Jeanne Faton-Boyancé et Gilles Perrault
Qu'il s'agisse des Noces de Cana par Véronèse, de l'arc de triomphe ou du château de Versailles voué à un perpétuel rajeunissement, la restauration des monuments et objets d'art attire sans cesse l'attention des médias, bénéficie des fruits du mécénat et est devenue une des priorités du ministère de la Culture français. Longtemps le restaurateur se recrutait parmi les artisans et se spécialisait dans les techniques anciennes, refaisant à l'identique la partie détériorée ; longtemps aussi on s'est contenté d'appliquer sur les œuvres que l'on possédait des recettes de grand-mère — qui n'a pas connu le funeste décrassage des tableaux à la pomme de terre ? — sans faire appel à un professionnel ni se soucier de l'efficacité dudit remède. Aujourd'hui cela change. À la notion de restauration s'est ajoutée celle de conservation, une déontologie est apparue, et il n'importe qui peut tenir un atelier en s'intitulant restaurateur, des écoles et des formations sont nées ; elles offrent une garantie sur la compétence de celui à qui vous allez confier votre tableau ou objet à restaurer. Certes la situation est loin d’être claire. Les définitions même de “restauration” et “conservation” sont polémiques selon les écoles ; les pays, ne présentent à la veille de 1992 aucune homogénéité en ce domaine, et l’intervention des différents restaurateurs peut être sans commune mesure : à titre d’exemple, comparons le bel et vaste exercice de trateggio du Christ de Cimabue, aux tons flambant neufs de certaines toiles de David exposées récemment au Louvre et venues des musées américains ! Mais devant la vogue que connaissent actuellement les métiers d’art, nous avons voulu présenter les différentes voies qui s’offrent aux futurs restaurateurs, et leurs débouchés. Quatre formations ont retenu notre attention : l’école Boulle, la MST, l’IFROA, les écoles de Tours et d’Avignon ; nous traiterons aussi des écoles privées et, voie empruntée par une grande majorité, la formation sur le tas.
Écoles, formations et débouchés
L’École Boulle, Légende et réalité
L’école Boulle dépend aujourd’hui du ministère de l’Éducation nationale. Créée en 1886 – c’est la plus ancienne des formations recensées –, elle fut placée sous le patronage d’André-Charles Boulle, “premier ébéniste” de Louis XIV. Le brevet royal le qualifiait à la fois “d’architecte, de peintre, de sculpteur en mosaïque, de graveur, de ciseleur et d’inventeur de chiffre…”. Ce sont encore ces spécialités qu’enseigne l’école Boulle, avec une ouverture nouvelle sur les métiers modernes de l’ameublement, tels que le moulage plastique, la fabrication industrielle du mobilier... 670 élèves sont ainsi répartis dans 17 spécialités différentes et 260 environ ont choisi les métiers d’art, à savoir pour les métiers du meuble : l’ébénisterie, la marqueterie, le décor et traitement de surface, la menuiserie en siège, la tapisserie, la sculpture sur bois ; pour les métiers du bronze : la ciselure, la monture, le tournage ; pour ceux de la gravure : la gravure ornementale et en modelé.
Depuis 1984, la formation se fait en deux temps, trois années de formation de base, puis deux années de formation qui débouchent sur le DMA (Diplôme des métiers d’art, équivalent au niveau BTS). Les élèves rentrent à la sortie de la classe de 3ᵉ sur concours, à l’âge de 15 ans environ, et obtiennent leur DMA vers 20/21 ou 22/23 ans. Ils peuvent aussi s’arrêter après les trois années de formation de base.
L’école accueille aussi sur concours les bacheliers, leur offrant une année de mise à niveau puis deux ans menant au DMA.
Les principaux critères de sélection sont un bon dossier scolaire en général, une forte motivation de l’élève et des aptitudes artistiques prometteuses. Gilbert Wyck, proviseur, affirme qu’il n’y a pas de préparation à l’école Boulle et que les instituts privés qui se présentent comme tels sont souvent onéreux et peu sérieux : “L’école est et veut rester un établissement de formation initiale, un solide tremplin de départ”.
Néanmoins, vu la sélection à l’entrée, entre 5 et 10/100 de reçus au concours, il vaut mieux mettre toutes les chances de son côté, en suivant par exemple pendant un an les cours du soir de l’école. Mais là encore la sélection est importante au vu de la demande.
L’école Boulle ne prépare pas directement aux métiers de la restauration d’art, même si elle a déjà formé des générations d’ébénistes, marqueteurs, sculpteurs qui sont devenus des restaurateurs réputés. Les 30 à 35 jeunes qui obtiennent chaque année leur DMA peuvent, s’ils le désirent, se spécialiser en restauration dans les disciplines enseignées à l’école, soit en apprenant sur le tas chez des particuliers, soit en rentrant à l’IFROA ou à la MST, soit en faisant des stages de formation professionnelle continue dans les instituts français ou étrangers.
Les dirigeants de l’école Boulle déplorent cette absence de spécialisation, souhaitant que l’Éducation nationale prenne la décision de créer après le DMA une formation complémentaire de restauration d’art. Ils ont par ailleurs élargi l’enseignement, cherchant à améliorer le niveau général, tout en diminuant le nombre d’heures de cours : jusqu’à 60 heures dans les années 60, puis 45 à partir de 1968 et 35 aujourd’hui.
Cette réduction d’horaire s’est faite au détriment de l’enseignement technique, ce qui explique qu’aux dires de certains ébénistes des générations précédentes les jeunes diplômés n’ont plus actuellement le niveau de qualification et le tour de main qu’ils avaient autrefois, si nécessaires à la pratique des métiers traditionnels.
Ce changement d’orientation fait que l’école forme surtout des techniciens supérieurs de l’ameublement ou même d’excellents “designers”, mais qui risquent d’avoir toutes les peines à s’adapter à la réalité de l’établi (30 % seulement des bons élèves sont placés dès leur sortie et gagnent après cinq ans d’étude à peine plus du SMIC dans le secteur de la restauration). Il leur faut donc beaucoup de courage et d’humilité pour reprendre le métier à sa base chez un bon professionnel, en suivant la formation continue de l’IFROA, ou en y rentrant comme élève. Signalons que dans ce dernier cas, seule la section sculpture est ouverte, et non plus celle d’ébénisterie.
Seule formation universitaire : La MST
La maîtrise de science et technique est la seule préparation à la restauration-conservation qui soit universitaire, sanctionnée par un diplôme national. Elle a été créée en 1973 par l’UFR d’Art et d’Archéologie de l’Université Paris I, Panthéon-Sorbonne. La durée du cursus est de quatre ans, deux années d’enseignement général dites de “certificats préparatoires” puis deux années de maîtrise ou de spécialisation dont la dernière de stages.
L’enseignement pour la formation commune porte essentiellement sur les disciplines scientifiques (chimie, physique, biologie, techniques d’analyses scientifiques des œuvres d’art) ou ayant trait à la conservation (initiation, prévention, étude des différents matériaux...) auxquelles il faut ajouter des travaux pratiques, du dessin et les matières à option selon la spécialité choisie. Celle-ci peut être soit objet, soit peinture de chevalet. Soulignons que la MST cherche le plus possible à s’adapter au projet des étudiants ; si l’un d’eux désire se spécialiser par exemple dans la restauration de photographie, on cherchera à lui faire suivre les cours appropriés.
Comment s’inscrit-on à la MST ? Ou plutôt comment est-on sélectionné ? Car sur les deux cents candidats qui se présentent chaque année, une vingtaine seulement est retenue, dont 50 % d’étrangers.
Pour se présenter il faut avoir le niveau Bac + deux années d’études supérieures (ou DEUG), posséder des aptitudes artistiques et une bonne connaissance de l’histoire de l’art. Si le DEUG a été obtenu en science, les étudiants sont dispensés de l’enseignement scientifique durant les deux premières années mais doivent acquérir le niveau DEUG en histoire de l’art.
Un examen de candidature sélectionne les dossiers, puis un entretien juge de la motivation de l’intéressé.
La sélection (souvent les étudiants se présentent 4 ou 5 années consécutives avant d’être admis) et le niveau requis font que la moyenne d’âge d’entrée est de 24/25 ans et celle de sortie d’une trentaine d’années environ.
Ce cursus tardif n’est pas toujours facile à gérer pour les étudiants qui doivent travailler avant, et pose le problème de la formation professionnelle continue pour ceux qui, par exemple, travaillent déjà dans un musée. Il est en effet difficile d’accepter un emploi de débutant dans le privé pendant un ou deux ans avant d’être rentable quand on a 30 ans !...
On a reproché à la MST d’être le parent pauvre de l’IFROA et d’assurer une formation essentiellement scientifique plutôt que pratique.
La première critique est, selon Marie Berducou, fondée ; l’écart entre les moyens dont disposent l’IFROA et ceux de la MST reste considérable, bien que les ambitions de monopole de l’IFROA se soient assagies. Au deuxième reproche, la responsable de la MST argue que ce qui a caractérisé la formation dès ses débuts était d’être à l’écoute des critiques pour toujours s’améliorer : “L’étudiant au fil de son cursus fait de plus en plus de travaux pratiques, néanmoins, le but de la MST n’est pas de lancer sur le marché des professionnels avertis mais des gens qui ont tout le potentiel pour le devenir. La formation théorique que l’on ne peut acquérir pleinement que pendant les années d’étude est primordiale ; elle donne les principes déontologiques les fondamentaux et les réflexes de bases que l’expérience vient compléter après.”
L’enseignement scientifique dans ce cadre est important ; maîtrisé, il permet justement d’éviter par la suite les dangers du scientisme.
Disposant effectivement de subventions moindres que celles de l’IFROA, n’ayant jamais bénéficié, selon ses étudiants, du favoritisme qui a pu permettre “au restaurateur sorti de l’IFROA de recevoir le concours d’agrément des musées nationaux tout en étant dispensé des épreuves”, la MST voit son image de marque s’améliorer d’année en année, entretenant de bons rapports avec les musées français et étant très apprécié à l’étranger. Deux atouts la caractérisent : l’excellence de sa formation à la restauration des objets archéologiques, unanimement reconnue ; la grande diversité et qualité des stages qu’elle procure à tous ses étudiants, dans des instituts renommés, constituant à eux seuls une référence. Citons à titre d’exemple l’ICCROM à Rome, l’IRPA à Bruxelles, le Rijsk museum d’Amsterdam, l’Opificio de Florence ou plus près, Beaubourg, la BN, le musée de Sèvres...
Stages en poche, les étudiants trouvent tous un travail dans la restauration (il n’y a que 2 à 3 abandons par promotion), que ce soit dans les musées nationaux ou dans les grands laboratoires de restauration français ou étrangers.
La Charité d’Andrea Del Sarto
Cette œuvre passait, avant qu’on ne prenne la décision de la restaurer, pour une “ruine chargée de repeints”. Elle avait depuis sa réalisation pour François Ier été transposée ou réentoilée pas moins de quatre fois, entre autres interventions !
La préparation originale blanche ne subsistait plus, la couche colorée reposait sur la couche brune de la première maroufle effectuée en 1750. Les analyses et l’enlèvement des repeints ont dévoilé une couche picturale lumineuse, incroyablement intacte en regard de ce qu’elle avait subi.
L’IFROA, Voie royale à restaurer ?
La création en 1977 de l’Institut Français de Restauration des Œuvres d’Art répondait à un manque : il n’y avait pas en France d’institut de prestige de la restauration tels qu’ils en existaient à l’étranger. Depuis 1978, l’IFROA dispense deux types de formation, la formation initiale et la formation permanente.
La formation initiale
Elle dure quatre ans ; elle est accessible sur concours pour des candidats âgés de 20 à 30 ans, sans condition de diplôme. Six départements existent : arts graphiques, arts textiles, objets d’art, peinture de chevalet, peinture murale, sculpture, plus une section commune assurant les enseignements scientifiques, mais tous les départements ne sont pas ouverts au concours chaque année.
L’enseignement s’articule autour de trois disciplines, l’histoire, la pratique de la restauration et la science. Les trois premières années sont successivement consacrées à l’étude des matériaux constitutifs des œuvres d’art, au diagnostic et à la connaissance des altérations, au traitement, puis l’étudiant prépare en quatrième année son mémoire pour la soutenance de son diplôme homologué au niveau d’une maîtrise.
Le pourcentage d’admission au concours, composé d’épreuves théoriques, pratiques et d’un entretien avec le jury, varie selon les départements. Vingt élèves peuvent être accueillis chaque année, plus cinq étudiants étrangers, boursiers de leur pays. La spécialité la plus demandée est la peinture de chevalet où une dizaine de places sont offertes pour une centaine de candidats.
D’autres disciplines sont plus accessibles, comme la sculpture ou la photographie, satisfaisant près de 60 % des demandes. Le haut niveau du concours fait que souvent les candidats s’y présentent 3 ou 4 fois avant de réussir et qu’il est conseillé de s’y préparer d’arrache-pied. Il n’y a plus actuellement de préparation officielle à l’IFROA, mais certains élèves viennent de l’école Boulle, ou ont déjà fait une première année à l’école d’Avignon, ou encore se sont fait aider par un restaurateur qui connaît l’Institut.
L’IFROA a connu un démarrage fracassant, ne cachant pas ses ambitions de monopole sur le monde de la restauration. Dès sa création, ses étudiants bénéficièrent de conditions privilégiées : allocation mensuelle de 2 000 F, qualité et intérêt didactique des pièces à restaurer provenant toutes de collections publiques, pas de problème de matériel ni de subvention, reconnaissance des services de restauration des Musées de France qui les accueillaient à bras ouverts.
Mais il semble qu’aujourd’hui cet Institut de haut niveau connaisse une crise de croissance, due en partie à des locaux exigus, des remises en question de son fonctionnement interne ainsi que de ses programmes. Ses élèves ne seront plus pris en priorité dans les ateliers d’État. L’IFROA pratique une politique d’ouverture tous azimuts ; certains cours sont donnés en commun avec ceux de la MST.
La formation permanente
Elle est destinée aux restaurateurs exerçant leur profession depuis plus de quatre ans. Elle comprend des séminaires payants théoriques et pratiques d’une à deux semaines. Un certificat d’assiduité est délivré à chaque stagiaire à l’issue de chaque cession. Les frais de ces stages peuvent être pris en charge par la formation professionnelle.
Les thèmes des stages portent sur des points précis de la restauration, tels que les techniques de réintégration ou de réentoilage pour la peinture de chevalet, le perfectionnement aux techniques de la dorure, la climatologie, l’étude des colles, adhésifs, consolidants…
Les écoles régionales, Avignon et Tours
Avec le renouveau d’intérêt pour la restauration et la création de l’IFROA en 1976, diverses formations à la restauration sont apparues en province dans le cadre des écoles des Beaux-Arts, souvent conçues à l’origine comme des préparations à l’IFROA avant de devenir des formations à part entière.
Deux seulement ont pris corps et ont été reconnues par le Ministère de la Culture : l’école d’Avignon et celle de Tours. La première prépare à la restauration des peintures de chevalet, la seconde à celle des sculptures ; leurs cycles ont respectivement débuté en 1981/82 et en 1983.
Le cursus qu’elles proposent est similaire : l’admission sur concours comprend des épreuves théoriques, pratiques et un entretien avec le jury, avec une limite d’âge maximale de 30 ans à Avignon et minimale de 20 ans à Tours. Viennent ensuite quatre années de formation, la première axée sur la théorie, les trois autres consacrées à la pratique de la restauration. Un diplôme sanctionne le tout : l’étudiant présente un dossier ou mémoire sur une œuvre qu’il a restaurée et qui lui a fourni un sujet de recherche intéressant.
4 à 6 élèves sont recrutés par promotion, petit nombre voulu par les directeurs des écoles pour être sûrs d’emmener tous leurs étudiants au diplôme et de leur offrir un enseignement de qualité. La moyenne d’âge d’entrée est de 21/23 ans et, là encore, il est conseillé de se préparer sérieusement au concours en se rendant sur place, en étudiant la bibliographie conseillée et, à Avignon, en faisant une année d’art plastique avec option restauration. Les étudiants qui achèvent leur cursus avec succès trouvent à travailler sans problème dans la restauration.
Ces écoles, dont le programme d’enseignement a été au départ établi en collaboration avec l’IFROA, ont eu du mal à se faire reconnaître parce qu’elles proposaient initialement un cycle d’étude plus court et qu’on leur reprochait certaines carences dans leur enseignement. De ce fait, elles se heurtaient aux conservateurs des Services de Restauration des Musées Nationaux et des Musées Classés et Contrôlés qui ne voyaient en leurs diplômés que des “techniciens” supérieurs de la restauration, les “ingénieurs” étant les élèves de l’IFROA et de la MST.
Sans s’interroger sur le bien-fondé d’une telle distinction, on peut remarquer que le niveau de ces écoles va s’améliorant. Tours a été la première à faire l’unanimité, sachant s’entourer d’un jury de très haut niveau pour la soutenance des diplômes, bénéficiant de vastes locaux aux conditions climatiques satisfaisantes, et surtout obtenant, grâce à divers accords, des œuvres à examiner et à restaurer d’un grand intérêt pédagogique.
Avignon en revanche conserve quelques difficultés à se procurer des peintures de qualité et didactiques pour les étudiants. Ses locaux, insuffisamment isolés en attendant la rénovation prochaine de l’école, n’offrent pas, il est vrai, les conditions idéales à l’accueil d’œuvres d’art.
Mais Avignon semble avoir pallié le principal reproche qui lui était adressé dans un rapport établi pour le ministère de la Culture par France Dijoud, Michel Parré et Jacques Hourrière il y a deux ans environ : l’incompétence de ses professeurs en ce qui concerne la restauration de la couche picturale. Elle a modifié son corps enseignant et est considérée avec Tours comme une préparation formant des restaurateurs de haut niveau, mentionnée à ce titre sur les plaquettes publicitaires de la Direction des Musées de France.
L’IFROA
Cinq départements seront ouverts au concours en septembre 90 : arts graphiques, peinture de chevalet, sculpture, photographie et objets d’art.
Des élèves de 3ᵉ année, département objets d’art, art du feu, en travaux pratiques : les méthodes électrochimiques appliquées aux œuvres d’art. Ce cours est assuré par l’EDF.
L’école d’art d’Avignon
Après une intervention de Daniel Buren ! Le rapport établi il y a deux ans pour le Ministère de la Culture soulignait l’ambiguïté qu’il y avait pour des formations à la restauration de se trouver au sein d’une école d’art contemporain ; le métier de restaurateur étant maintenant bien distinct de celui d’artiste peintre ou sculpteur. Les deux directeurs des formations régionales ont réglé chacun très différemment à cette question : à Tours, arts plastiques et restauration sont deux sections bien distinctes et cloisonnées ; à Avignon elles sont jugées complémentaires : les plasticiens ouvrent l’esprit des restaurateurs sur les œuvres sur lesquelles ils travailleront demain et les restaurateurs montrent aux plasticiens l’importance d’une technique solide.
A Tours
Le cycle de restauration des sculptures. La section restauration de l’école a chacun d’avoir à sa disposition une magnifique annexe réservée à la restauration, située à l’angle du Petit-Saint-Martin, entièrement rénovée et très bien aménagée. On voit ici l’atelier de modelage.
Écoles ou instituts privés : Méfiance !
La plus grande prudence est à observer dans ce domaine car il n’y a pas à notre connaissance en France de formation privée débouchant directement sur la restauration qui soit reconnue pour la qualité de son enseignement et fasse référence comme l’IFROA, la MST et les écoles régionales d’Avignon et Tours.
De nombreuses écoles privées se sont créées récemment à Paris avec pour certaines des filiales en province ; elles assurent un enseignement général préparant aux professions du marché de l’art, mais ne forment pas des restaurateurs. Parmi celles qui offrent des cours pratiques en atelier, l’IDETH (Institut d’Études Techniques Historiques des Objets d’Art) est la seule dont le diplôme soit en voie d’agrément par le Ministère de la Culture, avec lequel elle est en pourparler pour avoir à la rentrée scolaire 90 une section préparatoire à l’IFROA. Elle n’a cependant pas pour objectif principal la restauration, même si son enseignement fait une large part aux techniques anciennes et aux problèmes de conservation, avec des professeurs de l’IFROA ou restaurateurs agréés par les musées et les Monuments Historiques. Créée en 1987, l’IDETH bénéficie des subventions accordées par la formation professionnelle continue (1).
Les autres écoles privées et ateliers payants que l’on peut recenser échappent à tout contrôle de l’État et ne peuvent donc prétendre officiellement à former des restaurateurs reconnus par les musées. Il faut bien faire la différence entre les écoles structurées avec des professeurs et des ateliers s’intitulant “école”, dirigés par des artisans qui n’ont pas toujours la pédagogie et l’objectivité nécessaires.
La qualité de tels établissements reste toujours difficilement perceptible. La meilleure chose à faire est encore de se renseigner directement auprès des élèves.
Le long parcours de l’autodidacte
Une des conclusions que l’on pourrait tirer de la présentation de ces diverses formations est la longueur du cursus et le début tardif de l’étudiant dans la vie active, entre 25 et 30 ans.
Certains n’ont pas la possibilité de faire des études importantes, rentrant sans bagage dans un atelier, débutant au bas de l’échelle avec toutes les contraintes que cela peut impliquer. D’autres connaissent, la trentaine approchant, une vocation tardive de restaurateur.
Quels conseils donner à ces jeunes et moins jeunes qui, s’ils conservent une infime chance de travailler un jour pour les musées et les services d’État, ne le pourront qu’après un long parcours ?
D’abord faire preuve d’une motivation à toute épreuve. Ensuite, lorsque l’apprentissage de la technique des objets à restaurer est sanctionné par un CAP, s’atteler à franchir cette étape - de nombreux lycées d’enseignement professionnel ou écoles y préparent très bien, comme le Passage de la Bonne Graine à Paris ou l’École de Tournai en Belgique -(2).
Puis chercher sa première place sans jamais désarmer et sans hésiter à forcer un peu les portes lorsqu’on sent que cela est possible. La qualité des travaux réalisés par l’employeur va influencer directement l’autodidacte. Aussi celui-ci a-t-il intérêt à se faire embaucher chez un bon restaurateur, réputé et pédagogue. Mais encore faut-il connaître un peu le monde de la restauration, car, rappelons-le, peut s’intituler restaurateur qui veut... Les aides à l’embauche accordées par l’État sont loin d’être négligeables et le demandeur d’emploi doit les connaître afin d’en informer son éventuel employeur. Embauché, il pourra suivre les cours de formation professionnelle ou faire des stages dans les instituts français ou étrangers, pour enfin s’installer à son compte et peut-être obtenir la reconnaissance des musées ou des Monuments Historiques.
Le parcours de l’autodidacte est moins sécurisant et plus contraignant que celui des diplômés d’instituts ou d’écoles, mais il reste le lot d’une grande majorité.
VERSAILLES
Dans la campagne de restauration du château de Versailles qui s’est achevée en 1986, plusieurs partis pris ont été adoptés. Les attiques du Midi et du Nord ont été remis en état et laissés tels qu’on les avait transformés au XIXᵉ. Les salles du rez-de-chaussée du corps central du château dont les éléments du décor du XVIIIᵉ subsistaient dans les réserves ont été restaurées telles qu’elles étaient en 1789.
Dans certaines pièces, les lacunes du décor originel ont été comblées par des tentures ou des panneaux simplement moulurés, dans d’autres, comme dans le cabinet de la Dauphine ou la bibliothèque du Dauphin, le décor a été refait à neuf et à l’identique à 50 %.
D’aucuns furent choqués par cette dernière solution, la trouvant peut-être trop clinquante et arguant que la patine et le coup de main du XVIIIᵉ sont irremplaçables. Cette reconstitution à l’identique est celle que pratiquent très souvent les pays anglo-saxons.
Quels débouchés ?
Les écoles sont des tremplins qui permettent aux individus, selon leurs propres capacités, d’entrer avec plus ou moins de facilité dans le monde du travail, et ne sauraient en aucun cas remplacer vingt ou trente années d’expérience.
Indépendamment de la qualité de leur enseignement, l’IFROA, la MST, les écoles d’Avignon et de Tours, tissent autour de leurs élèves un cocon douillet et dogmatique où la réalité des impératifs économiques et administratifs est absente.
Le jeune restaurateur qui veut par exemple travailler pour une Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) sait-il qu’il lui faudra patienter plus d’un an, parfois, avant que sa facture soit réglée, alors que d’autres comme celles de Nantes ou d’Angers, modèles de promptitude, le payeront en moins de trois mois ?
S’il établit un devis pour les Monuments Historiques, celui-ci sert pour la demande de financement que l’inspecteur adresse au ministère ; il revient accepté dans le meilleur des cas l’année suivante, après être passé dans les services de la DRAC, de l’Inspection des Monuments Historiques et de la trésorerie. En comptant en moyenne six mois pour recevoir l’ordre de service, plus six mois pour la réalisation, plus six mois pour le paiement, auxquels s’ajoutent les douze précédents, le restaurateur averti doit prévoir dans son devis initial un décalage des prix de deux ans et demi ! Ces exemples, le jeune restaurateur diplômé les apprend sur le tas ; il doit s’initier seul aux rouages de la comptabilité et de la gestion d’entreprise qu’aucune des quatre formations citées n’enseigne. Confronté à la nécessité de travailler, il décide de son propre chef de satisfaire ou non le particulier dont la demande peut aller d’une intervention conforme aux principes déontologiques à un bricolage destiné à maquiller avantageusement l’œuvre...
La publicité réalisée depuis une décennie sur la restauration grâce à la loi programme, a provoqué beaucoup de vocations pour peu d’élus. Notre patrimoine artistique reste si conséquent que l’État et ses commis resserrent toujours les cordons de la bourse, révisant les prix à la baisse. Ceci favorise une concurrence axée parfois plus sur les prix que sur la qualité du travail. Mais cette constatation n’est pas nouvelle, ni réservée au domaine de la restauration. La dure réalité et les choix auxquels se trouvent confrontés les restaurateurs expliquent pourquoi les élèves de l’IFROA et de la MST se réfugient de préférence au sein des institutions administratives, comme les ateliers du Musée du Louvre et des Musées Classés et Contrôlés.
Restaurateur privé au service des musées
Avec un statut d’artisan ou de profession libérale, le restaurateur, tout en conservant son propre atelier dans ses locaux pour y accueillir une clientèle privée, peut travailler pour deux services de restauration des Musées de France :
Le Service de Restauration des Peintures des Musées Nationaux (SRPMN)
C’est là que sont restaurés tous les tableaux du musée du Louvre. Les conservateurs chargés de l’encadrement distribuent les tâches selon les aptitudes des restaurateurs tout en tenant compte de la concurrence des prix. Le travail s’effectue pour des raisons de sécurité dans les ateliers du service situés au Louvre et à Versailles. Nathalie Volle est le conservateur en chef de ce service. C’est au restaurateur de trouver le juste milieu entre la demande des particuliers et celle des musées, afin de ne se faire oublier ni par les uns ni par les autres.
Le Service de Restauration des Musées Classés et Contrôlés (MCC)
Établi dans les petites écuries du Roy à Versailles, ce service est dirigé par France Dijoud. Il restaure, comme son nom l’indique, toutes les œuvres des Musées Classés et Contrôlés, tant peintures que meubles, sculptures, céramiques… Les conservateurs peuvent soit envoyer dans cet atelier leurs pièces à restaurer soit faire déplacer le restaurateur in situ dans le musée. Ils bénéficient alors d’une aide financée par l’État, compensant difficilement, selon certains, des délais de restauration étonnamment long, et un coût beaucoup plus élevé. Les frais de déplacement vers la province d’un restaurateur en poste à Versailles au service des Musées Classés et Contrôlés peuvent représenter une charge importante. Pour ces raisons et aussi pour rester libre du choix du restaurateur, de nombreux conservateurs préfèrent confier directement la restauration de leurs objets à un professionnel non agréé du Service de Restauration des Musées Classés et Contrôlés, mais travaillant par exemple pour les Monuments Historiques.
Le recrutement : ancien et nouveau régime
Jusqu’à l’année dernière, on entrait sur concours dans le Service de Restauration des Peintures des Musées Nationaux. Les candidats qui s’y présentaient étaient issus soit de l’IFROA, soit de la MST, soit de l’École d’Avignon. Le Service de Restauration des Musées Classés et Contrôlés recrutait ou agréait sur dossier ; seuls les titulaires de certains diplômes avaient le droit de postuler à savoir, pour les diplômes français, ceux de l’IFROA et de la MST.
À partir de juillet 1990, ainsi que l’explique Alain Erlande-Brandenburg dans l’entretien qu’il nous a accordé, un examen d’habilitation sera mis en place par la Direction des Musées de France commun aux deux services, couvrant dans plusieurs disciplines, non seulement la peinture, mais aussi le textile, la sculpture, etc. Pourront s’y présenter les restaurateurs diplômés de l’IFROA, de la MST, de l’école d’Avignon et de celle de Tours ainsi que ceux bénéficiant déjà de cinq ans d’expérience professionnelle ; en seront dispensés les restaurateurs confirmés ayant travaillé pour l’un des deux services entre le 1er janvier 1987 et le 31 décembre 1989. Les restaurateurs habilités d’office ou reçus à l’examen travailleront ensuite indifféremment pour les Musées Nationaux ou les Musées Classés et Contrôlés.
Après une période probatoire de 18 mois, ils figureront sur une liste d’aptitude consultable à la Direction des Musées de France. Les conservateurs des Musées Classés et Contrôlés qui feront appel à des restaurateurs habilités bénéficieront des mêmes subventions qu’auparavant. Les sessions d’examen pour les différentes disciplines se répéteront tous les deux ans et un restaurateur pourra être rayé de la liste d’aptitude en cas de manquement grave à la profession.
Les modalités de ce nouveau règlement sont en train d’être précisées et subiront sans doute encore des modifications. Nous publions néanmoins à titre d’exemple la liste des épreuves de l’examen d’habilitation de juillet 90, section peinture, telle qu’elle se présente actuellement.
LA RESTAURATION D’UN DES PLUS GRANDS TAPIS D’AUBUSSON À NICE
Le tapis de l’Hôtel Négresco à Nice (350 m²) fut tissé en 1912. Restauré en 1989, il présentait de nombreuses traces d’usure : trous, brûlures. Sa remise en état a nécessité 3 000 heures de travail. Le tapis a d’abord été nettoyé, le tramage apparent sur l’envers vérifié puis renforcé et les motifs manquants reconstitués d’après modèles et selon la technique de restauration traditionnelle avec les matériaux de l’époque (coton pour chaîne et trame, laine pour le velours).
Les ateliers décentralisés
Ces ateliers provinciaux dont certains existent déjà fonctionnent selon un système identique à celui des deux services cités plus haut : restaurateur privé habilité travaillant sur devis pour les Musées de France.
Il ne faut pas confondre ces ateliers décentralisés avec d’autres expériences régionales, ateliers municipaux ou dépendant du département (deux tentatives menées pour des anciens élèves de l’IFROA ont vu le jour en Bretagne et Franche-Comté et semblent bien parties) ou des centres régionaux privés regroupant plusieurs restaurateurs de différentes spécialités, dont la clientèle peut être les particuliers, les Monuments Historiques ou les musées.
Fonctionnaires dans les ateliers de la DMF
Les restaurateurs fonctionnaires des Musées Nationaux, une vingtaine environ, sont des marbriers, des sculpteurs, des doreurs, ou encore des ébénistes, mais en aucun cas des peintres ou des réentoileurs puisque pour la restauration des peintures l’atelier des Musées Nationaux (SRPMN) n’emploie que des restaurateurs privés comme nous l’avons vu ci-dessous.
Fin 1989, ces restaurateurs fonctionnaires qui exerçaient dans les musées du Louvre, de Versailles, de Fontainebleau, de Saint-Germain-en-Laye ont été regroupés au sein de la Direction des Musées de France. Les ateliers de Versailles et du Louvre ont été depuis réunis dans les petites écuries du Roy, en face des ateliers des Musées Classés et Contrôlés, de sorte qu’actuellement seul reste au Louvre le SRPMN, et que les départements autres que peinture n’ont plus de restaurateurs sur place pour les interventions urgentes !...
Il semble toutefois que l’objectif de la direction des Musées de France soit de regrouper tous les ateliers à Versailles, rapprochant étroitement, voire fusionnant, les ateliers de Restauration des Musées Nationaux et ceux des Musées Classés et Contrôlés (l’examen d’habilitation commun constitue le premier pas de ce rapprochement), et en laissant ou rétablissant au Louvre des “infirmeries” de la restauration pour les interventions qui ne peuvent attendre, non seulement pour la peinture mais aussi pour les objets d’art, d’archéologie, le mobilier...
Pour entrer dans les ateliers de restauration de la DMF, il faut posséder un CAP dans la spécialité du corps et passer un concours externe ouvert selon la disponibilité des postes (départs en retraite, création...). Les demandes de renseignements sont à adresser au bureau de l’embauche, service des concours, Musée du Louvre, Pavillon Mollien.
Un concours interne est réservé aux ouvriers professionnels des musées et au personnel de l’administration des catégories C ou B. Il a permis à d’anciens ouvriers d’occuper devant des élèves des instituts des postes de chefs d’atelier au sein de la DMF.
La sécurité de l’emploi et la qualité des œuvres qui passent entre les mains du restaurateur fonctionnaire compensent toutefois difficilement le salaire : un peu plus du SMIC pour un stagiaire, à environ 7 000 F net par mois au bout de dix années d’ancienneté... Ne nous étonnons donc pas si les anciens élèves de l’IFROA ou de la MST préfèrent s’orienter vers d’autres secteurs.
L’agrément par les Monuments Historiques
Être “agréé par les Monuments Historiques” est une appellation officieuse tolérée par l’administration envers les entreprises et restaurateurs qui travaillent habituellement pour la Direction du patrimoine. Les inspecteurs des Monuments Historiques choisissent leurs restaurateurs d’après leurs études, certes, mais aussi et surtout d’après leurs compétences et leur notoriété.
Beaucoup de disciplines ne sont pas représentées dans les écoles, comme la chaudronnerie ou le vitrail, par exemple. Aussi les inspecteurs filtrent, au fil des ans, les bonnes et les mauvaises entreprises.
Les dossiers sont à déposer 12, rue du Parc Royal à Paris, quelquefois plusieurs années de suite avant que le restaurateur soit sollicité pour un devis.
Mais attention, ce service très attirant comporte un piège au niveau du fonctionnement administratif, dont les délais de paiement varient selon les régions comme nous l’avons vu précédemment.
La clientèle privée et les autres débouchés
La clientèle privée s’adresse de préférence à des restaurateurs “agréés” reconnus par l’administration ou ayant un “pignon sur rue” qui confère une notoriété apparente.
Certains clients recherchent le “petit jeune” pas cher, d’autres, la qualité sans histoire et donc le restaurateur confirmé.
Le titre n’étant pas défendu, n’importe quel ébéniste ou peintre artistique peut s’établir comme restaurateur. Il y a donc là matière à réflexion, et l’utilisateur devra de lui-même discerner le bon du mauvais.
Signalons encore que certaines grandes villes comme Paris recrutent des restaurateurs sur concours ou cooptation selon les besoins propres.
Mutation d’un univers
Devenir restaurateur aujourd’hui, c’est entrer dans un monde en pleine évolution où les changements sont nombreux. Changement dans les formations : il y a à peine 4 ou 5 ans, l’IFROA faisait figure d’étoile du Berger au milieu d’une constellation d’écoles au devenir incertain.
“La restauration est aujourd’hui une des priorités de la politique de la direction des Musées de France…”
Alain Erlande-Brandenburg est Inspecteur général des Musées de France et adjoint au Directeur des Musées de France. Au sein de la Direction des Musées de France, il s’occupe particulièrement du dossier de la restauration. Il a bien voulu accorder un entretien à L’Estampille / L’Objet d’Art au cours duquel il a souligné l’importance accordée par les musées au développement de la restauration en France, et annoncé d’importants changements dans ce domaine.
L’Estampille / L’Objet d’Art : Quels sont les débouchés offerts par les musées à un jeune restaurateur et comment y accéder ?
Alain Erlande-Brandenburg : Développer la restauration est aujourd’hui un des objectifs prioritaires de la Direction des Musées de France. Il existe plusieurs formations en France dont l’IFROA, la MST, l’école de Tours et celle d’Avignon, qui délivrent un diplôme après quatre années d’études.
Les restaurateurs diplômés de ces formations, ou ceux qui auront acquis un niveau équivalent par des voies différentes, bénéficiant de cinq années d’exercice professionnel, devront pour travailler dans les ateliers des musées de France être habilités.
Cette habilitation est en fait un examen fondé sur des épreuves pratiques et théoriques qui permettra de juger des qualités et capacités du restaurateur. Il se caractérisera par une volonté d’égalité pour tous les candidats, quelle que soit la formation dont ils sont issus. En 1990, trois examens d’habilitation auront lieu : peinture et textile avant juillet 90, sculpture durant le second semestre 90. D’autres disciplines seront ouvertes en 1991. Ces examens se répéteront ensuite tous les deux ans et permettront l’établissement d’une liste d’aptitude. Après avoir été reçu à l’examen d’habilitation et au bout d’une période probatoire de 18 mois, les restaurateurs figureront sur cette liste, révisée tous les deux ans par le conseil scientifique de la restauration des musées de France.
L’E.O.A. : C’est donc la fin du mode de recrutement actuel, sur concours pour les musées nationaux, par agrément pour les titulaires de certains diplômes français ou étrangers pour les musées classés et contrôlés...
Alain Erlande-Brandenburg : Oui, l’examen d’habilitation permettra de travailler pour les musées nationaux comme pour les musées classés et contrôlés dont nous voulons rapprocher les deux services de restauration. Le restaurateur habilité conservera son statut de restaurateur privé, travaillant aussi pour une clientèle particulière ou pour les monuments historiques.
L’E.O.A. : La révision tous les ans de la liste d’aptitude par le conseil scientifique de la restauration des musées de France signifie-t-elle que les restaurateurs auront à repasser l’examen chaque fois ?
Alain Erlande-Brandenburg : Non, bien sûr. Le conseil ne se prononcera que sur les cas difficiles, qui auront commis des manquements graves à la profession et reçu déjà plusieurs avertissements. La liste d’aptitude sera publique et disponible à la Direction des Musées de France.
L’E.O.A. : Cherchez-vous par là à défendre ou officialiser le titre de restaurateur, et à aider le particulier, souvent ignorant en la matière, qui n’a pas de garantie sur la qualification de celui à qui il confie son œuvre, puisque peut tenir atelier qui veut ?
Alain Erlande-Brandenburg : Ce n’est pas le mot restaurateur qui est défendu, mais la qualification.
L’objectif de la Direction des Musées de France répond à une double volonté : d’une part protéger les restaurateurs de haut niveau en renforçant la garantie que leur apporte le diplôme par l’habilitation et les défendre ainsi contre les restaurateurs incompétents ; d’autre part poursuivre l’effort de qualité entrepris dans le domaine de la restauration en étendant ce qui a été fait pour la peinture aux autres disciplines.
L’E.O.A. : Combien de restaurateurs pourront être habilités par cet examen ?
Alain Erlande-Brandenburg : Il m’est difficile de vous répondre aujourd’hui. Ce que je veux souligner, c’est que la restauration est en plein essor et les demandes sont gigantesques. La Direction des Musées de France en est tout à fait consciente puisqu’elle modifie sa politique à cet égard, même si les impératifs financiers ne lui permettront sans doute pas de satisfaire toujours ces demandes.
L’E.O.A. : Outre ce remodellement et ouverture de l’examen d’habilitation, quelles sont les autres grandes orientations de la politique de la DMF ?
Alain Erlande-Brandenburg : Développer les ateliers existants et en créer de nouveaux. Il existe déjà à Versailles, dans les petites écuries, un centre polyvalent de restauration destiné aux œuvres des musées nationaux et des musées classés et contrôlés. Il lui sera bientôt adjoint les locaux de la Maréchalerie, soit une surface de 4 000 m², les travaux commenceront début 1992 et s’achèveront en 1994.
L’idée est d’arriver à mettre sur pied un atelier performant dans toutes les techniques. Les disciplines qui seront développées en priorité sont celles pour lesquelles il y a aujourd’hui les manques les plus importants, à savoir la sculpture, les pièces archéologiques et le dessin.
En plus de Versailles, quelques ateliers resteront au Louvre, et surtout seront créés en province de nombreux ateliers décentralisés. Marseille vient d’ouvrir pour les peintures, Grenoble va le faire pour la sculpture, puis en 1990 Nantes pour les métaux et la céramique, Tours pour les bois polychromes et Orléans pour la peinture.
Ces ateliers, il faut non seulement les créer mais aussi les nourrir de personnes. Les restaurateurs seront des restaurateurs privés ayant réussi l’examen d’habilitation, qui travailleront à la tâche, sur devis, sous l’autorité d’un conservateur.
L’E.O.A. : Le développement de ces ateliers décentralisés — et leur localisation — sera-t-il lié à l’importance de tel ou tel type de collection dans un musée donné ?
Alain Erlande-Brandenburg : Non, car on aurait alors trop de petits centres. La solution choisie oblige bien sûr à faire voyager les œuvres, mais on déplace bien les blessés pour les faire soigner dans tel ou tel hôpital. L’idée serait plutôt de confier à Versailles les œuvres des musées nationaux et aux ateliers de province, celles des musées classés et contrôlés.
L’ambition de ce vaste projet qui verra le jour progressivement, atelier par atelier, est de faire de la France un des pôles de la restauration européenne, accueillant non seulement des œuvres françaises mais aussi étrangères.
L’E.O.A. : N’avez-vous pas peur, dans cette optique, de vous heurter, par rapport aux autres pays européens et notamment aux pays anglo-saxons, à un épineux problème de vocabulaire et par là même de répartition des tâches, le “conservator” anglais étant en fait le restaurateur ?
Alain Erlande-Brandenburg : Les problèmes de vocabulaire sont inhérents à chaque pays qui a sa propre particularité. Le conservateur, quel que soit le nom qu’on lui donne, a été nommé par une autorité de tutelle à la tête des collections et en est responsable. Il fait le lien entre le laboratoire et le restaurateur et prépare le dossier “médical” de l’œuvre.
Le restaurateur a un rôle technique et est choisi en fonction de ses compétences. Il peut appartenir au privé ou à la fonction publique. Il propose, en fonction du dossier de l’œuvre, différentes solutions de traitement au conservateur que celui-ci accepte ou refuse.
L’E.O.A. : Cette définition ne remet-elle pas en question la formation du conservateur qui est essentiellement basée sur l’étude de l’histoire de l’art ?
Alain Erlande-Brandenburg : Cela pose un problème, car pour pouvoir faire la liaison entre le laboratoire scientifique et le restaurateur, le conservateur doit avoir une double formation. L’expérience a prouvé que les scientifiques qui se sont intéressés à la restauration ont su très brillamment acquérir les connaissances en histoire de l’art nécessaires et vice-versa.
L’E.O.A. : Une des critiques souvent adressée à l’IFROA, et par-delà à l’orientation générale de la politique de restauration en France, a été un scientisme trop poussé. Comment réagissez-vous par rapport à cela ?
Alain Erlande-Brandenburg : Il fallait au départ être très exigeant dans ce domaine car on partait de rien. Ensuite cette politique a été rééquilibrée.
Ainsi, pour entrer à l’IFROA, c’est d’abord la culture générale en histoire de l’art qui importe, puis l’habileté manuelle et le sens de l’analyse. Aujourd’hui, on a appris à faire la part des choses par rapport au scientisme à outrance et ce qui me paraît important de souligner est que dans le domaine de la peinture, l’école française est la mieux placée au niveau international par sa pratique d’une intervention tempérée sur les œuvres.
L’E.O.A. : On reproche aussi souvent aux musées de France d’avoir privilégié la restauration des peintures par rapport à d’autres disciplines, comme par exemple le mobilier...
Alain Erlande-Brandenburg : La restauration des peintures est aujourd’hui en France parfaitement au point. L’objectif de notre politique est d’étendre aux autres disciplines ce qui a été fait dans le domaine des peintures car, je le répète, la restauration constitue aujourd’hui une tâche prioritaire pour les Musées de France et il y a véritablement un effort et une politique nouvelle dans ce domaine.
NOTES
(1) IDETH, 11 rue Saint-Simon, 78000 Versailles, tél. 16.1.39.49.58.78.
(2) Passage de la Bonne Graine, 8 passage de la Bonne Graine, 75011 Paris ; Institut Saint Luc, 50 chaussée de Tournai, B-7721 Ramegnies-Chin, pour ne citer que deux exemples. D’autres excellentes écoles existent mais les citer toutes ne rentrerait pas dans le cadre de cet article.
LES ADRESSES UTILES
DIRECTION DES MUSÉES DE FRANCE
Pavillon Mollien 1, place du Carrousel 75001 Paris
IFROA
1, rue Berbier-du-Mets 75013 Paris
Clôture des inscriptions au concours le 30 juin. Épreuves en septembre / octobre. Les départements ouverts au concours en 1990 sont arts graphiques, peinture, objets d’art, photographie et sculpture.
MST
UFR d’Art et d’Archéologie de l’Université Paris I 90, rue de Tolbiac 75013 Paris
ÉCOLE BOULLE
9, rue Pierre Bourdan 75012 Paris
Inscription au concours et journées porte ouverte sur l’école début mars.
ÉCOLE D’ART D’AVIGNON
Section restauration des peintures de chevalet Caserne des passagers 21, rue des Lices 84000 Avignon
Clôture des inscriptions au concours : mi-mai. Épreuves fin mai / début juin.
ÉCOLE RÉGIONALE DES BEAUX-ARTS DE TOURS
Cycle de restauration des œuvres sculptées Rue du Commerce 37000 Tours
Demandes d’inscriptions à adresser au Directeur de l’école, pas de dossier. Date des épreuves : début septembre.