Vrai ou Faux - L’expertise des objets d’arts et de collection. Mosaïque d’articles sur le dépistage des faux, réalisée par une trentaine de spécialistes de l’Union Française des Experts, unique en son genre, ce livre s’adresse aux néophytes, comme aux amateurs avertis. Il aborde des domaines aussi divers que les meubles, la céramique, les objets archéologiques, la peinture, les armes, le verre… montrant quels sont les indices permettant de déceler les faux et relatant l’histoire de faux célèbres. (L’Union Française des Experts – Editions L’Estampille / L’objet d’Art.)
François Bigot et Gilles Perrault
Cette Vierge à l’Enfant romane montre comment l’examen scientifique, en l’occurrence une étude tomographique, peut balayer tout doute quant à l’authenticité d’une œuvre et confirmer une expertise visuelle très favorable. Lorsque j’ai été appelé pour réaliser l’expertise de cette Vierge à l’Enfant, j’ai procédé à cette analyse technique, tout d’abord, et stylistique ensuite, appelant bien évidemment à l’observation de pièces comparatives. Ce qui frappe peut-être avant tout dans cette œuvre, c’est l’extraordinaire concordance dans l’expression physique des deux personnages et surtout dans l’agencement du drapé de leurs habits : une parfaite harmonie s’établit de telle sorte que les plis du vêtement de l’enfant s’inscrivent dans la continuité des plis du vêtement de la mère. La Vierge, elle-même, les bras ouverts, dessine, grâce à l’organisation du plissé de son manteau et à la délimitation de sa bordure, une sorte de niche cruciforme au centre de laquelle vient s’inscrire l’enfant-Dieu, selon l’expression profonde du mysticisme médiéval.
Une statue rare
Dans la première étape de l’analyse, tout semblait correspondre parfaitement, tant par les matériaux employés, que par le mode de réalisation de cette œuvre qui s’inscrit tout à fait dans les normes de l’époque. Même l’observation attentive des injures du temps : petits accidents, usures, traces diverses, donnait un résultat cohérent. L’étude détaillée des galeries formées par les trous de vers offrait également un résultat très logique (traces visibles sous l’ancienne peinture). Dans la seconde étape, il en était de même et cette sculpture, après une étude stylistique approfondie, s’avérait être une pièce du plus grand intérêt, tant par son époque que par sa qualité. Ce qui permettait de dire : cette superbe Vierge-trône (Hauteur 78 cm – Largeur 36 cm) aux bras ouverts pour présenter l’enfant-Dieu, faisant corps avec le siège qui la soutient, se situe dans la suite de la Majesté de Sainte Foy-de-Conques et porte une couronne et une coiffure encore très carolingiennes. Le très beau visage de la Vierge, la position centrale de l’enfant bénissant, le fait qu’il soit amovible, le vêtement au plissé élégamment aplati, tombant assez court sur les chaussures à la forme également bien datable, permettent de situer cette sculpture tôt dans la production de ces Majestés. Elle se démarque du type auvergnat classique, étant vraisemblablement un peu antérieure. Le visage n’est pas sans rappeler celui de la Majesté de Beaulieu-sur-Corrèze. Anciennement amovible, comme sur la plupart de ces sculptures, la tête, réalisée dans le même bois, est coupée et raccordée au corps. On peut ainsi localiser cette rare sculpture dans le complexe du Centre de la France, dans la mouvance des œuvres du Massif Central, aux confins de cette région et la dater de la fin du XIᵉ siècle ou des premières années du XIIᵉ siècle. On observe quelques infimes traces de polychromie. Le dos de la sculpture, creusé, est fermé par une plaque de bois. Cette statue est en très bel état de conservation et présente simplement quelques petits manques (la main bénissant de l’enfant), et quelques restaurations (notamment sur le siège et au niveau du cou de la Vierge).
Cette statue est-elle entièrement constituée d’éléments originaux ?
Des spécialistes ne remettant absolument pas en doute l’origine romane de cette sculpture ont émis certaines réserves concernant les éléments amovibles : la tête de la Vierge et l’Enfant Jésus, tout en étant d’époque, auraient pu provenir d’une autre statue. Ceci étant un exemple des hypothèses qui ont été proposées par les différents observateurs. C’est souvent le genre de questions que l’on peut effectivement se poser en examinant ces sculptures aux parties amovibles. Une modification du système d’attache de l’Enfant, mal analysé dans un premier temps, pouvait poser problème également.
Le doute balayé par la science
Pour clore ce débat, une étude tomographique (examen au scanner) réalisée par le Laboratoire d’Expertise en Objets d’Art – Gilles Perrault –, dissipa les doutes émis quant à l’homogénéité de cette statue. La tête de la Vierge a été sculptée dans le même bloc, dans la continuité du corps comme le démontrent les coupes tomographiques réalisées à la hauteur des épaules et de la tête (coupes n° 47 et n° 50) : la superposition de ces coupes met en évidence la correspondance des cernes annuels. L’enfant est bien issu du même morceau de bois, prélevé certainement vers le cœur (coupe n° 46). Certains y verront peut-être même un aspect symbolique. Des traces infimes de l’ancienne préparation qui se trouvait sous la polychromie d’origine sont visibles en différents endroits à la radiographie scannée de cette Vierge, notamment au niveau de la tête. Ceci exclut également l’éventualité d’un remodelage quelconque de celle-ci. Seules apparaissent sur l’écran, les restaurations que j’ai énoncées précédemment. Un léger bouchage au niveau de la tempe de la Vierge correspond à une ancienne attache dans le dos de l’Enfant qui a été remplacée par un tenon de fixation sur les genoux de la Vierge sur lesquels vient s’adapter le Christ, grâce à un creux prévu à cet effet. Ainsi les explications initiales proposées sont maintenant étayées par une approche scientifique indiscutable de cet objet. Ce qui nous permet de conclure en disant que cette pièce, dont l’état de conservation est excellent et les restaurations infimes, est d’un intérêt majeur et de qualité muséale.