Contribution de Gilles Perrault, p.184-191. Le faux dans l'art - Faussaires de génie Par Jean-Jacques Breton ISBN : 2755616679
Gilles Perrault
Le Faux dans l’art, pages 184 à 190 (publié chez Hugo Image en 2014).
L’auteur Jean-Jacques Breton, docteur ès Lettres et spécialiste des arts premiers, a toujours eu à coeur de faire découvrir au grand public les zones insolites ou négligées de l’art : oeuvres curieuses des musées ou mouvements négligés comme l’art pompier. Il est en aussi l’auteur du Louvre insolite et des Petites histoires de l’histoire de l’art.
Les faussaires abondent mais leurs méthodes et leurs motivations changent peu. Nous parlerons ici de quelques-uns qui ont des traits originaux : le cas de John Myatt et John Drewe est unique pour le service après-vente (!), avec une mention pour la famille Greehnalgh qui n’aurait jamais dû piéger quiconque.
Jurisprudence sur l’œuvre d’art dans le domaine public
Le cas de la contrefaçon en sculpture est un peu particulier car on ne considère pas seulement comme original la première statue sortie de l’atelier du fondeur.
La fabrication d’un original en bronze est en réalité un travail de copie de copie ! L’artiste crée d’abord une œuvre en plâtre ou dans un autre matériau comme la cire.
À partir de cette pièce « modèle » ou maîtresse on fabrique un moule. En l’espèce, dans le cas du procédé à la cire perdue, l’original en cire est entouré d’une gangue avec un trou par lequel on verse le métal en fusion. Le modèle en cire est détruit. Quand on démoule, on obtient la statue.
Évidemment l’artiste peut vouloir conserver son premier travail (glaise, plâtre, etc.) et remettre au fondeur une copie. Donc même la statue originale sera la copie d’une copie. Jusqu’ici tout va bien.
Mais on appelle « authentique » plusieurs exemplaires de la même statue. Aujourd’hui, ce nombre est fixé à huit qui sont dits « originaux », plus quatre exemplaires dits « épreuves d’artiste » et numérotés à part qui sont censés ne pas être commercialisés.
Il faut que le bronze soit tiré « à partir d’un modèle de proportions et de dimensions identiques à celui exécuté par la main de l’artiste ». Ce qui explique qu’un artiste décédé puisse produire des originaux après sa mort (mais pas plus que huit + quatre, bien sûr !)
Si quelqu’un, d’aventure, peut convaincre un fondeur d’en tirer plus de huit, quoique impossibles à différencier, les suivants seront des faux. Bien évidemment, cela n’est jamais arrivé !
On peut difficilement parler de bronzes authentiques de Degas. À sa mort l’artiste laisse cent-cinquante sculptures en cire ou en terre. Il ne les a pas exposées sauf la Petite Danseuse de 14 ans au Salon des impressionnistes de 1881. Mais même de cette œuvre célèbre il n’a pas commandé, ni fait exécuter de tirages en bronze. Il n’a donc pas pu valider ce qu’on appelle les sculptures en bronze de Degas. Dans son cas on ne peut parler que de copies.
À la fin du xixe siècle, la fonderie Barbedienne a fait des tirages de « bronzes d’art » de façon industrielle. Les cheminées de nos grands-parents en sont toutes ornées. Il y en a même un sur la cheminée de l’Enfer dans le Huis clos de Sartre. Mais nous sommes là dans la production de masse et non plus dans le faux. On attribue ainsi l’origine du mot « gadget » à la fonderie Gaget qui a commercialisé en 1886 des répliques de la Statue de la Liberté.
Aujourd’hui le marché européen est régulièrement inondé de faux provenant d’Asie du Sud-Est : il s’agit de surmodelages. Le faussaire a fait un moule sur un original et a produit une nouvelle fonte, dans un matériau d’ailleurs moins cher que le bronze. La pièce contrefaite est donc de dimensions et de poids différents des originaux. Sans négliger le fait que le surmodelage amollit les formes.
Il y eut ces dernières années deux affaires importantes de contrefaçons : l’une concerne des bronzes de Giacometti, l’autre met en scène un antiquaire qui est installé jusqu’en 1988 au Louvre des Antiquaires, Guy Hain .
Celui-ci réalise un coup de maître en faisant fondre des bronzes de Rodin sans autorisation par la fonderie attitrée de l’artiste, la maison Rudier. En plus des plâtres modèles qui s’y trouvent, il fait des surmodelages d’œuvres authentiques. Il achète ensuite un atelier de ciselure, important pour les finitions, puis sa propre fonderie. Pendant huit années, il vend des centaines de contre-façons en les faisant passer pour des originaux, en utilisant la signature d’Alexis Rudier, le fondeur de Rodin. Cette signature lui aurait été cédée par contrat mais les héritiers Rudier le contestent et l’empêchent d’utiliser ce nom comme marque. Il étend sa production aux sculpteurs les plus célèbres d’Antoine-Louis Barye à Emmanuel Frémiet en passant par Camille Claudel.
En janvier 1992, c’est sa première arrestation. La police effectue une saisie de près de vingt tonnes de sculpture. Comparé aux saisies de cannabis, cela a tout de même plus d’allure et de poids ! Quatre ans après, il est condamné à quatre ans de prison mais, après appel, n’effectue que dix-huit mois. Puis une nouvelle condamnation de quatre ans tombe.
À la lecture des condamnations prononcées, on peut se dire que l’activité de faussaire, si elle nécessite dans le cas de la sculpture de gros investissements, est relativement peu pénalisée. Dans Les Échos on peut lire en 2011 : « Tout ce qui a été créé par l’homme peut être reproduit. Parfois des proches des artistes eux-mêmes se livrent à des tirages abusifs ou à de faux certificats d’authenticité. Il faut néanmoins se battre. Sinon l’œuvre de Rodin par exemple n’existerait plus tant la planète serait inondée de faux ! », explique l’expert Gilles Perrault, pointant le côté insuffisamment dissuasif des peines infligées aux faussaires. Deux ans de prison et 75 000 euros d’amende pour l’apposition d’un nom usurpé sur une œuvre, trois ans et 300 000 euros pour une reproduction illicite, cinq ans et 375 000 euros pour recel de faux, dix ans et 750 000 euros si c’est en bande organisée.
« C’est bien moins dangereux que de fabriquer des faux billets [1] ! »
Des maisons de vente aux enchères parmi les plus prestigieuses et des galeries sont éclaboussées car leurs expertises pèchent, pour le moins, par leur légèreté. L’expert Gilles Perrault estime que Guy Hain a produit plus de 6000 contrefaçons en dehors de celles qui ont été confisquées et qu’un tiers seulement des sculptures ont été retrouvées. Tant de marchands sont concernés par cette affaire qu’il est loin d’être certain que toute la lumière ait été faite sur les tenants et aboutissants.
En revanche, parmi les différents procès qui lui sont intentés, l’un est destiné à faire jurisprudence. Rappelons qu’une œuvre tombe dans le domaine public soixante-dix ans après le décès de son auteur – pour faire simple, car il y a du flou avec les prorogations de guerre. Le jugement du 14 janvier 1993 [2] affirme qu’elle est tout de même protégée par le ministère public ou par des associations de consommateur qui se portent partie civile.
Nous citons l’expert Gilles Perrault qui résume clairement la prose juridique :
« Non seulement M. Guy Hain a été reconnu coupable d’avoir trompé le co-contractant sur la nature, l’origine des qualités substantielles en vendant des sculptures en bronze faussement attribuées par leur signature à Pierre-Jules Mêne et Isidore Bonheur, mais il a également été condamné pour atteinte “au droit au respect du nom des artistes en question, de la qualité de leur œuvre, ce droit étant perpétuel, inaliénable et imprescriptible”. Cet arrêt marque un grand tournant dans le commerce des copies d’œuvres anciennes d’artistes dont les droits de reproduction sont tombés. Il met en garde, par exemple, les fabricants et commerçants des productions en bronze, issues de surmoulages déformant l’œuvre par la mauvaise qualité de production ou de patine, en leur opposant les droits inaliénables de respect et de divulgation d’une œuvre. […] Il convenait, dès lors, en infirmant sur ce point le jugement attaqué, de déclarer Guy Hain coupable de contrefaçon par diffusion d’œuvres de l’esprit en violation du droit moral des auteurs Isidore Bonheur et Pierre-Jules Mêne [3]. »
L’intérêt de ce jugement réside dans ce qu’il interdit les mauvaises copies et rappelle qu’il y a un droit « perpétuel, inaliénable et imprescriptible » de l’artiste, même décédé et sans ayants-droits. Il y a donc un droit inaliénable à la beauté, et incidemment on peut aussi se dire qu’il punit les mauvais faussaires !
En 1913, Auguste Rodin en passant rue Laffitte voit un bronze intitulé La Terre. Il pense avoir affaire à un faux et fait saisir l’œuvre. En réalité il était tout à fait authentique et avait même figuré dans la collection de M. Faye, le grand admirateur d’Odilon Redon, un des premiers collectionneurs de Paul Gauguin et propriétaire de l’abbaye de Fontfroide. Rodin l’avait vendu lui-même en 1898 au professeur Heilbuth de Hambourg mais l’avait oublié.
Il faut se battre. Sinon l’œuvre de Rodin n’existerait plus tant la planète serait inondée de faux ! Gilles Perrault
[1] Les Échos n° 20951, 10 juin 2011.
[2] (13e chambre section B) prononcé sur appel d’un jugement du TGI de Paris (31e chambre, 9 avril 1992), dans l’affaire opposant M. Guy Hain au ministère public appelant, M. Robert Stratmore, amateur d’art, partie civile appelante et l’union fédérale des consommateurs partie civile appelante.
[3] L’expertise des bronzes d’art par Gilles Perrault, Stéphanie Moncel et Claude France in Revue Experts, n° 39, juin 1998.