Yvonne Trénard déchiffre n’importe quel bois. En l’observant droit dans les cernes.
Thierry Faradji
Yvonne TRÉNARD est dendrochronologue. Ce métier à énigmes lui permet d’identifier l’essence de n’importe quel bois, de découvrir ses dates de naissance et d’abattage, ainsi que son origine géographique. Un talent exceptionnel, qui place cet ancien chef du Laboratoire d’anatomie des bois au premier plan pour effectuer des expertises d’œuvres anciennes, sculptures, retables, autels ou charpentes. Deux investigations sont menées, selon les besoins : l’identification et la datation.
L’identification est fort utile pour les historiens. Yvonne TRÉNARD découvrit pour eux que le crayonnage noir des grottes préhistoriques était réalisé au charbon de bois, et non à l’os brûlé. L’identification sert aussi aux enquêtes judiciaires. Le ravisseur du fils de Lindbergh fut démasqué parce qu’il avait abandonné sur les lieux de son crime une échelle de bois provenant de la scierie où il travaillait...
« J’identifie une essence à partir d’un prélèvement minuscule observé au microscope. Les ponctuations et les ornementations du bois me permettent de comparer son empreinte à mes archives, puis de le nommer. Un indice supplémentaire d’expertise pour les panneaux peints non signés des primitifs, dont le bois était généralement coupé dans la région d’utilisation. Rembrandt van Rijn, Pierre Paul Rubens et Pieter Brueghel l’Ancien peignirent leurs clairs-obscurs sur du chêne et du noyer très typiques, alors que le sourire de la Joconde est couché sur du peuplier. »
Seconde spécialité scientifique d’Yvonne TRÉNARD : la datation du bois. Cet indice confirme la date de création d’une œuvre grâce à une lecture savante des cernes d’un tronc.
« Durant chaque année de sa croissance, l’arbre européen s’épanouit selon les variations de climat et d’environnement de sa zone géographique. En bref, une année favorable provoque un cerne large et une mauvaise année un cerne étroit. Au-delà de leur nombre, qui matérialise visuellement l’âge de l’arbre, leur épaisseur est donc un véritable “enregistrement”, quasi équivalent pour toutes les espèces identiques d’une même région. Je mesure précisément chacun d’eux, au dixième de millimètre. Avec cette succession de calculs, l’ordinateur établit une courbe signalétique, qu’il compare ensuite aux innombrables courbes engrangées dans sa mémoire. Lorsque deux diagrammes se superposent, nous détenons un point de repère chronologique. Les cernes se transforment alors en calendrier et nous dévoilent les anniversaires de l’arbre jusqu’à son année d’abattage. La datation définitive est d’autant plus fiable que l’échantillon analysé a conservé l’aubier, partie tendre juste sous l’écorce, certifiant ainsi l’intégralité d’un tronc. »
Des carottages d’arbres « témoins » encore vivants furent effectués en guise de référence dans toutes les grandes forêts européennes. Si nous ne possédons pas ces pins américains vieux de quatre mille ans, nous conservons néanmoins quelques chênes âgés de cinq cents ans. Leurs petits frères arbrisseaux ont immortalisé les boiseries de nos plus beaux châteaux. Leurs cernes accusent le poids des siècles.