Vrai ou Faux - L’expertise des objets d’arts et de collection. Mosaïque d’articles sur le dépistage des faux, réalisée par une trentaine de spécialistes de l’Union Française des Experts, unique en son genre, ce livre s’adresse aux néophytes, comme aux amateurs avertis. Il aborde des domaines aussi divers que les meubles, la céramique, les objets archéologiques, la peinture, les armes, le verre… montrant quels sont les indices permettant de déceler les faux et relatant l’histoire de faux célèbres. (L’Union Française des Experts – Editions L’Estampille / L’objet d’Art.)
Michel Rodrigue et Gilles Perrault
Avant de proposer une œuvre peinte, le commissaire-priseur et son expert, la galerie spécialisée, ou l’antiquaire auront évidemment procédé à l’examen complémentaire du tableau en soumettant celui-ci aux rayons ultraviolet. En effet parmi les méthodes d’examen que nous offre la technique pour l’étude des œuvres peintes, les radiations ultra-violettes constituent, de par leur facilité et leur maniabilité, un type d’examen utile pour donner un premier avis sur une œuvre. Cette manipulation non destructive permet, sans équipement onéreux ou élaboré, de renforcer ou d’affaiblir les présomptions d’authenticité et de considérer l’état de conservation.
Invention et propriétés
La radiation ultraviolette fut découverte par J.W. Ritter (1776-1810) en 1801. Elle fut développée au cours du XIXᵉ siècle par Stokes en 1862 et V. Schumann entre 1885 et 1903. En 1913, le physicien américain R. W. Wood (1868-1955) met au point un écran qui élimine les radiations issues du spectre visible et laisse uniquement passer les rayons U.V. Cet écran se compose de verres filtrant à l’oxyde de nickel qui sont ensuite adaptés à une lampe à vapeur de mercure basse pression. Il permet ainsi aux effets des radiations ultraviolettes d’être plus aisément observables à l’œil nu ; la lumière émise est bleue. Très vite cette invention, plus connue sous le nom de lampe de Wood, trouve des applications nombreuses et en particulier dans les analyses au premier degré des œuvres artistiques.
L’ultraviolet
Ce rayonnement est invisible à l’œil car il se situe immédiatement avant la lumière visible, à une longueur d’onde plus faible (de 400 à 100 nanomètres).
On divise le spectre ultraviolet en trois bandes très étroites : l’ultraviolet de grande longueur d’onde qui va de 320 à 400 nanomètres. Ce sont les ultraviolets transmis par le verre optique habituel constituant la plupart des lentilles photographiques. C’est donc une gamme des plus utiles pour la photographie en ultraviolet. L’ultraviolet moyen qui comprend des radiations d’environ 280 à 320 nanomètres. Une partie de cette bande de rayons ultraviolets (295 à 320 nanomètres) fait partie de la lumière solaire et est connue pour son action brunissante sur la peau humaine. Ces radiations ne sont pas transmises par les objectifs photographiques courants. L’ultraviolet de courte longueur d’onde va de 200 à 280 nanomètres environ. On appelle parfois cette bande “ultraviolet lointain”. Elle est utilisée pour son action germicide, mais elle provoque aussi des brûlures des yeux et de la peau non protégés. L’ensemble de ces radiations ont pour effet d’exciter les propriétés de certains corps contenues dans la matière picturale, ou la recouvrant, qui émettent alors une fluorescence lumineuse. Elles ne concernent que les structures superficielles de l’œuvre en raison de leur faible pénétration dans la matière. Elles font apparaître les accidents et les altérations de surface invisibles sous une lumière normale.
La fluorescence
Elle est produite lorsque certaines matières (solides, liquides ou gazeuses) sont soumises à une radiation électromagnétique de courte longueur d’onde. Ces matières émettent alors une autre radiation de longueur d’onde plus grande (une fluorescence de couleur bleu-violet) dans le spectre visible. Cette émission peut être utilisée tant pour l’examen à l’œil nu que pour la photographie de fluorescence. En plus des altérations et transformations, la fluorescence permet de caractériser la substance soumise au rayonnement, car la position spécifique de cette fluorescence dans le spectre visible donne des indices sur l’identité de cette substance (cf. tableau). Elle peut même créer un contraste entre les constituants d’un spécimen alors qu’ils paraissent identiques dans d’autres circonstances, ce qui permet d’affiner une analyse.
L’étude de l’œuvre
Les capacités de l’ultraviolet La fluorescence révèle les diverses transformations subies par une œuvre. Elle met en évidence les dévernissages et revernissages, les restaurations plus ou moins importantes et plus ou moins cachées, les craquelures comblées ou créées. Il est aussi possible de déceler certains pigments qui peuvent servir à dater ou authentifier une œuvre par l’intermédiaire de leur fluorescence caractéristique (cf. tableau)
Tableau de la fluorescence de certains pigments :
Couleur de la fluorescence | Pigments |
Brun rose | Blanc de plomb |
Bleu violet foncé | Blanc de titane extra |
Jaune chromé clair | Blanc de zinc |
Bleu violet foncé | Bleu d’outremer pur |
Bleu violet foncé | Bleu d’outremer succédané (bleu Victoria) |
Violet foncé | Dioxyde de titane pur |
Rouge foncé | Rouge de plomb pur |
Rouge orangé | Rouge de plomb succédané (laque rouge) |
Mais ceci réclame une grande expérience et une sérieuse documentation photographique. En outre elle fait apparaître les inscriptions maquillées, les reprises faites sur des signatures ou des écrits partiellement effacés. Dans ce domaine, la fluorescence est très utile dans le déchiffrement d’inscriptions que le temps a rendu illisibles ; en effet, il demeure souvent des traces d’encre plus fluorescentes que le support (couche picturale, toile, châssis…) qui apparaissent alors plus nettement. La cohérence et l’aspect homogène de la signature sous les radiations forment un des critères primordiaux de sa validité. Bien entendu, les réactions des différents pigments et vernis peuvent en rendre l’interprétation difficile.
Différents cas d’examens
Les restaurations plus ou moins récentes Plus les ajouts ou reprises sont contemporains, plus la fluorescence est activée. Elle va du violet “encre” au violacé jaune. Il en va de même des réparations, emplâtres, coutures et autres fissures. Les repeints par l’auteur de l’œuvre Il est parfois courant de rencontrer des œuvres restées en atelier et reprises des années plus tard, ou rapportées à l’auteur de son vivant pour modifications. Les goûts et les modes faisant, la clientèle parfois exigeait ces transformations. Il est également courant chez A. Lebourg, au cours des dix dernières années de sa vie, à Rouen, de l’avoir vu reprendre et modifier notablement de nombreuses œuvres. La fluorescence dans ce cas se présente sous une forme de camaïeux. Les repeints de pudeur ou de chromatismes La fluorescence est parfaitement localisée et en situations par rapport à l’objectif déterminé. Reprises sur le vernis, tonalités différentes de fluorescences Voir si elles correspondent à des zones chromatiques bien précises suivant les pigments (blanc, bleu outremer, rouge). Les parties vernies semblent absorber par leur couleur laiteuse la fluorescence, pour laisser apparaître nettement les reprises superficielles. Une fluorescence de vernis d’un vert laiteux pâle, pour une œuvre douteuse visionnée à l’œil nu, demande une exploration complémentaire et l’intervention quasi indispensable d’un expert. Les changements de format produisent des formes géométriques fluorescentes, fluorescentes aux angles, en particulier. Les traces géométriques sur la surface peuvent correspondre à des essais anciens ou récents de dévernissages provisoirement abandonnés.
Les signatures, inscriptions et datations La signature est en harmonie de fluorescence avec l’œuvre. La portion “contenant” la signature est légèrement plus sombre : il peut s’agir de parties mises en réserve par les restaurateurs qui précédemment n’ont pas dévernis, par mesure de précaution. La signature “saute aux yeux” d’une tonalité violacée, présomptions d’une signature rapportée (photos page précédente). La signature disparaît à l’examen et se trouve ainsi en contradiction avec le reste de l’œuvre : possibilité d’occultation. L’examen se pratique dans une pièce obscure.
Les vernis
De part leur fonction protectrice et esthétique, les vernis sont d’une importance évidente en matière de peinture. Leur absence, même partielle, ou leur faible épaisseur peut mettre en danger partie ou totalité d’une œuvre. Ils servent aussi à cacher, à voiler, ce qui pourrait en modifier la valeur. Les ultraviolets permettent d’éviter les erreurs d’évaluation et de juger, par l’intermédiaire du vernis, de l’état physique de l’œuvre.
Les vernis anciens Sous les radiations ultraviolettes, un tableau ancien recouvert d’un vernis homogène présentera une surface laiteuse, légèrement transparente, sur laquelle les moindres altérations auront l’aspect de taches plus ou moins sombres. Ces taches peuvent correspondre à des essais partiels de dévernissage : “fenêtres” ouvertes par un restaurateur, reconnaissables par leurs limites précises, de formes régulières. Elles ne doivent pas être confondues avec des repeints qui se signalent par une matière d’aspect homogène et une différence de qualité assez nette. Les revernissages anarchiques se remarquent par les différences d’intensité entre les vernis successifs employés, qu’ils soient superposés ou juxtaposés. Le cas le plus fréquent est celui d’une accumulation de vernis anciens qui donnent naissance à une fluorescence grise masquant l’état du tableau. La fluorescence des vernis anciens est cependant toujours différente de celle des vernis modernes. Plus la tache visible est sombre plus elle est récente.
Les vernis modernes Depuis la période impressionniste, nombre de peintres ont pris l’habitude de vernir très peu leurs œuvres, voire pas du tout. La lecture de leur surface est de ce fait plus ardue. En effet, les différentes plages colorées mises en rapport direct avec les radiations ultraviolettes, apparaissent plus ou moins foncées du fait de l’absence ou du manque de vernis. Elles sont dès lors difficiles à dissocier de repeints éventuels. Sauf de préciser la nature de certains pigments, l’éclairage par lumière ultraviolette de tableaux pas ou peu vernis ne fournit par conséquent que peu de renseignements. D’autre part, il faut savoir que la plupart des vernis modernes, composés d’acétate de cellulose, forment une couche légèrement jaune-vert rendant difficile toute lecture. Utilisé partiellement sur une œuvre ancienne, ce type de vernis peut être la trace d’une restauration. Mais il peut aussi être l’indice d’un maquillage volontaire cachant certains accidents graves, voire une écriture ou une signature. On trouve ainsi ce vernis couvrant sur certains faux. Nommé vernis anti-U.V., il contient de la fluorescéine qui donne une fluorescence homogène sur toute la surface du tableau et masque les repeints. Il est alors nécessaire d’employer les radiations plus pénétrantes tels le rayonnement infrarouge ou les rayons X pour mesurer l’étendue des restaurations ou l’importance du maquillage. Lorsque sur une plage qui apparaît en sombre il est impossible de discerner à la loupe ou au microscope aucun glacis suspect, aucun bouchage de craquelures, un dévernissage peut être envisagé.
Les repeints Les repeints apparaissent sous forme de taches sombres, de larges plages ou de petits points. Les repeints sur les peintures anciennes sont le plus souvent posés sur le vernis lui-même, pas ou peu retiré. S’il s’agit du travail d’un restaurateur, il a dans ce cas volontairement omis d’enlever le vernis sur toute sa profondeur par respect de l’œuvre et souci déontologique. Les restaurateurs actuels agissent de même en préservant le plus souvent possible la matière authentique de l’œuvre et faisant que leur travail puisse toujours être effacé et décelable. Dans un but de tromperie, le “restaurateur” fera un dévernissage total pour que la matière qu’il ajoute et la matière authentique se mêlent et soient indiscernables. Il faut alors procéder à des examens par infrarouge et rayons X. L’examen par infrarouge permet de voir le tableau plus en profondeur qu’avec les ultraviolets. On peut l’utiliser pour inspecter les glacis et les vernis, les pigments ; ainsi que les inscriptions et les signatures que le temps a fait disparaître ou qui ont été dissimulées ou remplacées par une autre. En photographie infrarouge, il montre le tableau tel qu’il était en cours de travail, débarrassé de ses dernières couches, de ses glacis et vernis. Les dessins sous-jacents, les repentirs ou les changements de composition sont aussi révélés. Les rayons X enregistrent les divers éléments de la technique picturale (esquisse, repentirs, changement de composition, la constitution du support, la structure interne du tableau…). Les appareils du type “lampe de WOOD” peuvent aider à préciser un avis sur une partie d’un tableau qui à l’œil nu semble avoir été élaboré d’une main et d’une technique différentes de celles du reste de l’œuvre. C’est le cas pour une faiblesse de tracé, une différence de coloration et d’empâtement, une usure locale ou une altération d’ordre mécanique. L’éclairage U.V. corrobore alors l’étude à priori et permet d’attribuer chaque partie du tableau, et de dire s’il y a eu volonté ou non de falsification.
Fluorescence des blancs
La fluorescence ultraviolette permet de distinguer également les blancs de plomb et les blancs d’argent, pigments anciens, qui apparaissent sous fluorescence avec une tonalité sombre ; ce qui les différencie du blanc de zinc, découvert et utilisé depuis 1780, d’où émane une fluorescence de teinte jaune-verte très lumineuse. Cette faculté aide à dater une œuvre.
La photographie de fluorescence U.V.
À des fins comparatives et documentaires, il est préférable de fixer sur un cliché photographique l’observation visuelle de la fluorescence U.V. C’est à partir de ce type de documentation que l’on peut affiner par expérience une analyse. L’objectif doit être recouvert d’un filtre qui absorbe toutes les radiations ultraviolettes et ne laisse passer que le spectre visible au-dessus de 400 nanomètres. Selon la qualité de la fluorescence émise, on utilise soit des films orthochromatiques, soit des films panchromatiques. Le temps de pose toujours long varie avec la rapidité de l’émulsion utilisée, la qualité et la quantité de l’éclairage (il est nécessaire d’empêcher toute autre source d’éclairage de frapper le sujet, cf. croquis), et la qualité de la fluorescence émise par le tableau. Toutes les lampes U.V. à basse ou à haute pression trouvent leur utilisation en prise de vue de fluorescence. Le choix dépend du format de l’œuvre à étudier. Les lampes à haute pression sont idéales pour éclairer de petites surfaces, les lampes basse pression (souvent appelées tubes à “lumière noire”) conviennent parfaitement pour les grandes surfaces. Une protection oculaire est nécessaire lors de la prise de vue, de même, lors d’une simple étude visuelle répétée. Des lunettes protectrices avec verres polarisants ou filtre jaune anti-U.V. sont suffisantes. Le croquis montre l’installation type pour photographier des tableaux éclairés par des tubes à lumière noire. La méthode photographique consiste à éclairer la surface du tableau à l’ultraviolet et de photographier la fluorescence qui en résulte. L’enregistrement obtenu donne des renseignements sur les repeints et restaurations. Lorsque cela est possible il est souhaitable de faire la photographie après un nettoyage du vernis. Celle-ci montre alors l’état de surface sans la barrière du vernis ainsi que la véritable fluorescence des pigments dont la coloration permet d’en identifier certains (cf. tableau). Le lecteur aura admis que l’étude d’une œuvre en ambiance ultraviolette n’est en somme que la confirmation ou non d’une bonne observation à l’œil nu. En effet, nous ne saurions trop recommander une minutieuse attention avec notre propre esprit d’analyse et de synthèse. Essayons le plus souvent de communier avec l’auteur de l’œuvre et de savoir si l’impression donnée par cette œuvre est en concordance logique avec nos connaissances ou celles des spécialistes. L’examen critique viendra alors seulement conforter ou non notre diagnostic.