Le 10 février 2011 se tiendra, à la Maison du Barreau de Paris, un colloque intitulé "L’art, la science et l’expert", dont le thème est "le recours aux sciences et aux techniques dans l’expertise des œuvres d’art". Les méthodes scientifiques qui permettent de percer les secrets des œuvres d’art et peuvent guider les spécialistes chargés de les expertiser seront mises en lumière. Les intervenants ne manqueront pas d’évoquer les réticences que manifestent certains professionnels, experts, juges ou conservateurs de musée, à l’égard de ces investigations. C’est l’occasion d’en donner un aperçu et d’en souligner l’intérêt – ainsi que les limites. Et de donner la parole à deux experts scientifiques, Jean-Louis Clément et Gilles Perrault, et à un expert en tableaux anciens, Éric Turquin.
À première vue, la statuette paraissait antique. Sa patine ne ressemblait elle pas à celle dont sont revêtues les sculptures en bronze qui ont longtemps séjourné dans la terre ? Et certains experts s’y sont laissé prendre. Mais lorsque les hommes de science sont intervenus, il a fallu déchanter : la statuette en question avait vu le jour au plus tôt dans le courant du XVIIIᵉ siècle de notre ère…
Nous parlons évidemment de la statuette représentant un Satyre portant Bacchus, qui a été adjugée 1 800 000 euros (soit 2 055 420 euros avec les frais), lors d’une vente organisée par le Crédit municipal de Paris, le 16 décembre 2004. Elle avait été présentée comme datant du IIᵉ siècle avant J.-C. Mais les experts scientifiques ont démontré, en s’appuyant notamment sur le pourcentage de zinc que contient le métal (autour de 30 %), que cette statuette n’a pas pu être exécutée avant le XVIIIᵉ siècle de notre ère.
Autant dire que l’analyse scientifique a permis de conclure que la pièce en question n’était pas authentique. Et nous indiquons dans ce numéro (voir “La chronique désinvolte du marché de l’art”, p. 26) les conséquences qui ont tirées de cette conclusion le tribunal de grande instance de Paris. De cette fâcheuse affaire, l’on peut tirer cet enseignement : il paraît imprudent d’affirmer l’authenticité de certaines œuvres d’art sans avoir, auparavant, fait procéder à des analyses scientifiques. Des analyses qui varient évidemment selon la matière avec laquelle ces œuvres ont été exécutées ou la nature du support qui est le leur.
On classe ordinairement ces méthodes en trois catégories : les méthodes d’examen, les méthodes d’analyse et les méthodes de datation. En voici un aperçu, bien loin, évidemment d’être exhaustif.
Les méthodes d’examens
Les méthodes d’examen. Les méthodes d’examen permettent d’obtenir une description morphologique complète de l’œuvre étudiée, principalement à l’aide de la photographie sous divers modes d’éclairage (lumière visible directe ou rasante), ou diverses émissions de rayons (ultraviolets, infrarouges), et la radiographie X. Certaines particularités, invisibles à l’œil nu, peuvent ainsi apparaître sur des clichés pris en émettant des rayons dans le spectre de l’invisible. L’œil humain ne perçoit en effet que les rayons dont la longueur d’onde se situe entre 4 000 et 7 600 unités angströms. En dessous de 4 000 angströms se trouvent les ultraviolets, les rayons X, les rayons Gamma. Au-dessus de 7 600 angströms, les infrarouges, les micro-ondes, les ondes hertziennes.
Bien entendu, l’ordre dans lequel ces examens doivent être effectués ne peut être arbitraire. C’est ainsi que, selon Gilles Perrault, lorsqu’il s’agit d’un tableau, la succession des opérations doit être la suivante :
Examens sous microscope optique des surfaces, craquelures, signatures, lacunes… Examens sous fluorescence dans le spectre des ultraviolets, afin de déceler les repeints récents, les signatures surchargées…
Examens sous réflectographie dans le spectre des infrarouges, afin de déceler les éventuels repentirs, dessins préparatoires et inscriptions masquées, pour les œuvres dont la couche picturale est peu dense, et les restaurations de plus de 50 ans…
Examens par transmission de rayons X (radiographie), afin de déceler les anciennes lacunes restaurées non visibles aux ultraviolets et aux infrarouges, la touche picturale en sous-couche de l’artiste, etc.
Ces trois derniers examens permettant de circonscrire toutes les restaurations, les zones à éviter, s’agissant d’effectuer des micro-prélèvements, sont bien localisées et l’on peut alors effectuer ces micro-prélèvements en vue d’étudier les pigments, liants, colorants et adjuvants de la couche picturale d’origine avec des instruments sophistiqués, tels que, par exemple, le MEB (microscope électronique à balayage), couplé avec une microsonde Oxford X-Max S.D.D. Mais lorsqu’on agit de la sorte, on quitte le domaine des méthodes d’examen, pour entrer dans celui des méthodes d’analyse.
Les méthodes d’analyses
Les méthodes d’analyse ont pour mérite de révéler la nature des matériaux constitutifs d’une œuvre. Pour les matériaux inorganiques, un large choix de méthodes d’analyse élémentaire n’imposant pas de prélèvement de matière est possible, comme la micro-fluorescence X ou l’analyse par faisceau d’ions qui utilise un accélérateur de particules. Le plus célèbre de ces accélérateurs dans le monde de l’art est AGLAE au Centre de recherche et restauration des musées de France. En revanche les matériaux organiques nécessitent généralement des prélèvements pour être analysés. La principale méthode est la chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse ou la spectrométrie d’absorption infra-rouge : elle est d’une efficacité redoutable pour connaître la nature chimique des pigments organiques ou des liants utilisés dans une peinture.
Les méthodes d’analyse de la matière organique mais aussi de la matière minérale permettent souvent de dater une œuvre, ou du moins de connaître son ancienneté maximale ! C’est ainsi qu’une peinture exécutée à l’aide d’une couleur rouge à base de cadmium (employé à partir du XIXᵉ siècle), ne saurait être attribuée à un artiste du XVIIIᵉ siècle…
Les méthodes de datation
Il existe des techniques grâce auxquelles on peut, sans passer par le stade de l’analyse, connaître l’ancienneté des œuvres d’art. Ces techniques varient selon le matériau avec lequel ces œuvres ont été fabriquées. S’agit-il de pièces en céramique ? On peut alors utiliser la méthode de datation par thermoluminescence. S’agit-il de pièces en bois ? On peut alors user de la méthode de datation par le carbone 14 ou, dans certains cas, de la dendrochronologie.
La méthode de datation par la thermoluminescence s’applique notamment aux poteries anciennes. Lorsqu’on chauffe l’une de ces poteries jusqu’à 400-500 degrés, il se produit une émission lumineuse que l’on qualifie de thermoluminescence. Cette émission est proportionnelle à la dose de rayonnement accumulée dans le matériau céramique depuis sa dernière cuisson, toute chauffe éliminant l’effet des rayonnements reçus antérieurement. En mesurant cette dose de rayonnement, on peut calculer l’ancienneté de la poterie en question. Mais à l’heure actuelle, les résultats des examens de thermoluminescence sont parfois contestés en raison de leurs limites. Un quidam mal intentionné peut soumettre préalablement une œuvre à des émissions de rayons gamma qui accroissent artificiellement la dose de rayonnement de celle-ci, et ainsi augmenter l’âge apparent de l’œuvre. Les résultats peuvent aussi être trompeurs lorsqu’on se trouve en présence d’une statuette Tang, par exemple, qui a été reconstituée à l’aide de morceaux provenant d’autres pièces retrouvées dans des tombes ou qui a été exécutée à partir d’une poudre de terre obtenue en broyant de tels fragments. Dans tous ces exemples, les résultats des tests de thermoluminescence sont parfaits… et laissent croire à l’authenticité des statuettes concernées.
La méthode de datation par le carbone 14 concerne les matières organiques (animales et végétales). Celles-ci, lorsqu’elles sont vivantes, absorbent constamment du carbone, lequel contient une dose infime de carbone 14. Lorsqu’elles meurent ce carbone 14 commence à se désintégrer en azote, tout en émettant de la radioactivité. Celle-ci décroît lentement à mesure que le temps passe. Il suffit donc de mesurer cette radioactivité pour savoir depuis combien de temps ces matières sont mortes. La dendrochronologie est fondée sur l’examen des cernes annuels des arbres. Chaque année deux cernes, celui du printemps et celui de l’été, s’ajoutent aux précédents, quand l’arbre est vivant. D’où, avec le temps, une série d’anneaux concentriques que l’on peut observer sur les pièces en bois de bout (coupé perpendiculairement au fil du bois). Les arbres d’une même région et d’une même essence présentent des anneaux de croissance annuels caractéristiques qui permettent de déterminer leur âge.
La dendrochronologie est donc souvent employée pour déterminer la date d’abattage de l’arbre ayant servi à fabriquer un panneau employé comme support d’une peinture. La dendrochronologie a ainsi quelques brillants succès à son actif : elle a permis de déclasser des tableaux célèbres, tel L’Homme à l’œillet du musée de Berlin, que l’on donnait à Jan van Eyck (mort en 1441), mais dont le panneau se révéla postérieur à 1470 ou La Tempête du musée de Vienne, que l’on attribuait à Pierre Brueghel l’Ancien (mort en 1569), et dont le support s’avéra postérieur à 1575. Mais il ne faut pas se faire trop d’illusions. La dendrochronologie ne s’applique pas aux essences qui ne produisent pas de cernes annuels ou qui produisent des cernes discontinus, comme le noyer. Par ailleurs, elle suppose que l’on dispose d’étalons chronologiques qui, par comparaison, permettent de dater les panneaux étudiés. Or, jusqu’à présent, de tels étalons n’existent que pour les chênes et certains résineux à travers le monde.
L’œil du connaisseur
On vient de passer en revue un certain nombre de techniques scientifiques qui, a priori, doivent nous révéler la vérité. Est-ce à dire que l’expert en œuvres d’art n’a plus qu’à se croiser les bras ? Heureusement, non. Car ses connaissances sont indispensables pour compléter ou éclairer les résultats des examens et analyses réalisés par les scientifiques. Et une bonne collaboration entre experts ou historiens d’art et scientifiques s’avère indispensable, comme le montrent les exemples suivants donnés par Gilles Perrault. Le premier concerne un cheval chinois en terre cuite qui, disait-on, avait été exécuté à l’époque Tang. Le test de thermoluminescence le datait en effet de cette époque. Pourtant, son style trop raide et son poids, anormal, suscitaient de sérieux doutes. La radiographie a montré qu’il a été fabriqué à l’aide de briques en terre cuite trouvées dans des tombes d’époque Tang, puis sculptées. Le second exemple porte sur les sculptures en bronze. On sait que, lorsqu’un exemplaire est obtenu par surmoulage d’une autre épreuve en bronze, il a nécessairement, puisque le métal en fusion se rétracte lorsqu’il se refroidit, des dimensions moindres que la pièce qui lui a servi de modèle. Souvent, il suffit d’un simple compas d’épaisseur pour vérifier si les dimensions d’un bronze litigieux sont en retrait par rapport à une autre épreuve réputée originale. Mais là encore, les connaissances de l’expert sont extrêmement importantes, car certains artistes, comme Diego Giacometti, après avoir débuté leurs tirages à l’aide d’un plâtre original, ont utilisé ensuite comme maitre modèle un bronze lorsque le succès de l’œuvre dépassa leur prévision. Le double retrait qui s’ensuit, et qui est parfaitement mesurable, ne peut pas signifier pour autant que tous les Chat maitre d’hôtel réalisés par la fonderie Susse, du vivant et sur l’ordre de l’artiste, à compter d’une certaine date, soient des contrefaçons !
Jean-Louis CLÉMENT, expert scientifique
Lorsque la peinture que l’on me charge d’analyser a été exécutée durant la période qui s’étend du début des années 1900 jusqu’à nos jours, j’utilise essentiellement le microscope électronique à balayage couplé avec un spectromètre de rayons X. Il faut procéder à des prélèvements de matière sur la peinture en question. Avant d’effectuer ces prélèvements, il faut évidemment se servir de la lampe de Wood. Celle-ci permet d’apercevoir les repeints, les restaurations qui apparaissent comme autant de taches noirâtres sur la surface de la peinture qui, elle-même, prend une teinte violacée. C’est pour avoir négligé cette précaution qu’un soi-disant spécialiste avait conclu qu’un prétendu Ruysdael était un faux, car il avait opéré des prélèvements dans des zones repeintes. J’ai fait attention de ne pas commettre cette erreur et j’ai pu démontrer que le tableau, bien que très restauré, était parfaitement authentique. Mais revenons aux principes de l’analyse. Le microscope électronique à balayage permet de connaître la nature des minéraux et des pigments constitués les pigments figurant dans la peinture. Or, l’on sait à partir de quelle époque certains minéraux ont pu être utilisés dans la préparation des couleurs. Prenons l’exemple du dioxyde de titane qui sert à fabriquer une couleur blanche. Bien que le titane soit présent sur toute la couche terrestre, il a fallu attendre 1919 pour que l’on trouve un procédé d’extraction. Et, entre 1919 et 1940, on n’a pu extraire qu’une catégorie particulière du titane, le titane anatase, qui est mélangé à du baryum. Ce n’est qu’à partir de 1940 qu’on a été en mesure d’extraire du rutile pur. Aussi, de l’analyse des pigments du tableau grâce au microscope électronique, peut-on généralement tirer les conclusions suivantes : l’absence de titane permet de penser que le tableau a été exécuté avant 1920 ; la présence de titane anatase, qu’il a été exécuté entre 1920 et 1940 ; la présence de titane pur, qu’il a été exécuté après 1940. Lorsqu’on me confie l’analyse d’un tableau ancien, je suis amené à utiliser d’autres méthodes d’investigation et notamment, les photographies obtenues à l’aide de radiations infrarouges ou de rayons X. Les rayons infrarouges permettent d’explorer les couches du tableau situées sous la surface peinte, elle-même généralement recouverte d’un vernis. Un signalement peut apparaître, qui était invisible à l’œil nu. Mais lorsque la couche picturale est épaisse, ce qui est généralement le cas lorsqu’il s’agit de peintures exécutées à partir du XIXᵉ siècle, les infrarouges ne sont pas d’une grande utilité.
Éric TURQUIN, expert en tableaux anciens
Je pense que l’expert en œuvres d’art doit avoir, pour ce qui concerne les examens scientifiques, la même attitude que le médecin généraliste s’agissant des analyses de laboratoire. Il doit d’abord établir un diagnostic et ensuite, mais ensuite seulement, vérifier l’exactitude de ce diagnostic en faisant procéder à telle ou telle analyse. Autrement dit, l’expert doit, avant de recourir à la science, savoir ce qu’il cherche, ce qui lui permet de décider du type d’analyse qui convient. Il doit aussi prendre certaines précautions. Considère-t-on comme utile de déterminer les composants des pigments ? C’est à l’expert qu’il revient d’indiquer les endroits où doivent avoir lieu les prélèvements, car il faut, bien entendu, éviter qu’ils ne soient effectués dans des parties repeintes ou restaurées. Mais il faut également veiller à ne pas multiplier ces prélèvements, afin de préserver, autant que possible, l’intégrité de l’œuvre. À dire vrai, je ne fais procéder que rarement à des analyses des pigments. En revanche, je commande assez souvent des macrophotographies de tableaux réalisées à l’aide de rayons X ou de rayons infrarouges. La dendrochronologie me a été plusieurs fois utile. Mais là encore, c’est l’expert qui doit fixer le protocole. Car, souvent, les résultats dépendent des hypothèses que l’on pose a priori. Je vais vous donner un exemple. On m’a confié la vente d’un tableau d’Andrea Solario (vers 1470-1520). Certains spécialistes prétendaient qu’il s’agissait de la copie ancienne d’un original disparu, copie réalisée par un artiste nordique. Et une analyse dendrochronologique semblait leur donner raison, car un laboratoire scientifique, en se fondant sur la courbe de référence des bois allemands, avait conclu que le tableau avait été réalisé vers 1564, soit longtemps après la mort de l’artiste. Mais si l’on partait de l’hypothèse inverse, à savoir que le tableau avait pu être exécuté par Solario, lors de son séjour en France, il fallait, pour interpréter les données fournies par l’examen des anneaux des cernes du bois, s’appuyer sur la courbe de référence des arbres français. Or, en procédant à ce test, un autre laboratoire de Besançon a pu démontrer que la date d’abattage de l’arbre en question était parfaitement compatible avec la période du séjour de Solario en France. De ce que l’on vient de dire, il ressort que l’expertise scientifique permet surtout de prononcer un verdict négatif : elle démontre, en effet, que tel tableau ne peut pas avoir été peint par tel artiste. Mais de l’expert, on attend souvent un verdict positif : on lui demande de découvrir, et faire se peut, quel est l’auteur du tableau. Et dans cette démarche, les analyses scientifiques lui sont rarement d’un grand secours. Car, pour juger de l’authenticité d’un tableau, il est bien plus utile de discerner la puissance créatrice de l’auteur. Et cela, seul l’œil le permet.
Gilles PERRAULT, expert scientifique
Il faut savoir que les grands artistes possèdent un, voire plusieurs experts attitrés. Souvent, ce sont les auteurs des catalogues raisonnés ou/et les ayants droit. Une autorité de fait s’établit, qu’un expert généraliste ne peut contester, sauf par la voie judiciaire. L’expert missionné par le juge, qui n’est pas l’expert attitré de l’artiste, doit examiner les griefs et trouver la vérité : l’apport de preuves scientifiques permet dans plus de 80 % des cas de résoudre les problèmes d’authenticité et presque dans 100 % de dépister les contrefaçons. Rappelons l’exemple d’une procédure qui est en cours outre-Rhin depuis le mois d’août 2010, où des faussaires viennent d’être écroués pour avoir écoulé quarante contrefaçons d’œuvres picturales de surréalistes et d’expressionnistes allemands (la cote moyenne d’un tableau oscille entre 500 000 et 2 000 000 d’euros). Ils ont été démasqués parce que des analyses scientifiques ont révélé la présence de pigments qui n’existaient pas à l’époque présumée de la réalisation des œuvres en question. Les spécialistes des artistes concernés avaient été dupés par l’habileté des faussaires et de fausses provenances. Le fait que la référence ait disparu, en ce début de XXIᵉ siècle, envers l’examen scientifique, ne doit pas nous faire basculer pour autant dans l’euphorie scientifique et le scientisme aberrant. Comme le rappellent mes confrères, les connaissances historiques, stylistiques et techniques sont primordiales pour l’expert. La bonne connaissance des moyens scientifiques également.
De l’empirique au scientifique
Comme la médecine, l’expertise des objets d’art est passée de l’empirique au subjectif, puis au contrôle scientifique. La preuve scientifique, déjà recherchée par les laboratoires spécialisés des grands musées nationaux comme le Restauro à Rome créé du temps de Mussolini, mit plus de cinquante ans à pénétrer l’expertise des objets d’art dans le commerce. N’oublions pas que, dans les années 1980, les experts agréés par telle ou telle organisation professionnelle, comme ceux élevés au rang d’experts judiciaires, provenaient tous du marché de l’art. Il leur était difficile d’admettre qu’une simple radiographie montrant une céramique restaurée, ou la découverte de blanc de titane dans une œuvre supposée dater d’avant 1921, fût une preuve rédhibitoire. Mais, aujourd’hui, les magistrats des cours d’appel ont bien compris l’importance des apports scientifiques et historiques en inscrivant sur les listes, en dehors des antiquaires, des scientifiques, des restaurateurs, des historiens de l’art. Il en résulte que le monde de l’expertise s’organise par degré de compétence : l’expert généraliste qui travaille principalement pour les salles des ventes, dirige une œuvre majeure vers l’expert, spécialiste de l’artiste ou de la période présumés. Ce dernier peut requérir l’avis d’historiens ou de scientifiques afin de confirmer ses convictions.
Le Lion de Rodin
En avril 2002, lorsque fut présenté en salle des ventes un lion rugissant en plâtre, attribué à Auguste Rodin, le musée Rodin, qui est rappelons-le, l’ayant droit de l’artiste, le fit saisir au motif qu’il s’agissait d’une contrefaçon. Il appuyait son avis sur les conclusions du procès en contrefaçon jugé en 1919 où Léonce Bénédicte, légataire testamentaire de l’artiste, avant de devenir le premier conservateur du musée, affirmait que ce modèle du lion (avec un menton rond) n’était pas reconnu par le maître avant sa mort et constituait donc une contrefaçon fondue illicitement en bronze par Montagutelli. Le juge me missionna et, lors de la présentation pour comparaison qu’organisa le musée des plâtres d’ateliers, moules, et épreuves originales en bronze ou contrefaites, ma formation initiale de sculpteur me permit de comprendre que ce menton n’était né avec l’œuvre originale. Appuyée par des preuves scientifiques, en l’occurrence des coupes tomographiques réalisées à l’aide d’un scanner médical, ma conception l’emporta auprès du musée et l’œuvre fut sauvée.