Deuxième vente, aux domaines, du stock de Guy Hain saisi par la justice
Béatrice de Rochebouët
Il faut s’appeler Guy Hain pour avoir l’aplomb de venir enchérir à la vente de son stock saisi par la justice, dans la plus grande affaire de faux de ces cinquante dernières années. Voilà un faussaire qui a le sens du théâtre. Orateur passionné. Excessif. Invectivant les magistrats et l’ex-inspecteur Denis Vincenot de Dijon, qui l’avaient mis sous les verrous, lors de son procès devant la cour d’appel de Besançon en avril 2001, le condamnant à quatre ans de prison ferme pour un trafic de contrefaçons de milliers de bronzes de Rodin, Barye, Maillol, Claudel, Renoir… Et une amende de deux millions de francs (Le Figaro du 17 janvier 1997 et du 13 avril 2001), semble-t-il, pas encore acquittée, Guy Hain ayant organisé son insolvabilité selon une source proche du fisc. Profil bas, visage rougi sous sa chevelure blonde décolorée, moins agressif, mais ne s’avouant toujours pas vaincu, samedi, lors de la deuxième dispersion par les Domaines d’œuvres confisquées et vendues au profit du Trésor public. Celles litigieuses étaient marquées « REPRODUCTION ». Dans la salle de la rue Scribe, impersonnelle comme une administration, froide comme une église, cet ancien vétérinaire, devenu marchand au Louvre des antiquaires, était assis religieusement sur son banc, au dernier rang. Poussant son ex-épouse Solange Jonckheere et ses amis lui servant de prête-noms à acquérir plus d’une cinquantaine de lots sur les 184 proposés. Montant sans retenue les enchères en répétant tout fort à sa garde rapprochée : « achetée, on va l’effacer ». Sous-entendu, la marque « REPRODUCTION » apposée à la demande des Domaines, sous contrôle des experts judiciaires Claude France et Gilles Perrault ? Une pratique déjà utilisée par le faussaire qui changea la signature de Georges Rudier par celle plus commerciale de son grand oncle Alexis, dont le fils Eugène était le fondeur exclusif de Rodin jusqu’en 1952. Faisant ainsi passer pour authentique et ancien quantité de tirages récents et illicites. Sur les 600 pièces saisies à la demande de la cour d’appel de Besançon, 316 devaient être rendues à Guy Hain. Des pièces authentiques sans stigmates de contrefaçons, ou des pièces récentes fondues à l’époque de Georges Rudier avec la mention légale « REPRODUCTION » que le faussaire aurait pu meuler. Faute d’avoir été réclamées par son avocat, Mᵉ Marsigny, et passé le délai de six mois, elles ont été données aux Domaines. Guy Hain a tout fait samedi pour les racheter. Folie, nostalgie ou commerce calculé ? L’homme est financièrement aux abois. Plus curieuse qu’initiée, la salle a-t-elle distingué le bon du mauvais, l’original du surtirage, l’édition de qualité du vulgaire surmoulage ? Pas vraiment. Trop complexe pour les néophytes qui ont pourtant payé au tiers (2 200 €, la Jument normande et son poulain de Jules Mène, marquée « REPRODUCTION »), voire jusqu’au dixième de leur valeur la plupart des pièces. « À peine le prix de la fonte pour le Cerf de Virginie couché d’après Barye adjugé 2 400 € à Guy Hain », estime le marché. « Comme à la première vente en novembre 2003, cette deuxième vacation offrait aussi bien des chefs-d’œuvre — cinq Fratin au total préemptés par les musées nationaux — que des surmoulages médiocres dont on se demande comment ils ont pu abuser les amateurs », explique le marchand Alain Richarme de l’Univers du bronze. Sans concurrence, ce défenseur de la sculpture XIX-XXᵉ a fait une razzia sur les plus beaux modèles avec un de ses confrères de Londres. Bataillant ferme contre l’entourage de Guy Hain pour enlever à 18 000 € (trois fois l’estimation haute) le Combat de chevaux, accolade célèbre annoncée « d’après » Isidore Bonheur (H : 69,5 cm) et pourtant parfaitement authentique. « Dans cet amoncellement, il y avait environ 10 % de bons bronzes, souvent talqués, recouverts de traces de moulage et démontés par l’antiquaire pour servir de matrices de reproduction », ajoute ce coauteur, avec Michel Poletti, du catalogue raisonné de Barye et Carpeaux. D’où le produit vendu de 340 000 € samedi (231 000 € en 2003 pour 153 lots), ridicule en comparaison de la valeur intrinsèque des bronzes anciens, de l’énergie déployée par la justice et surtout Guy Hain ! » « Sur les 2 500 pièces mises sous scellés dans l’affaire Guy Hain, certaines ont été restituées aux ayants droit. D’autres, sans propriétaires, réduites en poussière sous l’œil des experts judiciaires. Fallait-il alors détruire l’ensemble restant des pièces à conviction des Domaines pour éviter toute confusion ? Et notamment les Rodin, dont l’État français est détenteur du droit moral et des droits de reproduction perçus depuis 1916 par le biais du musée ? Même si elles portent la mention « REPRODUCTION », toutes les pièces vendues de Rodin (4 000 € pour L’Âge d’airain, 84,5 cm de haut ; 17 000 € le Jean d’Aire, 187 cm) étaient des surtirages fondus sur des plâtres généralement authentiques, certifiés par Georges Rudier, avec lequel Guy Hain avait des accords. D’où la difficulté à les reconnaître. Mêmes dimensions que les originaux, même patine, mêmes ciseleur et montage. Une qualité « acceptable », de l’avis des puristes, égale à certains tirages de la fin des années 30, quand le bronze passe de mode. » « Ce fut un vrai dilemme, explique l’avocat général de Besançon Hubert Bonin. D’un côté, il fallait renflouer les caisses de l’État. Cette affaire a coûté près de 2,50 MF, entre les frais de justice, d’expertise et de gardiennage. De l’autre, nous étions sans illusion sur le fait que ces bronzes pourraient retourner dans le commerce pour être la proie de faussaires. » Et Dominique Gouverneur, en charge des ventes de province aux Domaines, de confirmer cette « logique budgétaire ». L’hémorragie des faux est-elle stoppée ? « Oui », répond Alain Richarme, qui a toutefois noté, “sur la vingtaine de bronzes de Pompon passés sur le marché cette année, plus de deux tiers de pièces douteuses”. Gilles Perrault, expert agréé par la Cour de cassation, le confirme aussi. « Les œuvres des affaires judiciaires sont désormais facilement identifiables, les services de police plus aptes à réagir, les clients aussi. D’où l’afflux de nouvelles plaintes, au pénal et au civil, sur des pièces fondues dans les années 80. » À quand des prémices de dénouement dans l’affaire des 250 plâtres, moules et bronzes de Guy Hain saisis le 30 septembre 2000 par le juge Halphen du TGI de Créteil ?