Vrai ou Faux - L’expertise des objets d’arts et de collection. Mosaïque d’articles sur le dépistage des faux, réalisée par une trentaine de spécialistes de l’Union Française des Experts, unique en son genre, ce livre s’adresse aux néophytes, comme aux amateurs avertis. Il aborde des domaines aussi divers que les meubles, la céramique, les objets archéologiques, la peinture, les armes, le verre… montrant quels sont les indices permettant de déceler les faux et relatant l’histoire de faux célèbres. (L’Union Française des Experts – Editions L’Estampille / L’objet d’Art.)
Christian Cibot et Gilles Perrault
Ces bronzes qui, aujourd’hui, font courir les collectionneurs, amateurs ou spéculateurs, étaient encore bien délaissés, il y a une vingtaine d’années. De nos jours, ils battent des records de prix dans les grandes ventes internationales et, depuis déjà plusieurs années, ils sont recherchés passionnément. Cette situation a rapidement provoqué l’apparition de faux anciens, concernant particulièrement les bronzes de la Renaissance et du XVIIᵉ siècle. En Italie, les premières statuettes en bronze sont apparues dès la fin du XVe siècle et le début du XVIe siècle, pour la plupart inspirées de l’Antique. À cette époque, les artistes italiens, qui vivaient au milieu des vestiges de l’antiquité gréco-romaine, n’avaient qu’à puiser dans l’abondante réserve que représentaient toutes ces sculptures antiques, et, déjà, falsifier. Très vite, non contents de copier, ils interprétèrent, puis, à partir de là, créèrent leurs propres modèles. Des ateliers s’étaient installés avec le Maître et les élèves souvent sculpteurs et fondeurs. Parmi les principaux centres, citons Florence, Venise, Padoue, Mantoue. Parallèlement des ateliers fonctionnaient en Allemagne, aux Pays-Bas et également en France avec l’École de Fontainebleau. Le principe de fabrication était simple ; on créait une statuette en terre ou en cire, voire même en bois, puis, à partir d’un “modèle” par procédé de moulage, on exécutait un ou plusieurs exemplaires en bronze. La technique employée était celle de la cire perdue qui permettait d’obtenir une grande finesse d’exécution, notamment dans les détails, une grande fidélité du point de vue de la représentation, et une certaine légèreté, ce qui était considéré comme un critère de qualité. Ces bronzes étaient faits pour le plaisir de l’amateur. Les plus petits étaient rangés dans des meubles spécialement conçus pour cela, et l’on se plaisait à les prendre en mains pour les contempler, en faisant jouer les volumes dans la lumière. Ils servaient aussi de décoration, surtout à la fin du XVIᵉ siècle, et au XVIIᵉ siècle ; certains représentaient également des portraits de personnages en pied, en buste, et équestres. À ces époques, ils étaient déjà collectionnés et coûtaient très cher, figurant d’ailleurs dans les inventaires au même titre que la vaisselle d’or et d’argent. Ils faisaient partie, si on peut dire, d’un certain “art de vivre”. Les rois, les princes, les grands bourgeois aimaient en posséder au même titre que des tableaux ou du mobilier précieux.
Les copies fidèles d’originaux
Ces bronzes souvent très beaux de qualité, dans leur genre, sont des copies de modèles classiques connus ; ceux-ci ont eu un grand succès à leur époque (au XVIᵉ et au XVIIᵉ siècle, en ce qui nous concerne) qui s’est prolongé longtemps après, puisque certains, copiés dès le XVIIIᵉ siècle, l’ont été jusqu’au début du XXᵉ siècle. De nos jours, et depuis environ une quinzaine d’années, ils sont à nouveau recopiés et le marché est inondé de ces bronzes de différentes périodes. Ces copies fidèles sont de trois types principaux :
Les bronzes de Barbedienne. Fondeur talentueux, Ferdinand Barbedienne (1810-1892) a copié nombre de modèles anciens à grand succès dont beaucoup sont des antiques connus. Il a copié également d’autres choses, y compris des modèles du XVIIIᵉ siècle. Ces bronzes faciles à reconnaître, portent pratiquement tous le cachet du fondeur où se trouve inscrit le nom de Barbedienne. Ce cachet circulaire est en général apposé sur l’arrière du socle, et parfois lorsqu’il s’agit d’une terrasse, sur le devant. Ces mêmes bronzes sont toujours d’une grande qualité de fonderie, reconnaissables dans la plupart des cas, à une très belle patine médaille (brun mordoré), plus ou moins foncée. Mais les modèles, surtout dans les détails, ont un aspect très arrondi et la ciselure à froid est pratiquement inexistante ; la plupart du temps, les vis sur les envers trahissent les montages et les assemblages caractéristiques des fontes au sable. Longtemps “parent pauvre du bronze”, ce type de bronze, qui est facile à reconnaître d’où pratiquement (jusqu’à ces derniers temps, du moins) impossibilité d’erreur pour l’acheteur comme pour le vendeur, a pris un essor commercial très important ces dernières années sur le marché. Dans le même ordre d’idée, et toujours au XIXᵉ siècle, on rencontre également des bronzes, signés ou non, et portant ou non un cachet de fondeur autre que celui de Barbedienne, mais des mêmes époques. Ces bronzes représentent souvent, entre autres, des sujets inspirés de la Renaissance ou du XVIIᵉ siècle, mais tellement typiques de l’esthétique du XIXᵉ siècle qu’il n’y a pas à s’y tromper, sans compter, bien sûr, l’aspect technique ainsi que la fonte souvent très lourde (fonte au sable), qui ne correspond pas à celle des époques antérieures. Les patines sont belles, de différentes couleurs mais sans profondeur et sans la marque du temps, et ces bronzes ont tous un aspect “Viollet-le-Duc” un peu mièvre, qui, à priori, les rend relativement agréables à l’œil mais d’une exécution molle avec une certaine sécheresse et un manque total d’émotion. Mentionnons ici, un autre petit détail facile à reconnaître : les yeux sont creux à l’endroit des iris remplacés par un évidement, avec parfois un petit point en relief indiquant la pupille ; détail que l’on retrouve sur pratiquement toutes les sculptures de cette époque (de la fin du XIXᵉ siècle à 1900). On peut rattacher à cette catégorie, un type de bronze pratiquement des mêmes époques ; il s’agit de copies plus ou moins fidèles, comportant les attributs des modèles dont ils sont inspirés, mais dont la représentation est très souvent autre, ou disproportionnée. Facile à identifier, ce type de bronzes, lorsqu’il s’agit de sujets à personnage, comporte des visages et des mains d’ivoire avec très souvent plusieurs couleurs inhabituelles de patines, telles que du rouge violacé, un vert bleuté, et parfois une sorte de jaune. En fait, il s’agit plus de vernis colorés que de vraies patines. Là également, on trouve des signatures, et parfois des cachets de fondeurs.
Les bronzes du Musée de Naples. Datant du XIXᵉ siècle, il existe également toute une série de bronzes qui sont des copies d’antiques se trouvant au Musée de Naples : Éphèbes, Vénus, Athlètes ou autres, nus ou le plus souvent vêtus à l’antique. Ils ont presque toujours les yeux creux, par lesquels on aperçoit le noyau de fonderie blanc qui s’effrite si on secoue trop l’objet. Il existe des types de modèles que l’on retrouve toujours : petites, moyennes et grandes tailles (entre 60 et 80 cm pour le dernier modèle). La statuette elle-même est souvent fixée sur un socle également en bronze, circulaire, à moulures, et bordé d’un décor de palmettes à l’antique. La fixation est faite par deux vis à têtes rondes et demi sphériques que l’on reconnaît toujours d’emblée, sous cette base. Le tout, personnages et bases circulaires, est fondu à la cire perdue : belle fonte légère. Presque toujours figure, inscrite sur la base, la marque : “Musée de Naples”, mais parfois aucune inscription n’existe. La ciselure de ces bronzes est pratiquement toujours fine et de belle qualité : cheveux, ongles, modelé des lèvres et du nez. Afin d’imiter les patines des originaux qui sont très souvent des bronzes de fouilles, ces copies ont une patine à l’antique : verte avec des rugosités artificielles et grumeleuses. Parfois simplement elles ont une patine lisse verte ou brune. Elles ont rarement une base de marbre.
Autres types de copies. Il existe un troisième type de copies qu’il faut connaître : exécutées parfois au XVIIIᵉ siècle, elles sont très nombreuses au XIXᵉ siècle. Citons les plus courantes : Le “Mercure” de Jean de Bologne, seul, ou accompagné, en pendant de la Fortune ou de la Renommée (photos 1 et 2). Là encore, on rencontre plusieurs tailles, mais les plus courantes sont d’une taille moyenne, entre 30 et 50 cm environ. Les socles sont en bronze ou en marbre, presque toujours cylindriques, avec autour, un bas-relief en bronze représentant la plupart du temps des scènes bachiques ou des jeux d’enfants dans le goût de Clodion. “L’Enlèvement des Sabines” de Jean de Bologne ; socle en marbre ou en bronze, cubique avec aussi parfois, des bas-reliefs dans le goût de Clodion. Ici, à signaler souvent l’existence d’un drapé qui cache le sexe de l’homme, contrairement aux sujets d’époque, où le sexe est apparent. “Louis XIV à cheval” de François Girardon ; “le Colleone” de Verrochio ; le “portrait équestre d’Henri IV” et d’autres. Ces derniers modèles (moins courants que les premiers) se rencontrent avec des bases en marbre ou également en bronze. Toutes ces copies, fondues au sable (ou à la cire perdue), sont fixées sur leur socle, en général assez haut, par de longues tiges filetées mécaniques, dont on aperçoit l’écrou dans une cavité sous le marbre. Certains de ces bronzes sont de très grande qualité d’exécution : de beaux modèles, avec bien sûr, la plupart du temps, l’esthétique un peu molle du XIXᵉ siècle. D’un travail parfois très soigné, ils sont revêtus d’une jolie patine qui les rend agréables à l’œil et d’un bel effet décoratif. Les autres copies (à la limite du faux) veulent tellement imiter le travail de la Renaissance, que cela leur donne un aspect grossier. Elles ont une ciselure excessive à l’aspect désordonné et rugueux. Des déformations et disproportions anatomiques voulues mais outrancières les rendent laides, à l’inverse des mêmes déformations et disproportions qui font le charme de certaines statuettes de la Renaissance, et leur donnent un aspect tout particulier. Sur ces mêmes copies, les patines souvent noires sont ternes, sans profondeur, avec des traces d’usure, qui laissent apparaître le métal jaune et sec. Un des meilleurs exemples de ce type de travail reste les innombrables pendants du “Mercure” de Jean de Bologne (accompagné de la Fortune ou de la Renommée) que nous avons cités plus haut.
Les copies XIXᵉ “à la manière de”
Il s’agit d’un type de statuettes “individuelles” masculines ou féminines, dans l’esprit des mêmes statuettes du XVIᵉ ou du XVIIᵉ siècle. Il s’agit très souvent d’interprétations à partir de modèles parfois connus et d’époque. Mais le genre esthétique est faux, il ne correspond pas à celui de l’époque que l’on veut représenter : du XVIᵉ ou XVIIᵉ siècle. Exemple : une Vénus, sujet typique, repris de l’Antique au XVIᵉ et au XVIIᵉ siècle, avec ou sans attributs dans l’attitude du contrappuesto. En général, les hanches et le bassin, larges et ronds par rapport à la taille fine, sont beaucoup plus proches du style des “Vénus évanescentes” de l’époque 1900. Ils ne correspondent pas à l’esthétique de ces mêmes parties du corps qui sont moins marquées, sous la Renaissance, sur les statuettes féminines (photos 3 et 4). Il en est de même pour la poitrine. Le visage et la coiffure font parfois penser à Mucha (1860-1939), et les yeux, aux iris souvent creux, sont caractéristiques de la fin du XIXᵉ siècle. Les doigts, les mains et les orteils, très réguliers et exacts dans leur représentation, ont les ongles ciselés tous de la même forme et du même coup d’outil. La patine ne correspond pas : foncée ou claire, elle est parfois remplacée par une dorure terne et sans éclats, ou… trop d’éclat. Dans l’ensemble, cependant, ces petits bronzes sont de très belles qualités d’exécution, très soignés de modèle, de ciselures et de belles fontes, généralement au sable mais leur aspect reste sec. Les socles en marbre sont très beaux, parfois en marbre précieux ou semi précieux. Ils sont montés à vis avec tiges filetées fixées sous la base par un écrou dans une cavité circulaire et cylindrique aménagée à même le marbre. Il faut toutefois noter l’intérêt que des sculpteurs du XIXᵉ siècle ont pu porter à ces époques (XVIᵉ et XVIIᵉ siècles) puisque certains, vraisemblablement, s’en sont inspirés, purement et simplement, sans autre arrière pensée (photos 5 et 6).
Les faux… ratés
Ces derniers petits bronzes de qualité, exécutés “dans le goût de” ou “à la manière de”, nous amènent aux types de bronzes que l’on pourrait appeler : “les essais de faux”. À ce stade, on peut penser que l’exécutant a déjà l’intention de tromper. Il va essayer de se rapprocher le plus possible de modèles anciens authentiques, et veillera à ce que tous les détails susceptibles de le trahir disparaissent, et pour ce faire il essaiera de respecter toutes les similitudes iconographiques et techniques. Exemple : lorsqu’il copiera ou s’inspirera d’un modèle ancien entièrement dénudé, il prendra bien soin de ne pas rajouter de drapés, contrairement à certains types de copies dont nous venons de parler plus haut ; il supprimera également toute feuille de vigne ou autre, en laissant s’il y a lieu, le sexe apparent, s’il s’agit d’une représentation masculine ; il essaiera de respecter le plus possible les types de coiffures, certaines proportions des mains et des pieds qui sont évidentes. Les iris des yeux ne seront pas évidés, mais l’œil sera gravé avec sa pupille, comme sur des modèles authentiques et anciens ; il prendra bien garde de ne pas ajouter d’accessoires ou de les surcharger s’il doit y en avoir, et dans ce cas il les exécutera avec le plus de similitude possible, par rapport, là aussi, aux modèles anciens. Enfin sur le plan technique, il recherchera également le plus possible de similitude : le montage en deux parties, statuette et socle en bronze avec vis et écrous, sera évité dans la mesure du possible ; ou alors ceux-ci pourront être remplacés par des chevilles métalliques en fer ou en bronze, ce qui paraîtra plus authentique. Il préférera fondre l’ensemble, statuette et socle, sans aucune trace de montage, ce qui sera beaucoup plus dans l’esprit des bronzes de la Renaissance ; également, dans le même esprit, lorsqu’il s’agira de socle en marbre (choisi de préférence, caractéristique de l’époque voulue), il n’y aura plus, pour la fixation, de tige filetée avec un écrou apparent sous l’envers du marbre. Le bronze sera fixé, sans aucune trace apparente, par une tige fixée et scellée dans le marbre, sans ressortir sous l’envers (comme cela se faisait, la plupart du temps, avec les bronzes anciens). À noter ici, que le bronze ainsi fixé au marbre, lorsqu’il s’agira d’une statuette à représentation humaine ou animale, pourra comporter un petit socle fondu avec la statuette, mais aussi être fixé directement, par les pieds (ou les pattes), la statuette ayant été fondue sans socle. Ce dernier type de fixation étant tout à fait dans l’esprit des bronzes d’époque. On trouve dans ce type de bronze, des cires perdues et des essais d’imitation de patines anciennes “par trucage”. Bien entendu, toute signature ou marque de fondeur, sera soigneusement évitée ; rarement, l’on peut trouver un nom plus ou moins inventé, à consonance italienne et souvent illisible… et pour cause ! Cependant, malgré toutes ces précautions, ces essais de faux trompent rarement le connaisseur. En effet, les patines sont presque toutes “fausses”, c’est-à-dire qu’elles ne correspondent pas aux patines connues des bronzes de la Renaissance et du XVIIᵉ siècle ; ou, si elles semblent s’en approcher, elles n’en ont, ni la profondeur, ni le moelleux : elles sont “sèches”. Et surtout, dans presque tous les cas, l’exécutant n’a pas su respecter les critères de style et d’esthétique qui sont si importants, mais aussi si subtils, et qui correspondent à chaque époque et à chaque pays, voire à chaque artiste, au XVIᵉ et au XVIIᵉ siècle. À ce stade, c’est l’expérience qui compte beaucoup : il faut avoir un œil exercé par de nombreuses années de pratique, et une connaissance très approfondie et très étendue, afin d’éviter le piège du “vrai-faux” auquel nous conduit directement cette dernière catégorie des “essais de faux” que nous venons de schématiser.
Les faux intelligents
Les œuvres du XIXᵉ et du début du XXᵉ. Ces bronzes ont été faits, en général, au siècle dernier, ou au début du siècle. Certaines personnes, mal informées ou de peur de commettre une erreur, préfèrent souvent affirmer d’emblée à propos d’un bronze : “c’est un faux” ! À priori, cela ne porte pas à conséquence et ne fait encourir aucun risque ; et parfois même, cela sauve la face. De plus, pour peu que l’on se prononce avec autorité et assurance, devant un “non initié”, on passe sur le champ pour un grand connaisseur, voire infaillible. En fait, les faux anciens sont relativement rares. À ce propos, Monsieur Hubert Landais écrivait dans son ouvrage, Les bronzes de la Renaissance paru aux Presses Universitaires de France en 1958 : “En tout état de cause, les bronzes qu’il faudrait appeler les “vrais-faux” paraissent infiniment moins nombreux que les authentiques médiocres ou faussement attribués”. Ceci étant, il en existe. Les bronzes d’époque ont un caractère, nous l’avons vu, très particulier, “un charme à eux” qui séduit l’amateur expérimenté au premier coup d’œil. Cela est dû à un ensemble de critères (Dieu sait s’ils sont nombreux) subtilement mélangés, tant techniques qu’esthétiques, et qui sont étroitement liés à des notions bien précises. Le faussaire, lui, conçoit avec le recul du temps, à travers le mental et l’affectif de son époque qui ne sont pas ceux des périodes qu’il veut reconstituer : c’est pourquoi fatalement, à un moment ou à un autre, il va commettre une faute (si petite soit-elle), ou des fautes qui vont le trahir. Il y a, dans un faux, une rupture de cet équilibre général qui est la marque d’un bronze authentique, sur le plan technique, comme sur le plan stylistique. On constate souvent que le faussaire en a fait “trop ou pas assez” et qu’il y a parfois un “mélange des époques”, une inversion des styles ou des détails anachroniques. Ceci étant, il faut rester très prudent, car s’il est une époque où l’inspiration artistique a été aussi diversifiée et complexe, c’est bien celle de la Renaissance, à laquelle appartient la majeure partie de ces bronzes. Prenons un exemple : un bronze intéressant et caractéristique et suffisamment douteux pour que l’on pense qu’il puisse s’agir d’un faux. En l’occurrence, un “gladiateur” luttant avec un lion, dans la tradition des sujets mythologiques chers aux artistes de l’époque, tel que celui d’Hercule terrassant le lion de Némée (photos 7 et 8).
Procédons par comparaison : pour cela, nous disposons d’un bronze authentique et connu, “Hercule et le lion de Némée” (Italie du Nord, vers 1520). Par son style et sa facture, il nous paraît approprié pour une comparaison avec le faux que nous nous proposons d’étudier (photo 9). À priori, celui-ci semble normal. Sa taille, 25 cm, correspond à peu près à celle de bon nombre de bronzes de la Renaissance. Cependant, ce n’est qu’une impression. En effet, l’ensemble est rigide, sans souplesse aucune ; il est construit arbitrairement sur des lignes qui se recoupent systématiquement. En retournant l’objet, on s’aperçoit que l’on est effectivement en présence d’une belle fonte à la cire perdue, mais… trop belle (photo 10 et 11) ! L’aspect cireux de l’envers apparaît “trop liquide”, comme si on avait voulu forcer cette sensation de cire figée que l’on trouve sous l’envers des plus belles fontes anciennes faites au moule, et qui, elles, apparaissent plus compactes, avec une surface d’envers à l’aspect plus “calme”. En même temps, on remarque une multitude de défauts de fonderie se présentant ici sous forme de manques et de trous dans le métal.
Cela arrive parfois sur certains bronzes anciens. C’est le cas, entre autres, de la Vierge à l’Enfant de Hans Leinberger du Staatliche Museum de Berlin, bronze dont la fonte a été en partie ratée. Mais ici cela semble un peu systématique ; au lieu d’être laissés apparents comme cela est le cas lorsqu’ils n’ont pas été rebouchés avec du métal (ainsi que cela doit être), ces trous ont été bouchés avec une sorte de mastic ou de cire blanchâtre, à l’aspect suspect, patinée avec le bronze. En ce qui concerne la patine, elle est faite d’une laque brune, mais sèche, qui rappelle celle de certains bronzes Vénitiens de la deuxième moitié du XVIᵉ siècle. Elle semble fraîche, adhérant mal au métal qu’elle laisse apparaître en nombreux endroits, à vif et sans usures. Le type du sujet étant assez “tôt d’époque” (mis à part le modèle de Jean de Bologne), la patine ici ne correspond pas spécialement. Maintenant analysons “l’esthétique” : c’est là que, la plupart du temps, le faussaire se trahit. Très vite sur ce modèle quelque chose choque : la figure humaine collée à l’animal, le mouvement imbriqué, de façon inaccoutumée, comme s’il avait été taillé d’un modèle sur une masse de matière plane et étroite. De face (photo 12), cela est très net et donne à l’ensemble un aspect rétréci de façon anormale, alors que les deux éléments du sujet devraient se mouvoir dans l’espace comme cela est le cas avec le bronze authentique cité plus haut ; ou sinon apposés l’un à l’autre de façon normale, dans le cas présent.
Sur le plan anatomique, la musculation a un style inégal et qui manque d’homogénéité : les bras du personnage, petits et courts, paraissent sans vigueur par rapport aux jambes qui, elles, sont grandes, longues et fortes ; les coups d’outil en creux, qui marquent la musculation des bras, font à la limite penser par leur aspect excessif à une facture moderne ; le torse, court, paraît petit, avec une largeur d’épaules (vues de dos) impressionnante par rapport à une “taille de guêpe”, ce qui donne un aspect moderne ; de même, le modelé excessif des dorsaux est trop serré et noueux (photo 13). Le corps du lion est également disproportionné. Il est construit dans un angle droit dont la pointe se trouverait à la base du poitrail. La partie comprenant le cou et la tête (partie qui se trouve à la verticale du corps) est démesurément longue, aussi longue, sinon plus, que le reste du corps lui-même. Quant aux pattes, elles paraissent énormes par rapport au corps (photo 14). À noter au passage, les côtes de l’animal qui apparaissent sur son flanc gauche, petites et serrées, et qui ne sont pas bien à leur place.
Dans les détails, la facture des mains et des pieds est également forcée. On observe, à la fin du XVIᵉ et au début du XVIIᵉ, un aspect bien particulier du pied sur nombre de statuettes d’époque : le pied s’en va en s’élargissant vers l’avant, et s’aplatit avec les orteils écrasés. Ici, on a voulu exagérer ces détails : les pieds du personnage sont excessivement aplatis et élargis vers l’avant, avec les orteils démesurément longs qui prennent naissance, tous au même niveau, en haut du pied. Cela est faux, et en même temps laid. On retrouve pour les pattes du lion les mêmes détails excessifs que pour les pieds du personnage (photo 15). La tête et la gueule du lion sont également significatives : à la limite, elles rappellent celles du lion de Denfert-Rochereau ou du Lion de Peugeot dans l’aspect carré de l’ouverture de la gueule, ainsi que dans le modèle du mufle, et de la mâchoire inférieure (photo 16). La terrasse elle-même, large et bien rectangulaire, ferait penser à certaines terrasses de bronzes du XVIIᵉ siècle ou du début du XVIIIᵉ siècle. Mais elle rappelle également les terrasses des bronzes animaliers du XIXᵉ siècle.
Observons maintenant, de plus près, les détails vestimentaires. On aperçoit que là aussi, il y a un excès par accumulation. Le personnage porte une sorte de “slip culotte” que l’on retrouve sur certaines sculptures ou certains tableaux hauts en époque. Mais ici, cela revêt un aspect moderne, surtout avec le casque. Ce casque lui-même, exact malgré sa forme sobre, porte un grand panache à l’antique, superflu et de stylisation moderne. Les jambières qui pourraient rappeler celles des gladiateurs romains, ne se rencontrent que très rarement, voire même pratiquement jamais, sur ce type de statuette à cette époque. De telles jambières se trouvent sur une statuette en bronze représentant un guerrier dans le style de l’Antique au Bayerisches Museum, bien qu’en fait, elles n’ont pas du tout la même forme, et rappellent plus celles des guerriers en armure de la Renaissance. Mais non content de faire porter à ce personnage des jambières, il porte au poignet droit un bracelet, tel que pouvaient en porter les athlètes de l’Antiquité, mais aussi ceux qui pratiquent les haltères. Sur son épaule droite figure une plaque dans le goût de celle que portaient les gladiateurs antiques, chose peu courante sur ce type de statuettes, à l’époque. L’exécutant a même pris soin de décorer cette plaque d’un lion marchant rappelant maladroitement le lion du sujet. Autant de détails accumulés qui font penser par leur aspect surchargé et anecdotique à Viollet le Duc, et à une certaine iconographie inspirée de l’Antique, des années 1925. Si on compare la statuette authentique, elle est beaucoup plus “juste” : elle se meut de façon naturelle dans l’espace. Les corps sont déliés et souples. La statuette fausse est raide, trop compacte, avec des mouvements forcés et sans souplesse, à “l’aspect cassé” ! Le modèle et l’esthétique de la statuette authentique offrent une unité de style et une sobriété d’aspect conformes à celles de son époque : sans excès ni démesure ! Par contre, le modèle et l’esthétique de celle que nous venons d’étudier paraissent le fruit d’un savant mélange composite fait d’éléments empruntés ici et là, parfois inventés, avec des exagérations forcées et anormales.
Les faux apparus sur le marché il y a 10 ans environ. Ces bronzes dont on peut dire qu’actuellement la liste n’est pratiquement plus limitative… il faut les voir, car lorsqu’on les connaît, on les reconnaît partout ! Les faux modernes, ou plus précisément les “faux” contemporains que l’on trouve sur le marché depuis environ une quinzaine d’années, étaient au début peu nombreux. Au fil des ans leur nombre s’est rapidement accru. Actuellement, on peut dire qu’ils inondent le marché. À vrai dire, la plupart du temps, il s’agit plus de copies ou de surmoulés que de faux réels, hormis quelques modèles exécutés “à la manière de” ou “dans le goût de”… Ces bronzes, à la portée de chacun dans le commerce, sont proposés sans garantie aucune la plupart du temps, et presque toujours sans indication d’époque ; c’est là l’aspect “ambigu” du problème. Faits en Italie, en France et dans d’autres pays, ils sont, depuis un certain temps, fabriqués en Extrême-Orient, d’où le prix de revient moindre. En un premier temps, apparaissent des modèles de qualité moyenne, parfois médiocre. Fondus à la cire perdue d’un seul bloc, ils sont recouverts de patines brunes, noires ou vertes, certaines tirant sur le violet. Elles sont uniformes, ternes, mates et sans éclat, adhérant parfois mal au métal, avec souvent des coulures inégales. Parfois, les défauts de fonderie sont trop répétés. Les envers, lorsqu’ils sont visibles, apparaissent jaunes, couleur de métal fraîchement fondu. Le modelé est frustre et un peu grossier. La ciselure, elle, est aiguë, mais systématiquement identique dans tous les cas, avec un aspect rude et désordonné ; ce type de ciselure est le même pour tous les modèles, qu’il s’agisse de queue, de crinière, de barbe ou de chevelure. Il s’agit là de reprises de modèles anciens de la Renaissance ou du XVIIᵉ siècle, et de la fin du XIXᵉ siècle, ainsi que les premiers modèles des bronzes animaliers du XIXᵉ siècle. La première rencontre fut la paire de chevaux de Saint Marc à Venise en modèle réduit. D’environ 40 cm de haut sur 50 cm de long, ils avaient fière allure, soclés sur de beaux marbres jaunes de Sienne : des défauts de fonderie nombreux et vraisemblablement voulus laissaient apparaître le sable du noyau ; fondus à la cire perdue, ils avaient cette patine “brun chocolat” caractéristique, qui leur allait bien ; la ciselure de la crinière et de la queue était vigoureuse mais excessive et un peu frustre ; le modelé, raide malgré tout et n’y regardant de près, n’était pas très conforme à celui de l’époque concernée. Nous les avons revus une seconde fois, sans socle, avec une patine noire à coulures verdâtres : ils étaient sales apparemment, avec des usures de patine vraisemblablement artificielles qui laissaient voir le métal jaune, à nu. À ce moment-là, ces bronzes encore relativement peu nombreux pouvaient abuser certains de bonne foi. Dans ces mêmes temps, apparurent : le modèle du XIXᵉ siècle du “Pêcheur Napolitain”, puis un modèle de “Vénus nue”, moitié Renaissance, moitié XIXᵉ siècle ; des surmoulés de bronzes à personnages des années 1900 ; enfin des premières accolades des “Chevaux de Mène”, qui étaient assez grossières ; également, en petites paires, des centaures qui “pouvaient” passer comme étant de la Renaissance ou du XVIIᵉ siècle…C’est à cette période que nous avons rencontré un modèle aussi laid qu’insolite et “amusant”. Moitié création, moitié d’inspiration de la fin du XIXᵉ siècle, d’environ 60 à 80 cm de hauteur, il représentait une grand-mère avec son petit-fils accroché à son tablier ; patine brune et terne, socle en bronze circulaire avec des vis de fixation sous chaque pied du personnage ; les têtes de ces vis rouillées artificiellement et de façon anormale et excessive ne s’harmonisaient pas du tout avec l’envers du socle d’où elles émergeaient (lui, ne semblait pas avoir souffert le moins du monde de l’outrage du temps). Il portait une signature illisible. Quant à la représentation elle-même, elle était franchement laide ; on avait tellement voulu rider maladroitement le visage de cette grand-mère, qu’il ressemblait plutôt à un masque de Carnaval sous son bonnet de dentelle dont le type ne correspondait d’ailleurs pas au reste du costume. Rapidement la production va s’améliorer, on va s’attacher à mieux faire ; les critères d’exécution restent les mêmes, la qualité s’affinant, cela va accentuer la “vraisemblance” !La technique reste toujours celle de la cire perdue, avec des fontes d’un seul bloc. Les patines deviennent plus belles et plus soignées. Elles perdent leur aspect terne, et parfois ont une très belle “luisance”, à la limite trompeuse ; mais leur aspect fondamental reste le même : noire, verte ou, le plus souvent, d’un beau brun très légèrement métallisé à l’aspect satiné et agréable à l’œil. Les envers ne sont pratiquement plus de cette couleur jaune métal fraîchement fondu, mais revêtus de patine identique à la surface de la statue, ou souvent vert pâle tirant sur le vert absinthe, très typique. Quant au modelé, il s’affine lui aussi, en même temps qu’il devient plus juste et plus précis ; la ciselure devient elle aussi plus fine et plus précise. C’est dans ces temps que nous avons rencontré deux superbes personnages casqués et en cuirasse, qui semblaient sortis tout droit d’un tableau de l’École de Fontainebleau. Ils avaient grande allure : environ 70 à 80 cm de haut, la patine brun chocolat très belle, la ciselure également, ainsi que les socles en marbre jaune ! Seul, le temps n’était pas passé… Là, les chiens et les chevaux de Mène, dont certains avaient déjà fait leur apparition, sortirent avec une qualité plus grande et plus fine : les crinières des chevaux finement ciselées et les patines brunes douces au toucher. Le nombre des nouveaux modèles s’accroît chaque année, il s’agit pratiquement toujours de copies ou de surmoulages. Parmi les derniers que nous avons eu l’occasion de rencontrer récemment, il y a un superbe “enlèvement des Sabines” d’après Jean de Bologne : très belle patine brune et luisante avec l’envers à patine vert pâle, tirant sur le vert absinthe ; belle fonte à la cire perdue, mesurant entre 40 et 50 cm à peu près ; une barre transversale destinée à recevoir une tige filetée, pour un possible socle en marbre, paraissait trop légère et purement accessoire, de même que les quelques taches de vert de gris artificiel sous la base, où était fixée cette barre (photos 17 à 22). Mais là encore, l’esthétique, et l’exécution des détails, quoique très bien faits, trahissaient son auteur moderne…
Un grand modèle d’une panthère couchée de Barye se rencontre encore, çà et là, avec une patine brune plus ou moins bien réussie. Récemment est apparu un modèle spectaculaire, presque grandeur nature, du “David” de Mercié, sculpteur du XIXᵉ siècle ; patine brune typique et ciselure caractéristique, linéaire et systématique (photo 22).
En fait, depuis ces dernières années, il semble que la plus grande partie des modèles connus soient copiés ou “réinventés” ; cela va des grands classiques de la Renaissance et du XVIIᵉ siècle, en passant par le XIXᵉ siècle dont les grands sculpteurs animaliers, pour aboutir au style Rétro, avec les statuettes typiques des années 1925, représentant d’agréables sujets féminins, partie bronze, partie ivoire ! (photo 23).
Et puis, il y a toute la production, également contemporaine, des bouddhas, debouts, assis, couchés, des têtes de bouddhas, des Divinités Hindoues, etc. Il faut donc rester très vigilants, voir le plus possible de ce genre de bronzes, là où on peut les rencontrer, et bien les observer. Car, en quelque sorte, “ils se ressemblent tous” ; en effet, quelles que soient les époques dont ils se veulent être représentatifs, ils sont pratiquement tous exécutés avec la même technique, le même type de fonte à la cire perdue, la même ciselure très souvent, et les mêmes couleurs de patine. Et puis, ils ont tous cet aspect “fraîchement faits”, contre lequel on ne peut rien. Un fois de plus, on peut le répéter : le temps n’est pas passé… et c’est là “la faille” ! Enfin, il faut savoir que la science peut nous aider. Il est possible d’analyser les alliages et la composition du bronze d’une statuette, et de savoir ainsi si les pourcentages correspondent exactement à ceux employés à telle ou telle époque et par tel ou tel fondeur. Qui plus est, et cela surtout pour les sujets “de haute époque”, on peut connaître de façon assez précise, par le procédé de thermoluminescence, la date du noyau de terre qui se trouve à l’intérieur d’un bronze (lorsque l’on peut l’atteindre), et par le fait même, la date de celui-ci. La connaissance du style et de l’esthétique correspondant à l’époque d’un type de bronze est aussi importante, car c’est presque toujours là que l’exécutant commet des erreurs. Quant au surmoulage, qui lui s’est pratiqué à toutes les époques, il n’a pas la même dimension que l’original, par le fait du rétrécissement du métal au refroidissement. De plus, il a un aspect plus arrondi dans son ensemble, et mou dans les détails qui sont rarement repris de ciselure ; sa patine, la plupart du temps, ne correspond pas, surtout lorsqu’il s’agit de surmoulage d’originaux très anciens. Pour terminer, il nous a paru bon de rapporter ici l’article 9 du décret n° 81 255 du 3 mars 1981, ayant trait directement à notre sujet : “Tout fac-similé, surmoulage, copie, ou autre reproduction, d’une œuvre d’Art originale au sens de l’article 71 de l’annexe 3 du Code Général des Impôts, exécutée postérieurement à la date d’entrée en vigueur du présent décret, doit porter de manière visible et indélébile la mention : “reproduction” ”.