Cet article est le premier d'une série consacrée à la dorure et à ses techniques. Son auteur, restaurateur d’art agréé par les Musées Nationaux et les Monuments Historiques, professeur à l’IDETH et à l’École des Beaux-Arts de Paris, est sans cesse confronté aux acheteurs bernés par une garantie trompeuse de dorure originale. Il définit les termes employés en matière de dorure et explique les différents procédés.
Gilles Perrault
Tout ce qui brille n’est pas d’or. Cet adage bien connu est malheureusement vite oublié dans la pratique. Combien de fois ne sommes-nous attirés et réconfortés par des étiquettes ou des affirmations de vendeurs du genre : « dorure faite à main », « dorure à la feuille » quand le terme garanti ne vient pas parfaire le label et balayer nos derniers doutes.
Combien de clients imprudents s’exclament avec une pointe de satisfaction souvent à peine contenue : « Le vendeur nous a certifié qu’il était doré, alors vous comprenez nous y tenons beaucoup ! »
Après l’habituel moment d’étonnement passé, je m’emploie petit à petit à faire admettre à ces braves gens que « l’affaire du siècle » qu’ils viennent de réaliser n’est pas plus dorée à l’or que la tour Eiffel illuminée par une belle nuit d’été…
Déçus et vexés, ils doutent encore, tentant de se persuader que l’expert peut se tromper et lancent leurs derniers atouts. « En êtes-vous bien sûr ? » diront les uns, puis : les autres avanceront à l’appui des noms de grands antiquaires ou d’experts, essayant de me faire fléchir par intimidation.
Alors commence le cours. Car en fait c’est bien de cela qu’il s’agit, et ni l’acheteur, et souvent même le vendeur ne sont coupables d’autre crime que de celui de l’ignorance.
Qu’est-ce qu’une dorure ? Est-ce un métier, un art, un artisanat, par quels moyens, sous quelles formes et sur quels supports ? Ces questions sont au cœur du problème et du flou entretenu par les uns pour duper les autres.
LES TECHNIQUES : LA DORURE SUR BOIS
Une dorure est, vous me direz, une application d’or sur un matériau rigide qui peut être du bois, du métal, du verre ou de la céramique. C’est évidemment pas suffisant. Sachez que le terme de dorure permet également d’être employé pour désigner toutes applications métalliques ayant l’aspect de l’or, comme : le cuivre en feuille ou en poudre, l’aluminium oxydé, l’argent recouvert d’un vernis jaune lui donnant l’aspect de l’or. C’est de la dorure sur bois dont nous allons traiter dans cette première partie.
Par quels moyens l’applique-t-on ?
Il existe de nombreux moyens de dorer des objets selon leur composition, le métal utilisé pour la dorure et l’effet escompté.
Les objets en bois sont du XVIe jusqu’au XIXe siècle, d’abord recouverts d’un enduit, tampon composé, pour la France, de colle de peau de lapin et de craie, l’apprêt, et de colle de peau et de plâtre pour le bassin méditerranéen, d’une épaisseur moyenne de 1 à 2 mm, qui sert entre autres à cacher la structure poreuse des fibres et à donner une surface lisse. Après de nombreuses opérations préparatoires, l’or est appliqué à la feuille sur une surface gorgée d’eau ou sur une couche poisseuse appelée mixtion.
Les feuilles d’étain, d’argent, d’aluminium ou de cuivre (qui seront ensuite recouvertes d’un vernis jaune pour imiter l’or), pratique sévèrement réprimandée par les édits corporatifs en France jusqu’à la fin du XVIIIe, ne peuvent adhérer à l’eau, car elles sont trop épaisses, et sont posées soit à la mixtion soit à la colle.
- La dorure à l’eau ou à la détrempe est la plus belle dorure, car elle métamorphose l’objet en bois, en métal. Les effets de volumes sont obtenus par l’alternance de brillances sur les parties saillantes et de mats dans les fonds.
- La dorure à la mixtion se compose d’huile de lin siccativée à chaud en présence d’un sel métallique. Il existe aujourd’hui une mixtion à l’eau qui est une émulsion de résine vinylique.
Elle fut d’ailleurs la technique la plus répandue en France, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, pour tous les objets en bois exposés à l’abri des intempéries.
La dorure à la mixtion était réservée depuis la plus haute antiquité aux travaux de plein air. L’huile de lin qui compose l’élément principal de cette colle résiste bien aux intempéries, mais n’offre pas la possibilité de nuances plus ou moins brillantes. On l’utilisait sur tous les matériaux, des marbres jusqu’aux dômes.
À partir de la Révolution, décadence des techniques. Les révolutionnaires de 1789 abolirent les privilèges de l’ancien régime y compris les règles corporatives. Le calme revenu on vit alors des objets courants, comme des cadres ou des baromètres dorés à la mixtion dans les fonds, et à l’eau sur les saillants, par mesure d’économie.
Les sculptures finement taillées dans le bois laissèrent la place à des estampages en pâtes appliquées sur la moulure. Puis dès le milieu du XIXe siècle l’usage des moulages en plâtre et des feuilles de cuivre se généralisèrent.
Comme si cette décadence n’était pas suffisante, un nouveau produit vit le jour : la bronzine. Mélangée à du vernis, la poudre de bronze s’applique comme une peinture et donne un aspect métallique doré qui ne satisfait que les ignorants. En vieillissant le cuivre s’oxyde dans le vernis et noircit, comme la plupart des cadres de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.
Aujourd’hui d’autres ersatz s’ajoutent à cette sombre palette, ce sont : « l’or hollandais » ou la « dorure en crème », vendus en petits pots qui ne sont que des poudres de cuivre mélangées de la cire, la dorure en spray dont la poudre métallique est encore de cuivre et les feuilles d’aluminium.
La ménagère ou le bricoleur sont trompés par des affirmations frauduleuses sur les emballages, du genre : « Restauration artistique des cadres, miroirs, trumeaux, consoles, et sièges dorés » ; avec des noms de nuances tout aussi attirants comme : « Versailles, feuilles d’or reflet rouge », « Trianon, feuilles d’or reflet orangé », etc. Les fabricants de ces produits, passibles de recours en justice, devraient être plus réservés.
Lorsque le support est en bois, seule la dorure à l’eau donne des résultats satisfaisants, car l’or est inaltérable et son éclat nuancé par le brunissage (opération qui consiste à écraser l’or pour le polir) à la pierre d’agathe, accentue les volumes.
LA DORURE SUR MÉTAL
Lorsque le support est en métal, qu’il s’agisse de laiton, de cuivre ou de bronze, l’application de l’or est différente des méthodes précédentes.
La technique la plus simple est la pose de feuilles à l’aide d’une mixtion sur un vernis. Cette méthode est couramment utilisée dans les dorures de plein air sur des éléments non démontables comme les grilles du château de Versailles. Mais les eaux de pluie ont vite raison de l’or qui ne fait que 8 microns (qualité double spécial extérieur) d’épaisseur et l’opération doit être recommencée environ tous les dix ans.
Plusieurs techniques de dorure se partagent ensuite les faveurs, lorsque les objets métalliques se démontent et restent dans des dimensions restreintes : en dessous d’un mètre. C’est le cas des bronzes d’ameublement, des cartels aux commodes, en passant par les pendules et surtout de table.
La plus ancienne et également la plus belle est la dorure au mercure. Le doreur amalgame l’or au mercure, l’applique sur le métal et par élévation de la température fait évaporer le mercure, de façon qu’il ne reste plus que l’or en dépôt. Il brunît ensuite les parties en relief pour redonner au métal de l’éclat et du volume.
Malheureusement cette technique est excessivement dangereuse pour l’homme et aujourd’hui seuls les chefs d’entreprises ont l’autorisation de la pratiquer à leurs risques et périls.
Rappelons qu’au temps du Roi Soleil, où Versailles resplendissait du feu de ses ors, des dizaines de doreurs atteints par la fièvre et les tremblements étaient ensablés dans des caisses chaque jour pour dorer au mercure. Ils mouraient dans d’atroces souffrances, se sacrifiant pour un salaire mirobolant.
Depuis le milieu du XIXe siècle, une nouvelle technique de dorure sur métaux remplace la dorure au mercure : la dorure par dépôt électrolytique (ou au nitrate). L’objet à dorer est placé dans une cuve remplie d’un liquide, l’électrolyte, relié au pôle négatif tandis que le métal d’apport est relié au pôle positif. Le courant circule du pôle positif vers le négatif entraînant le métal d’apport sous la forme d’électrons.
Cette dorure chimiquement pure est plus rouge et moins résistante que la dorure au mercure. Mais elle donne d’excellents résultats et est employée couramment sur les bronzes d’art du XXe siècle.
La dorure par fusion et martelage utilisée jusqu’au Moyen Âge, ainsi que la dorure sous vide ne sont pas adaptées aux bronzes d’art et d’ameublement du fait de leur prix de revient excessif.
La dorure au vernis est monnaie courante sur les bronzes d’art depuis qu’elle fut recommandée par Louis XIV pour économiser l’or que ses sujets dispensaient sur les bronzes d’ameublement.
Il s’agit en fait d’un vernis teinté appliqué sur le laiton chaud. L’effet peut être trompeur mais ne résiste pas aux sévices du temps, le vernis se craquelle et le métal s’oxyde : nul produit ou métal ne remplace l’or.
LA DORURE DES OBJETS EN VERRE ET CÉRAMIQUE
Lorsque le support est en verre ou en céramique, l’or est employé sous la forme de feuilles qui s’agglutinent ou se noient dans la pâte encore brûlante.
Une autre technique employée par les verriers d’Europe de l’Est consiste à coller les feuilles à l’intérieur du verre entre deux parois ajustées à chaud. Avant de rapporter la seconde paroi un graveur ajoute la feuille d’or au stylet.
La feuille ainsi travaillée offre une dentelle d’or très décorative.
LA DIFFÉRENCE DU COÛT
Peu de gens font la différence entre les bonnes dorures et les succédanés qui portent impunément les mêmes appellations.
Il est donc primordial de se renseigner sur la nature exacte de la dite dorure, et du support. Car prenons l’exemple d’un même candélabre doré à l’or selon la technique de la dorure à l’eau, solution 1, soit à l’or selon la technique de la mixtion, solution 2, soit au cuivre en feuille, solution 3, soit au cuivre en crème à dorer, « Versailles feuille d’or reflet rouge » solution 4.
Le coût réel de fabrication sera successivement de :
- 10 000 F pour la dorure traditionnelle à l’eau qui nécessite 22 passages (solution 1).
- 7 000 F pour la dorure à la mixtion plus rapide mais moins belle, car elle empâte les volumes (solution 2).
- 5 000 F pour la dorure à la feuille de cuivre qui imite l’or sur de faible relief, mais qui s’oxyde dans le temps (solution 3).
- 2 000 F pour la dorure à la bronzine qui nécessite seulement deux applications d’apprêts et qui donne à l’objet un aspect uniforme. Le cuivre en poudre s’oxyde très rapidement, la dorure devient noire (solution 4).
Nous discernons donc déjà au stade de la fabrication une différence fondamentale au niveau de la qualité qui n’est pas toujours répercutée dans les prix... Quant à la conservation et à la restauration de ces objets, elles suivent les mêmes fluctuations mais dans le sens inverse.
Le nettoyage d’une dorure traditionnelle à l’eau se réalise aisément, et le résultat obtenu est très satisfaisant lorsque la feuille d’or n’est pas usée.
Celui d’une dorure à la mixtion est moins aisé, car la mixtion traversant la feuille d’or poreuse colle les poussières. Le nettoyant utilisé dans ce cas doit ramollir la mixtion et risque de décoller les feuilles.
Le nettoyage d’une dorure au cuivre est pratiquement impossible car la coloration foncée provient non seulement de la poussière mais surtout de l’oxydation du métal. Il en est de même pour les bronzines et crèmes à dorer qu’il faut éliminer avec des solvants très nocifs.
Pour fixer les esprits nous allons établir le coût d’un nettoyage afin de retrouver une dorure à l’or posée à l’eau.
En suivant notre ordre chronologique :
- 1er cas : il suffit d’un simple décrassage. Coût : 1 000 F.
- 2e cas : il faut opérer un décrassage + une attaque très légère de la mixtion et le résultat est moins satisfaisant. Coût : 3 000 F.
- 3e cas : il faut ôter la feuille de cuivre, soulever les apprêts et refaire une dorure à l’eau : 1 000 F + 10 000 F.
- 4e cas : mêmes opérations que dans le 3e cas : 1 000 F + 10 000 F.
Si nous additionnons les prix de chacune de ces opérations de fabrication et de restauration, nous nous apercevons qu’une dorure à l’eau traditionnelle reste moins onéreuse à la longue que les dorures imitant. Il en est de même des objets anciens.
LES ERREURS COMMISES
Malgré cela de nombreuses erreurs sont encore commises.
Nous pourrions citer comme exemple les boiseries du musée Nissim de Camondo, dorées d’origine à la feuille d’or appliquée à l’eau avec ensuite des effets de brunis et de mats qui viennent d’être restaurées très récemment par un recouvrement total d’une dorure à la mixtion.
Sans polémiquer sur les responsabilités et les compétences des parties en présence, il est frappant de constater qu’à notre époque, restauration puisse encore devenir synonyme de dégradation.
Tout aussi surprenante est la constatation d’aucune précision en salle des ventes quant à la technique de dorure utilisée. En effet il n’est jamais fait mention dans les catalogues, des compositions ou du mode d’application des dorures. Seuls figurent quelques termes laconiques comme « restauration d’usage », « bon état », ou « moyen état ».
Nous allons voir que cette lacune peut être très lourde de conséquences, d’abord pour le client qui, désirant nettoyer son cadre, s’aperçoit de la supercherie, ensuite pour le commissaire-priseur responsable devant le client, puis pour l’expert enfin vers qui se retourne le commissaire-priseur.
En voici un exemple parmi tant d’autres. La première photographie du cadre, en noir et blanc, est celle parue dans le catalogue d’une vente spécialisée à l’Hôtel Drouot. La description de l’expert donne des mensurations, une estimation et le libellé suivant : « Superbe cadre en bois sculpté et doré à écoinçons et réserves ajourées à décor de coquilles feuillagées, fleurettes, rinceaux et feuillages crispés. Époque Louis XV. » Aucune mention n’est faite concernant l’état du bois et de la dorure qui sont sans doute jugés très bons.
Cependant, lorsque le client apporte son cadre chez le restaurateur pour un nettoyage « d’usage », il découvre avec stupeur que ce cadre est couvert de bronzine cachant de nombreuses restaurations maladroites.
Le coût du nettoyage de la bronzine, du nettoyage des enduits redorés à la mixtion et de la reprise de la mauvaise restauration « dépasse » la moitié du coût d’achat !
POUR UNE MEILLEURE INFORMATION
Il y a donc la matière à réflexion car les experts devraient être plus précis sur l’état des dorures.
Tout le monde y gagnerait, malgré une décote des lots mal dorés dans un premier temps. Les professionnels qui achètent sur catalogue, par billets à ordre, seraient mieux informés, et augmenteraient parfois leurs enchères, sachant le montant exact de la mise en état.
Les amateurs d’art, qui pourtant ont eu le loisir de venir à l’exposition, mais qui sous les néons blanchâtres ne se sont pas aperçus du camouflage, seraient rassurés et achèteraient avec plus de sécurité.
Le marché du bois doré, assaini, ne serait plus en dents de scie et irait crescendo comme celui de la peinture où la moindre restauration est annoncée.
Avec cette rigueur nous pourrions alors retrouver en ce domaine la place prépondérante que notre pays a connue. Mais peut-être préférons- nous jouer la politique de l’autruche, et attendre 1992 en nous masquant les yeux.
Je pense, et je ne suis heureusement pas le seul, que ce serait dommage de laisser se dégrader une partie de notre patrimoine, par apathie ou par ignorance. Il faudrait dorénavant que chaque transaction ou intervention sur un objet doré soit accompagnée d’un certificat écrit et signé du vendeur ou du restaurateur, portant les mentions exactes des doreurs. Et si chacun de nous refusait soit de vendre, soit d’utiliser des dorures bon marché ou de commander des restaurations qui ne seraient pas dans les règles de l’art ? Qui sait si les bois dorés ne deviendraient pas alors une valeur refuge !…