Vrai ou Faux - L’expertise des objets d’arts et de collection. Mosaïque d’articles sur le dépistage des faux, réalisée par une trentaine de spécialistes de l’Union Française des Experts, unique en son genre, ce livre s’adresse aux néophytes, comme aux amateurs avertis. Il aborde des domaines aussi divers que les meubles, la céramique, les objets archéologiques, la peinture, les armes, le verre… montrant quels sont les indices permettant de déceler les faux et relatant l’histoire de faux célèbres. (L’Union Française des Experts – Editions L’Estampille / L’objet d’Art.)
Charles-Marie Laubser et Gilles Perrault
En 1968, le musée du Louvre acquiert une “Bacchanale” attribuée à l’école des Carrache. Après examen, le tableau se révèle être un Poussin. Seize ans de procédures sont nécessaires au jugement et à l’éventuelle restitution pour clore le dossier. Le Laboratoire de Recherche des Musées de France dispose de moyens scientifiques et de banques de données comparatives tels qu’il devient très difficile de tromper dans ce domaine. En revanche, l’analyse, la datation et l’authentification d’un tableau contemporain est beaucoup plus délicate. Peu de techniques s’adaptent vraiment à cette catégorie de peinture récente, et les moyens, qu’ils soient scientifiques, analytiques ou stylistiques, sont limités et souvent subjectifs. Lesquels devons-nous écarter d’emblée ? Quelles informations fiables pouvons-nous “extraire” de peintures récentes afin de leur donner, ou de leur rendre, avec une marge d’incertitude minimum, un âge et une paternité ?
Techniques et méthodes d’examen
Étude de surface. Étude de la touche. Le tableau est d’abord étudié à l’œil nu, toutefois l’emploi de la lumière tangentielle permet de lire plus distinctement l’écriture du peintre (examen de la touche, des empâtements, utilisation des brosses et pinceaux). La macrophotographie (grossissement 10 fois) confirmera les caractères de cette écriture (direction des coups de pinceaux, caractéristiques graphologiques). L’analyse de ces détails, déjà perceptibles à l’œil nu, interviendra dans l’étude générale de l’œuvre, en association avec celles des clichés en lumière tangentielle, lumière au sodium et dans l’ultra-violet. Elle permet ainsi de déceler un réseau de craquelures artificielles (autour de la signature, par exemple). L’examen optique de la couche picturale révèle des états imperceptibles à l’œil nu ; mais la macrophotographie révèle sa texture et ses pigments. L’étude de cette couche picturale permettra une comparaison avec celle d’une banque de données. Étude de la couche picturale. L’emploi de la lumière au sodium réduit considérablement la gamme chromatique. Les couleurs disparaissent au bénéfice de la ligne et du dessin préparatoire. Les écritures cachées (signatures, dates) sont également mises en valeur. Le tracé des dessins préparatoires, et les inscriptions peuvent aussi être révélés par la photographie dans l’infra-rouge, qui facilite également la détermination des pigments. Les photographies dans l’ultra-violet permettent de déceler des interventions d’époques différentes sur un même tableau : vernis anciens et reprises récentes, restaurations, etc. L’emploi des rayons X est possible dans le cas de support et de préparations perméables (épaisseurs et composition). Le bois et la toile se prêtent à l’étude aux rayons X, mais les métaux sont opaques. Ces derniers seront étudiés dans l’infra-rouge et dans l’ultra-violet par un examen de surface. Les bois peints (jusqu’au XVIIᵉ siècle) et les toiles livrent ainsi quantité d’informations quant à leur état de conservation (attaques d’insectes, rentoilages, ajouts de tissus, coutures). La couche picturale elle-même présentera les variations de tons identifiables à des repeints (confirmés par les UV) ou des lacunes. L’étude du style et de l’écriture du peintre révéleront un emploi de la brosse ou une forme de la touche qui permettra une attribution, ou un classement chronologique relatif. Analyse chimique des composants. Elle consiste à déterminer la nature et la texture des composants (pigments, préparation, liants) et leurs valeurs qualitative et quantitative. De nombreuses méthodes requièrent l’emploi d’échantillons. Les prélèvements de matière sont inclus dans de la résine et la microcoupe stratigraphique est examinée au microscope (photo 1). L’identification des éléments entrant dans la composition de la couche picturale peut être réalisée avec la microsonde de Castaing.
L’analyse microchimique permet d’identifier :
Les pigments :
- minéraux : spectrographie IR,
- organiques : chromatophotographie en phase gazeuse.
Les liants :
- résines naturelles : spectrographie IR,
- véhicule aqueux (gommes, colles, caséine), chromatophotographie en couche mince,
- constituants des acides gras : chromatophotographie gazeuse.
Pour les composants minéraux, des indications plus précises sont fournies par l’application de la diffraction par fluorescence X. Les données sont précisées par d’autres techniques telles que la spectrométrie des rayons X, la microfluorescence et la microfluorescence des rayons X, ou la microsonde électronique qui donnent une analyse élémentaire, qualitative et quantitative des échantillons (photo 2).
Utilisation des données. Il ne s’agit pas, bien entendu, d’employer, lors de l’étude d’un tableau, une seule de ces techniques. Le travail consiste à réunir une somme d’informations qui, d’une part, seront comparées les unes aux autres, et d’autre part, seront comparées aux indications connues par ailleurs, concernant les tableaux d’un même artiste, de la même origine géographique ou de la même période historique. L’analyse dans l’ultra-violet peut révéler d’importants repeints, mais l’examen aux rayons X indiquera précisément les limites de la surface qu’on aura à traiter (photo 3).
Dans le cas d’une peinture anonyme, l’examen de microcoupes permettra de comparer la texture d’un pigment (taille, aspect des composants) avec celle d’un tableau dont l’auteur est identifié, permettant ainsi de proposer une attribution. Enfin, la microsonde électronique, qui analyse la composition élémentaire qualitative et quantitative, décèlera sur un tableau prétendu du XVIᵉ siècle, le fer d’un bleu de Prusse (pigment obtenu en 1704) ou le chrome d’un jaune de chrome du XIXᵉ siècle. L’erreur de datation sera incontestable et le tableau déclaré faux.
Comment appliquer ces méthodes aux tableaux récents ?
Le dessin. L’observation de la surface de la couche picturale est facilitée par des éclairages tangentiels parce qu’ils sont révélateurs de la touche du peintre. L’importance en est amplifiée d’autant que les peintres du XXᵉ siècle ont, la plupart du temps, abandonné la technique porcelainée d’époques antérieures, afin d’utiliser les empâtements, les coups de brosse appuyés et marqués profondément dans la matière. L’emploi de la macrophotographie, non destructive, ne fera qu’augmenter les moyens d’investigation et repérer une éventuelle hésitation dans l’écriture du peintre. Les coups de brosse ou de pinceaux devront correspondre franchement aux empâtements et aux irrégularités. Une écriture “pignochée” devra attirer l’attention. De même, le réseau de craquelures apparaît plus clairement. La macrophotographie permet de distinguer une craquelure profonde et nette, traversant le vernis, la couche picturale et parfois la préparation, d’une craquelure artificielle, comblée en cours de fabrication par un vernis généralement assez épais. L’entourage de la signature doit aussi être soigneusement considéré. S’il y a eu repeint sur la signature (ce qui doit, évidemment, éveiller les soupçons), les réseaux de craquelures seront différents (mailles plus ou moins serrées, cassures plus ou moins profondes). L’utilisation de la microphotographie peut s’appliquer à l’examen des composants de la couche picturale. Elle permet, avant tout, d’observer sa texture, élément comparatif fondamental à des époques où chaque peintre, chaque atelier fabriquait ses couleurs. Actuellement, la grande majorité des peintres emploie des produits de fabrication industrielle, donc exactement comparables, même s’ils y mêlent parfois de l’extrait de pomme de terre, du jus d’oignons ou de la peinture pour le bâtiment ! L’analyse de la texture des matières picturales perd, au XXᵉ siècle, une grande partie de son intérêt. En revanche, le dessin préparatoire, décelable à l’aide de lumière au sodium, et les clichés dans l’infra-rouge permettent de reconnaître l’esquisse d’un Maître, en comparaison avec des dessins authentifiés, et de déceler l’écriture hésitante d’un copiste. “Chacun a un mouvement particulier de la main, un tour de pinceau, un caractère de ligne plus ou moins arrondi, plus ou moins franc, plus ou moins étudié, qui, enfin, lui est propre…” (Luigi Lanzi, XVIIIᵉ siècle). La signature elle-même peut faire l’objet d’une étude graphologique. Enfin, l’iconographie peut apporter d’intéressants indices, la plupart du temps des anachronismes grossiers (monuments, mode vestimentaire, coiffure, etc.).
La matière : couche picturale et support. Les photographies dans l’ultra-violet révèlent des repeints, restaurations ou interventions récentes (plus récentes que l’œuvre elle-même). Pour cela, l’analyse par les ultra-violets est plus délicate pour les tableaux récents. Toutefois, ici encore, l’opacité d’un vernis doit éveiller l’attention. Les rayons X révèlent les fausses signatures, les fausses craquelures, parce qu’un faussaire s’attache qu’à copier l’aspect superficiel du tableau. L’analyse physico-chimique de la couche picturale ne peut pas fournir, dans le cas de tableaux récents ou contemporains, de données aussi importantes que les tableaux anciens. L’analyse chimique, l’emploi de la microsonde de Castaing ou la spectrométrie donneront des résultats très fiables, mais inutilisables par comparaison si l’artiste n’a pas employé de mélanges très personnels et de compositions inhabituelles pour fabriquer ses couleurs. Ces techniques permettent également de déterminer l’origine géographique du soufre ou du plomb, et dater les blancs, par exemple, en mesurant leur radioactivité naturelle. Mais là encore, le procédé est inutilisable pour des tableaux trop récents. Étude du support. Le XXᵉ siècle présente une variété très étendue de supports, des plus classiques (panneaux, toiles) aux plus modernes (isorel, contreplaqués). Leur examen permet parfois de resserrer la fourchette de datation ; mais, là encore, les peintres n’emploient plus que très rarement les productions locales (toiles chevronnées de Venise) et les tissages artisanaux ne peuvent plus nous renseigner sur une époque de fabrication. Toutefois, les préparations (quand elles sont présentes entre support et couleurs) aident à cerner l’époque, voire à identifier l’école ou le peintre. L’emploi d’un support métallique, complètement opaque aux rayons X, permet de masquer d’éventuelles imperfections, en tout cas de limiter l’examen (intéressant quand on ne souhaite pas qu’il mène à des conclusions douteuses). Vu la comparaison entre l’inventaire des techniques existantes et l’inventaire des techniques applicables, il est aisé de comprendre que l’identification, l’authentification des tableaux récents et modernes est plus complexe que celle des tableaux plus anciens. Toutefois, il existe une dernière source d’information, inexistante pour les précédents, et qui peut apporter l’élément décisif quant à la reconnaissance ou au refus d’une œuvre : les témoignages.
La valeur des témoignages
Articles, films, interviews. Certains témoignages sont difficilement contestables, tels que les films tournés dans l’atelier du peintre, et présentant diverses œuvres commentées par l’artiste lui-même et dont l’itinéraire a été étroitement suivi depuis leur création. Leur existence est connue d’une collection à l’autre, et aucune “copie” capable de dérouter les experts n’est signalée. Les photographies fournissent également d’utiles renseignements, bien que moins fiables. Publications, articles, interviews contemporains de la vie de l’artiste sont également d’un grand intérêt, lorsqu’ils mentionnent précisément telle ou telle œuvre, puisqu’on a tout lieu de croire que l’artiste, ayant connaissance de ces publications, serait intervenu pour en corriger d’éventuelles erreurs. La famille. Après le décès du peintre, sa famille peut le relayer et se constituer en comité d’étude (cas de la famille Picasso), qui pourra admettre ou contester l’authenticité des tableaux qui lui seront soumis. L’erreur n’est pas complètement écartée, car la descendance du peintre ne peut pas connaître l’intégralité de son œuvre ; toutefois, elle peut identifier la touche, la palette, et mettre en relation une toile découverte avec des propos entendus lors du vivant de l’artiste. Le risque majeur serait la tentation de reconnaître et d’authentifier une œuvre un peu douteuse, mais l’intérêt de la famille est sans doute aussi de préserver la qualité de son jugement, de sauvegarder l’identité d’un peintre en ne “bradant” pas. L’expert. Il doit avoir, bien sûr, parfaite connaissance de la vie et de l’écriture du peintre. Grâce à ce savoir, il saura, par simple observation, réduire considérablement sa fourchette d’incertitude. “Le meilleur copiste, disait Luigi Lanzi au XVIIIᵉ siècle, pourra bien marcher quelques temps sur les pas de son modèle, mais ses coups de pinceau manqueront souvent de hardiesse, ils paraîtront serviles, incertains, pénibles, et il ne pourra cacher pendant longtemps la pente naturelle qui lui fera mêler sa manière à celle du Maître, dans les choses surtout auxquelles on attache moins d’importance comme les cheveux, les fonds, les plans reculés.”Au XIXᵉ siècle, Morelli parle de “l’écriture mécanique” du peintre : détail auquel l’artiste n’attache pas d’importance, et qui donne lieu à une répétition mécanique, stéréotypée, qui traduit son auteur.L’exemple du traitement des ongles, des fonds sombres, des plis est significatif. D’une toile à une autre, ces éléments secondaires mais apparents, présentent des caractéristiques pratiquement immuables, et prouvent une aisance et une vivacité du traitement que n’a pas acquises le faussaire, tout occupé à rendre crédible l’aspect, mais oubliant la texture. Même remarque pour la signature.Pour déceler ces éléments, l’expert ne peut se contenter d’une connaissance approximative de l’œuvre. Cette connaissance permet, dans le même ordre d’idées, de déceler des montages d’éléments disparates, empruntés à diverses œuvres du peintre que l’on veut imiter, copiés et rassemblés en une composition “originale”. C’est le faux “pastiche”. Pour conclure, nous mentionnerons divers aspects de l’expertise psychologique, laissant une part importante dans la lecture et l’interprétation du tableau, aux caractères psy du peintre. Arnheim, Gombrich ou Ehrenzweig parlent de psychologie de la perception, alors que Kligender et Hauser préfèrent la sociologie, et Kubler la perspective ethnologique. Kris se tourne vers la psychanalyse. Enfin, l’iconographie et l’iconologie, prônées par Warburg ou Panofsky, révèlent nombre d’erreurs grossières (anachronismes, par exemple) qui écartent toute possibilité d’authentification. Conclusion : la prudence…
VRAIS
- Deux parecloses polychromes fin du XVIIIᵉ siècle. Chutes de fruits et légumes sur chêne.
- Dessin aquarellé de Jean Bérain sur papier. Projet de costume pour Monsieur de Biffe, deuxième prince de Chine dans “Mascarade du roi de la Chine” représentée à Marly devant le roi en 1700.
- Cadre fin XVIIᵉ en chêne sculpté et doré.
- Tableau de Jongkind, huile sur toile, “Le Merveede à Dordrecht” 1877.
- Tableau de Van der Neer, huile sur chêne, circa 1640. Clair de lune.
- Trophée doré, fruits dans coquille saint-jacques, chêne doré à la feuille d’or.
- Panneau provenant d’un lambris fin XVIIIᵉ, dorure restaurée à l’eau.
- Assia, plâtre d’atelier de Charles Despiau, 1930.
- Quatre lampes à huile antiques en terre cuite d’Égypte.
- Objets de toilette en argent massif, début XXᵉ.
- Objets de toilette en vermeil, début XXᵉ. Assiette au ballon, Nevers fin XVIIIᵉ.
- Chaise Napoléon III, dorée et laquée en noir.
- Pendule 1er Empire.
FAUX
- Masque de fontaine XVIIIᵉ en bronze, copie XXᵉ.
- Vase grec en terre cuite, copie fin XIXᵉ.
- “Plage à Deauville” signé SS, pastiche XXᵉ d’Eugène Boudin.
- Candélabre Louis XV en tilleul sculpté et doré, copie fin XXᵉ.
- Vase cornet en faïence de Desvres, copie XIXᵉ.
- Pichet en étain, pastiche XXᵉ.
- Jardinière en faïence de Desvres, copie fin XIXᵉ.
- Assiette début XXᵉ, pastiche d’une scène d’intérieur.
- Pleurant en chêne ciré, copie fin XXᵉ du tombeau des Ducs de Bourgogne.
- Lampe 1er Empire en tôle peinte, copie début XXᵉ.
- Cadre hollandais en fausse écaille et fausses moulures en ébène, copie fin XIXᵉ.
- Cadre régence en plâtre doré à la feuille d’or, copie fin XIXᵉ.