Un des plus beaux exemples du mobilier empire de goût égyptien, conservé à l’ambassade de Grande-Bretagne, le lit d’apparat de Pauline Borghèse peut de nouveau aujourd’hui être admiré, grâce à une restauration scientifique de ses bois dorés. Découvrons ici son histoire et les étapes qui ont marqué sa restauration.
Louise Philippe et Gilles Perrault
Pauline Borghèse, sœur de l’Empereur Napoléon Ier, a été immortalisée par Antonio Canova : la Vénus Victrix, une des sculptures les plus connues d’Europe, célèbre sa grâce et sa beauté. Pauline, née en 1780, est veuve à l’âge de 22 ans du général Leclerc. Très vite elle remarque le prince Camille Borghèse et décide de l’épouser moins de dix mois après son veuvage. En l’épousant, Pauline supplanta ses sœurs et demanda de mener une vie digne de son rang. Elle se montre dans tous les salons et décide de quitter sa maison du boulevard de Courcelles. Elle achète en 1809 aux héritiers du duc de Charost leur magnifique hôtel du Faubourg Saint-Honoré. Il lui coûte 400 000 francs et Napoléon lui donne 300 000 francs pour ses frais d’installation. La décoration est entièrement renouvelée et mise au goût du jour avec un mobilier « retour d’Égypte ».
L’HÔTEL CHAROST
Hôtel bâti au XVIIIᵉ siècle sur les plans d’Antoine Mazin et le plan tout à fait conventionnel des hôtels du XVIIIᵉ siècle. Après avoir franchi le portail et après avoir traversé une anti-chambre on monte au premier étage par l’escalier d’honneur. Au premier étage se succèdent tout d’abord une chambre, puis un salon, tirant son nom de la couleur des tentures, puis viennent la salle de bain, le grand salon vert meublé de nombreux fauteuils, d’une console Louis doré, d’une table à thé en marbre blanc, de deux candélabres à dix branches avec faisceaux d’armes. Le grand salon doré, dans lequel la reine reçoit les visites officielles. Puis arrive le salon bleu ou chambre. Le lit d’apparat surmonté de son dais est très probablement l’œuvre de Jacob, bien que non signé. Il fut livré par Chatard, marchand-mercier, doreur et fournisseur de la cour. Après la chute de Napoléon, l’hôtel est vendu pour 250 000 francs avec meubles et objets d’art et devient la propriété du gouvernement anglais. Un inventaire est dressé en 1814 et nous donne la description exacte de chaque pièce ; la chambre à coucher est décrite de la façon suivante : « Tenture en sept parties étoffe de soie bleue, brochée rosette en or, draperie en trois parties, cartisanes aux quatre coins, câbles frangés, cordons, huit glands, bordure au pourtour le tout en soie avec huit patères en cuivre doré tenant ladite tenture. Une couchette de bois sculpté et doré, figures bronzées de quatre pieds 6 pouces. Les deux dossiers en dedans de satin blanc et rosette d’or, et en dehors étoffe pareille à la tenture, galons et câble d’or et soie, la housse en toile écrue, la couchette portée par une estrade en moquette fond bleu jaspé et d’une housse de velours avec franges et or, un couronnement sculpté et doré d’un aigle doré qui le supporte, le fond en satin blanc frangé en or au pourtour garni en panache de vingt-six plumes. »
CHATARD PEINTRE DOREUR ET MARCHAND DU ROI
Chatard était « peintre-doreur et marchand du Roy » depuis 1780. C’est un des principaux marchands-merciers de l’Ancien régime. Après les troubles révolutionnaires, il eut les faveurs de la cour impériale et reçut, en 1805, la commande de Pauline Borghèse. Voici la liste des meubles qui figurent à la famille Chatard :
- Meuble d’un cabinet de la Reine aux Tuileries (1784).
- Fauteuil d’un académicien (Institut deFrance).
- Ottomane de Mme de Matignon à Versailles, cabinet de Louis XVI à Compiègne (1786).
- Fauteuils du contrôleur général Calonne (1786). Mme de Staël et Directoire. Finances à Versailles.
- Meuble d’une chambre chez Mme Élisabeth à Montreuil (1788).
- Salle du Trône de Louis XVI à Compiègne(1787).
- Fauteuils du Théâtre Montansier à Versailles.
- Table des Table des Bains de Louis XVI, Parc à Versailles (1781) (Château de Versailles).
- Meuble de Marie-Antoinette à Choisy (vers 1770) - Louvre.
- Meuble de Mme Élisabeth à Fontainebleau (1788) - Coll. du Comte de Ganay.
- Meuble du cabinet de Louis XVI à Compiègne (1783) - Louvre.
- Lit de bois doré de Louis XVI à Compiègne (1785) - Trans. F. Tristant.
- Plaque des yeux de Marie-Antoinette à Compiègne (1786-1787) (Château de Versailles).
- Salon turc de Mme d’Harcourt à Versailles (1787) - Louvre.
- Tapisserie de la chambre à coucher de Louis XVI à Versailles (1787) (Château de Versailles).
- Tapisserie de Marie-Antoinette à Versailles (1787).
- Fauteuils de Mme Élisabeth à Montreuil (1787).
- Lit d’académicien (Château de Versailles).
- Meuble de la chambre de Marie-Antoinette à Choisy (1788) - Musée des Arts Décoratifs. Copie des meubles de Fontainebleau.
- Meuble de la chambre de Marie-Antoinette à Choisy (1788) - Musée des Arts Décoratifs.
- Fauteuils de la chambre de Marie-Antoinette à Choisy (1788) - Musée des Arts Décoratifs.
Un décor exécuté par différentes mains
Au cours des décennies, le baldaquin fut transformé et le lit couvert de tentures au goût des ambassadrices. Jusqu’à dans les années 1980, les ambassadeurs continuèrent d’ailleurs à s’en servir comme lit. À l’investigation du dernier ambassadeur et de son épouse Lady Fretwell le lit a repris sa fonction d’origine. Sa restauration débuta en 1985. Pour déterminer l’authenticité de tous les éléments on se livra d’abord à des analyses microscopiques préalables. Les différentes parties du lit étaient en effet agencées de façon fantaisiste : l’aigle, par exemple, était perché sur le dôme du baldaquin depuis les modifications dues au passage de la reine Victoria. Grâce à la restauration, l’ensemble a pu être reconstitué tel qu’il était à sa création et l’analyse scientifique a prouvé que nous sommes en face des éléments d’origine malgré des factures différentes. Il était courant en effet qu’un meuble soit sculpté par plusieurs mains, spécialisées par ornement. Tel compagnon sculptait des acanthes, tel autre les fleurs ou les palmettes. Ceci se remarque particulièrement ici entre les culots de feuilles d’acanthes sculptés d’une façon très réaliste à la manière des frères Rousseau (qui travaillèrent à la fin du XVIIIᵉ et à qui l’on doit le cabinet de la chambre du roi et le cabinet de la musique de Marie-Antoinette à Versailles) et les rosaces et palmettes, beaucoup plus lourdes, typiques déjà du Premier empire. Le baldaquin rapporté dès l’origine a vraisemblablement été fourni par un atelier différent, ainsi que l’aigle sculpté par un animalier. Ce lit prouve donc, s’il en est encore besoin, que les métiers de l’ameublement se divisèrent au début du XIXᵉ s. en spécialités par souci de rentabilité annonçant ainsi l’ère industrielle.
L’étude scientifique
L’étude du bois a révélé l’utilisation de plusieurs essences choisies en fonction de leurs résistances mécaniques et de leur aptitude à la sculpture : le noyer pour l’ossature et les panneaux, le tilleul pour les cariatides, l’aigle et le baldaquin. L’étude microscopique des coupes de la dorure mit en évidence que les éléments sculptés par différentes mains comportaient à l’origine la même dorure. D’où nous en avons déduit que l’ensemble a été doré par un seul doreur et livré complet. Les coupes effectuées sur le lit ont permis de voir trois et parfois quatre dorures successives, la restauration la plus importante étant celle de 1881.
La restauration de 1881
Une importante restauration de dorure eut lieu en 1881 sous la direction de Radigue et Baume. Les feuilles d’or posées à l’eau sur deux couches d’assiette (voir lexique) et une d’apprêt empâtèrent beaucoup la dorure initiale tout en lui conservant l’éclat du métal, ce qui n’est pas le cas des dorures suivantes qui furent exécutées à la mixtion, puis à la poudre de bronze. Ces restaurations eurent pour effet d’alourdir considérablement le lit dont on ne distinguait plus la finesse d’exécution.
La restauration de 1881
Une restauration a pour but de remettre le meuble dans son état d’origine, il était donc nécessaire d’enlever les couches successives de dorure et de redonner les carnations originelles des quatre cariatides. Pour ce faire, des procédés tout à fait nouveaux furent employés. La première opération fut de fixer les écailles à la colle vinaigre (colle vinylique + 7 % d’acide acétique ce qui fait baisser la tensio-activité et facilite la pénétration entre les écailles), puis on procéda à un nettoyage à la diméthylformamide additionnée de 10 % de toluène, et à un gazage au bromure de méthyl, traitement curatif permettant d’éliminer tous les insectes xylophages.
La dernière action préventive fut l’application de paraloid sur les bois atteints par l’intérieur. Le nettoyage élimina la poussière et la crasse ainsi que la poudre de bronze et les dorures à la mixtion. Ces opérations terminées, commença le travail long et minutieux du dégagement de la peau des cariatides au scalpel sous binoculaire puis la réintégration des éclats à l’aquarelle. La réussite de cette intervention est l’exemple d’une coordination parfaite entre l’analyse scientifique et l’étude des documents historiques. Confronté aux textes de l’époque, l’auteur, grâce à de nouvelles techniques, a pu remettre dans son état d’origine le précieux lit de celle dont on a dit : « Elle est belle, elle est jolie, elle est rare, elle est ensemble la beauté et la grâce. Il n’y a pas de son corps une ligne qu’on puisse souhaiter différente, elle a des membres dont le moulage, cent ans après sa mort, lui fait encore des amants. »
Quelques termes à connaître
Encollage : couche de colle préparant le bois à recevoir les couches d’apprêt. Elle peut être légèrement teintée de blanc de Meudon (ou blanc d’Espagne) pour qu’on puisse vérifier si toute la surface a bien été couverte.
Apprêt : enduit tamponné entre le bois préalablement encollé et l’assiette, composé de 9 à 12 couches de colle de peau de lapin mélangée à la craie, blanc de Meudon, d’Espagne…
Assiette : terminologie employée par les doreurs français du XVIIIᵉ au XIXᵉ siècle. C’est une argile kaolinique provenant à l’origine d’Arménie ; elle sert « d’assise » à la feuille d’or et assure sa bonne adhésion.
Bolus : une argile très fine utilisée en siccative qui sert à apporter une épaisseur et donne la possibilité d’obtenir des reflets rouges ou noirs sous la dorure.
Mixtion : huile en siccative qui sert à appliquer la feuille d’or sur la surface apprêtée pour la dorure à la mixtion. Elle se différencie de la dorure à l’eau qui nécessite un lustrage. La mixtion apparaît à partir du XIXᵉ en substitution frauduleuse de la dorure à l’eau.
Poudre de bronze : ersatz de dorure utilisé à partir de la fin du XIXᵉ s. C’est un mélange de poudre de cuivre en suspension dans un vernis. Le cuivre en vieillissant s’oxyde et la « dorure » prend une teinte verdâtre.
Reparure : le doreur retravaillait à l’aide des fers à reparer (poinçons) pour que le sculpteur, donnant ainsi à celle-ci toute sa finesse et son élégance. La reparure permet de redonner toute leur vigueur et leur éclat initial aux ornements tels que feuillages ou fleurs.
Colle d’or en jaune : encollage léger à l’aide d’un jaune d’œuf battu et parfois sucré, permettant de fixer les apprêts sur les endroits trop profonds.
Brunissage : opération consistant en un passage de l’agate sur la feuille d’or afin de l’écraser et d’en faire sortir toute la brillance et l’éclat. Au XVIIIᵉ siècle on emploie aussi l’ivoire, l’hématite ou la pierre d’onyx.
Matage : opération inverse du brunissage, qui consiste à donner à la colle d’or un aspect mat en l’écrasant avec une pierre ponce. On mat même parfois des papiers bruns qui réussissent des dorures trop éclatantes.