Vrai ou Faux - L’expertise des objets d’arts et de collection. Mosaïque d’articles sur le dépistage des faux, réalisée par une trentaine de spécialistes de l’Union Française des Experts, unique en son genre, ce livre s’adresse aux néophytes, comme aux amateurs avertis. Il aborde des domaines aussi divers que les meubles, la céramique, les objets archéologiques, la peinture, les armes, le verre… montrant quels sont les indices permettant de déceler les faux et relatant l’histoire de faux célèbres. (L’Union Française des Experts – Editions L’Estampille / L’objet d’Art.)
Gilles Perrault
Les faux dessins sont fréquents et se trouvent sous de multiples formes. Si l’œil averti déjoue la majorité des reproductions, certaines techniques comme la phototypie (appelée également Woodburytypie) réalisée jusqu’à l’apparition de l’offset, trompe encore trop de malheureux amateurs. En effet, comme nous allons le voir, ce procédé dérivé de la photographie, quand il est manié de main de maître, donne de si bons résultats qu’il est pratiquement impossible à l’œil nu de faire la différence entre un crayon original et la reproduction. À la fin du XIXᵉ siècle et jusqu’à la guerre de 39-40, de nombreux fac-similés furent réalisés, notamment pour des ouvrages sur les artistes de l’époque comme Rodin, Maillol et bien d’autres. Ces fac-similés, retirés des livres, émargés au besoin apparaissent aujourd’hui élevés au rang de dessins originaux. Aussi grosse que paraisse la supercherie, elle semble se généraliser suffisamment pour s’y attarder. Prenons le cas typique d’un amateur empreint de notions artistiques suffisantes pour reconnaître au fond d’un bric-à-brac un Rosa Bonheur, un Lebourg, etc. Quel n’est pas son émoi lorsqu’un jour en chinant, il découvre dans un carton un dessin de maître perdu dans de la “drouille”. Modigliani, Picasso, Toulouse-Lautrec, Foujita et beaucoup d’autres célébrités n’ont-ils pas essaimé des œuvres considérées à leurs yeux comme mineures, voire sans intérêt, dans les endroits les plus inattendus ? La légende des Montmartrois ne raconte-t-elle pas que le marchand Salmon avait acheté tout un lot de dessins de Modigliani à un marchand de frites dénommé E. Boyer qui s’en servait pour faire ses cornets sur la place du Tertre ? Le cœur battant, l’amateur qui fait cette découverte n’en croit pas sa chance. Sa réaction en pareil cas est, en général, de contrôler son émoi et de s’enquérir du prix, tout en observant la réaction du vendeur. Alors l’immuable scénario recommence : le vendeur lance un prix ridiculement bas pour la valeur du trésor, et semble incompétent dans la matière. “Il n’y connaît rien et n’a rien vu” se dit l’acheteur dont l’émoi grandissant lui fait oublier le coût élevé pour des dessins et gravures sans intérêt. De peur d’éveiller les soupçons du professionnel, il discute le prix puis finit par l’emporter. Dans le meilleur des cas, la transaction est officielle avec facture à l’appui sur laquelle figurent le cachet du marchand, le prix versé, la date, le lieu de la transaction et la nature de la vente dont le libellé reste flou : un lot de dessins et gravures…
Après l’acquisition, la course au certificat.
De retour à son domicile, notre renard pas mécontent d’avoir été récompensé de ses longues journées de recherches infructueuses examine enfin tranquillement le chef-d’œuvre. Nous nous trouvons alors devant quatre possibilités : soit, fort de ses connaissances, il découvre son erreur, soit il ne s’aperçoit de rien, soit il fait appel à un tiers qui découvre qu’il s’agit d’un faux, ou le tiers ne le découvre pas. Dans le premier cas, déçu mais bon joueur, il admet avoir perdu sa mise et pour ne pas se ridiculiser ne cherche pas à être dédommagé, ou mauvais perdant il retourne, s’il le peut, chez le vendeur pour être remboursé. Ce dernier lui fera observer qu’il n’a payé qu’un lot de dessins anonymes et l’affaire sera close… Dans le second cas, n’ayant pas découvert la supercherie, il le présentera comme un dessin de maître et ne pouvant le négocier faute d’expertise, le gardera précieusement chez lui. La tradition familiale se chargera alors avec le temps de remplacer l’expertise. Dans le troisième cas, il se remet à un expert et découvre l’erreur et comme dans le premier cas, le mirage s’évanouira aussi vite qu’il était apparu ne laissant plus que de doux souvenirs teintés d’espoir et de fierté. Dans le quatrième cas, l’expert contacté ne découvre pas le faux et l’avalise. Le dessin peut alors être négocié, changer plusieurs fois de mains, jusqu’au jour où l’erreur sera enfin découverte. Le propriétaire du moment cherchera alors à être indemnisé et se retournera contre son vendeur qui se retournera soit sur son propre vendeur soit sur l’expert qui est responsable de son certificat pendant trente ans. À moins que ce dernier puisse mettre en évidence que le seul moyen de découvrir le fac-similé fait appel à une technologie de pointe qui n’existait pas à l’époque où il a établi son certificat…
Un exemple parmi tant d’autres : une phototypie d’un dessin de Rodin
La phototypie que j’ai choisie ici, reproduit un dessin de Rodin. Elle a été réalisée pour illustrer un livre intitulé “Au jardin de l’inutile” au début du siècle. Bien encadrée, mise sous verre, enfermée au dos par un vieux carton de bonne allure, il était impossible de prime abord d’en discerner une contrefaçon. La couleur du crayon ainsi que l’aspect du papier jauni étaient rassurants (photo 1).
La tradition familiale et la détection de la supercherie
La tradition familiale colportée par le vendeur finissait au besoin de dissiper le moindre doute. C’est avec le plus grand sérieux qu’il racontait que ce dessin était le premier dessin réalisé par Auguste Rodin de Camille Claudel. Les deux preuves qu’il avançait étaient que le maître, déjà épris de son élève et ému au plus haut degré, primo n’avait osé lui demander d’ôter le linge qui lui cachait une partie de sa nudité et, secundo, avait sous l’émotion, commis une faute dans la dédicace en oubliant le “u” de Claudel. Bien des intentions ont été prêtées à Rodin, mais ce genre d’émotion et de timidité avait de quoi surprendre. Après confirmation par Reine Marie Paris (la petite nièce de Camille Claudel) auteur du “Catalogue raisonné sur l’œuvre de Camille Claudel”, Mademoiselle Cladel avait bel et bien existé, servi de modèle au grand maître et elle nous laissa même une biographie remarquable sur Rodin. La tradition familiale édifiée sur plusieurs générations s’écroulait d’un coup. Après démontage, un petit test discret et rapide se révéla inquiétant : le crayon ne se gommait pas. Était-ce un crayon fixé avec du fixatif ou n’était-ce pas un crayon ? Une visite à la conservation du Musée Rodin s’imposait, et là le conservateur des dessins, Mlle Judrin, sortit de ses réserves un autre dessin parfaitement identique. C’était également un fac-similé détaché d’un livre intitulé “Au jardin de l’inutile” dont le dessin original se trouve au Japon.
L’apport des moyens d’analyses modernes
L’observation à l’œil nu et à la loupe ne faisant apparaître aucune anomalie, il a fallu faire appel à un matériel plus sophistiqué comme un microscope optique, une loupe binoculaire et des fibres optiques pour mettre en évidence la phototypie de façon irréfutable.
Propriétaire contre expert
Car le ou les propriétaires en pareil cas s’accrochent à leur rêve, regrettent les allégations de cet expert qui ose prétendre que toute une famille a été dupée. Quelle vexation ! Le client se retourne alors contre cet intrus et l’accuse plus ou moins ouvertement d’être un incapable, un imposteur. Quand un expert s’engage à ce point, sans réserve, c’est qu’il possède une ou des preuves matérielles irréfutables. Car, à ce stade, “l’intime conviction” d’une personne faisant autorité en la matière n’est pas suffisante pour stopper le raz de marée provoqué par les propriétaires humiliés.
La preuve irréfutable
Cette preuve irréfutable, c’est ici le cliché photographique au microscope de la trace laissée par le plomb. Lorsque l’artiste dessine, la mine s’écrase dans les fibres du papier selon une direction. Les particules de plomb se nichent toujours du même côté des fibres comme on le distingue clairement sur la photo 1. Dans le cliché typographique, le plomb est pressé directement à partir du négatif de gélatine durcie qu’on utilise comme matrice. Le dépôt est donc vertical et laisse sur le papier des auréoles qui n’ont aucune direction. Les fibres écrasées accrochent moins de plomb et le dessin apparaît assez pâle. Cette disparité s’estompe cependant avec le temps et n’est pas perceptible à l’œil nu sans point de repère (photos 2 et 3).
L’histoire ne serait-elle pas un éternel recommencement ?
Le propriétaire s’est dépêché de reprendre son bien pour le soustraire à la vérité, et rêver quelque temps encore à la légende qui l’a bercé si souvent. Il cherchera peut-être encore un expert qui abondera dans son sens, puis de guerre lasse, il finira par se raisonner. Mais que deviendra ce dessin ? Ne risque-t-il pas un jour d’être découvert dans un carton chez un brocanteur ?…