulation de l’adjudication d’une statue contestée du pharaon Sésostris III aux époux Pinault, le tribunal de Paris vient d’annuler une autre vente pour laquelle il avait expertisé un bronze prétendument antique. Deux semaines plus tôt, il s’était retrouvé en correctionnelle avec les protagonistes de cette vente, accusé d’avoir participé à une escroquerie, ce qu’il nie. Deux ans d’emprisonnement avec sursis ont été requis contre lui, demande qualifiée d’« aberrante » par son défenseur, Me Matthieu Gibert, qui affirme que Slitine « n’avait aucun lien avec le principal organisateur de l’escroquerie ».
Le 16 décembre 2004, dans une vente aux enchères organisée par le Crédit municipal de Paris, un collectionneur a acquis pour 1,8 million d’euros un Satyre portant Bacchus, authentifié par Slitine comme une statue du Ier siècle avant notre ère. La somme parait délirante. Mais l’expert l’avait cataloguée comme un rarissime d’art hellénistique, un chef-d’œuvre de l’art antique. « Nous ne connaissons pas d’exemplaire similaire en bronze de taille aussi exceptionnelle qui nous soit parvenu dans un aussi bon état de conservation », s’enthousiasmait-il. Et pour cause peut-être, puisqu’une expertise judiciaire a établi qu’il s’agissait d’une « reproduction moderne », dont la réalisation est liée à l’histoire des collections Farnèse, objet en ce moment d’une exposition dans leur palais, à Rome. Cette fonte reprend en effet un des célèbres marbres qu’Alexandre Farnèse, devenu pape, avait récupérés lors des fouilles de la cité impériale dans les années 1540.
« Faute ». Mais, sortie de terre abîmée, la sculpture n’avait pas alors la même tête. Comme d’autres, elle a été remaniée quand les héritiers les ont déménagées à Naples. Dans les années 1780, ils ont ainsi employé un sculpteur, Carlo Albacini, qui a modifié ou ajouté les parties cassées, dont les têtes et un bras. La statue recomposée est toujours visible au musée de Naples, aux côtés des Hercule et Gladiateur des Farnèse. Or c’est bien cette effigie, et non pas l’original romain, encore moins son prédécesseur « hellénistique », qui a été proposée comme un chef-d’œuvre de l’art antique.
Gilles Perrault, dans son laboratoire parisien, a trouvé des alliages et des vis qui n’existaient pas dans l’Antiquité. Techniquement, la statue ne répond pour lui à aucune des caractéristiques des bronzes grecs ou romains, même si la patine pouvait faire illusion. Selon Alain Pasquier, le chef du département gréco-romain au Louvre qui a signé avec lui l’expertise judiciaire, il ne fait aucun doute que le bronze est «une reproduction mécanique». Ils ont même retrouvé à la fonderie Chiaruzzi de Naples les catalogues de vente dans lesquels elle proposait tout au long du XIXe siècle des copies en bronze, comme celle réapparue - en si «bon état» - au Crédit municipal.
En dépit des dénégations de l’expert, qui excipe d’avis contraires sur la corrosion, le tribunal n’a fait aucune difficulté pour annuler la vente, en soulignant «la faute commise par Slitine», qui «estimait l’oeuvre, après authentification sans réserves, à une valeur comprise entre 3 et 3,5 millions d’euros».
«Négligence». Le procès va être rejoué en appel, notamment parce que le remboursement est imputé uniquement à la personne qui avait mis l’objet en gage au Crédit municipal. Alors même que le jugement relève «fautes» et «négligence» des organisateurs de la vente, qui n’ont pas effectué les diligences nécessaires sur une opération à l’origine très trouble.
Car l’affaire est beaucoup plus grave, si l’on en croit les termes de l’accusation portée pendant deux jours fin novembre devant le tribunal correctionnel de Paris, où toute la vente de 24 objets archéologiques a été présentée comme un montage en vue d’escroquer le Crédit municipal. Le jugement sera rendu le 16 février.