Gilles Perrault aborde les notions d’originalité d’une sculpture des points de vue technique, stylistique et fiscal. Depuis des dispositions juridiques prises en 1968 et 1981, les tirages d’épreuves originales sont limités en France à huit exemplaires issus du même moule auxquels s’ajoutent quatre exemplaires dits d’artistes « hors commerce ». Avant cette obligation, les tirages des éditions originales étaient illimités. Gilles Perrault nous propose de faire le point sur cette originalité des sculptures françaises.
Article de la Revue Experts n° 85, Août 2009 © Revue Experts
La lecture des catalogues d’exposition de sculptures, de vente aux enchères, nous met souvent dans l’embarras lorsqu’il s’agit de comprendre si une œuvre en bronze, en plâtre ou en terre cuite est unique, originale, d’édition originale, d’édition limitée ou illimitée originale, ou une copie. La notion d’originalité est bien plus simple lorsqu’il s’agit d’un tableau. En effet, une œuvre picturale est par essence même unique. Une copie d’atelier ou une copie réalisée par un autre artiste à une époque quelconque sont considérées comme des doublons. Seul le tableau créé par le maître revêt la qualité d’original. Les reproductions d’atelier ne soulèvent alors que des problèmes d’attribution : quel élève et quelle est la part du maître dans cette œuvre qu’il signe même parfois ?…
Une œuvre picturale quoique unique peut aussi ne pas être originale. Il faut bien sûr comprendre que cette œuvre manque de création « d’originalité » et que son auteur s’est conforté dans un style bien établi. On perçoit la subtilité de cet adjectif qui, attribué à une personne, marque sa différence et met en exergue de facto sa rareté au sein un groupe. Lorsqu’il accompagne un tableau, il indique que nous sommes face à l’œuvre première créée par le maître avec ses repentirs, son évolution stylistique, donc « une œuvre originale » qui se démarque des autres. Il est alors si évident qu’elle est unique que cela n’est quasiment jamais précisé pour les œuvres picturales.
1. L’ANTIQUITÉ
A l’inverse, très peu d’œuvres sculptées sont restées uniques. Dès l’antiquité, une statue rencontrant un certain succès était vouée à être reproduite à de multiples exemplaires, soit par copie, soit par moulage. Les riches romains passaient leurs commandes de sculptures en bronze ou en marbre en choisissant les modèles moulés en plâtre d’après des originaux de la grande Grèce dans les magasins des ateliers de la péninsule. Ces copies plus ou moins fidèles, avec parfois des variantes importantes, n’en constituent pas moins aujourd’hui aux yeux des amateurs d’art des œuvres originales, dans les deux sens du terme, bien que le sculpteur soit très rarement identifié et que l’on ne connaisse pas le nombre d’exemplaires réalisés dans les nombreux ateliers.
La patine des siècles, en imprimant sa marque, confère aussi à chaque sculpture une originalité. Ces copies étaient sculptées manuellement dans le marbre ou dans la glaise pour les épreuves en bronze. De sorte qu’il s’agissait pour chaque exemplaire d’une nouvelle sculpture issue des mains d’un artiste et très rarement d’un moulage : donc techniquement d’une œuvre originale. Les vicissitudes des guerres et d’autres aléas décimèrent cette abondante production, rendant aujourd’hui les sculptures complètes extrêmement précieuses.
2. DE LA RENAISSANCE AU XVIII SIÈCLE
2.1. Retour à l’antiquité
Sautons par-dessus le chaos dû à l’effondrement de l’empire romain d’occident, puis la domination de l’art chrétien, pour retrouver l’art profane au XVIe siècle. Cette époque artistique appelée Renaissance vit de nombreux maîtres, souvent peintres et sculpteurs en même temps, créer des œuvres pour des hautes personnalités civiles. Le besoin de multiplier l’œuvre sculptée par des procédés de moulage redevint nécessaire pour satisfaire les demandes. L’engouement pour les antiques suscita de nombreuses copies de plusieurs dimensions pour un même sujet dans divers matériaux, comme le marbre, le bronze, la terre cuite, le plâtre. Les découvertes de tombes richement décorées de fresques et de motifs sculptés (grotesques) eurent un tel écho que tous les artistes s’empressèrent pendant deux siècles d’en relever les innombrables compositions pour les transposer dans les décors des palais européens. Ces copies n’en constituent pas moins aujourd’hui des « œuvres originales ».
2.2. L’impact du goût royal
Les jeunes artistes français qui séjournaient en Italie ou à l’académie royale à Rome avaient pour principale mission de copier l’antique. Les plus réussies revenaient à grands frais orner les palais royaux. Après leurs humanités, ces artistes aguerris par la copie purent créer leurs propres œuvres selon le « goût français » ou plutôt du Roi. En effet, Louis XIV, fort bien conseillé par des artistes tels le Brun et Girardon, montra la voie pour qu’ils s’affranchissent de leurs jeunes années en unifiant les productions dans un style baroque dépourvu de fioritures excessives.
1. « Louis le Grand » par le Bernin. Marbre original mis à l’abri des vandales dans les grandes écuries du Roi à Versailles.
L’anecdote de la sculpture équestre du Cavalier Bernini dit le Bernin reflète l’impact du goût royal. Louis Le Grand ne se laissa pas influencer par l’aura du maître de la sculpture italienne de l’époque. Il fit reprendre par François Girardon l’oeuvre que ce dernier avait réalisée le représentant à cheval, en taille monumentale dans le marbre, car il la jugea trop excessive dans ses volutes, courbes et contre courbes. Même assagie dans ses détails par l’artiste français, l’œuvre considérée encore trop tourmentée ne recueillit pas les faveurs du Roi qui la fit installer loin de sa vue au bout de la pièce d’eau des suisses dans le parc de Versailles.
Cette œuvre originale – de plusieurs façons car unique et réalisée par deux artistes – fut dupliquée en résine chargée de poudre de marbre, au début des années 1980 afin de permettre à un moulage, en faux marbre, de la remplacer au fond du parc pour la soustraire à la proie de tagueurs. Puis un second tirage en plomb fut réalisé en 1988 pour orner la cour de la Pyramide du Louvre à Paris (photos n°1 et 2).
2. « Louis le Grand » par le Bernin. Moulage en plomb ornant depuis 1989 le parvis de la cour de la pyramide au musée du Louvre.
2.3. Unicité et originalité
Ces deux moulages tirés plus de 250 ans après la création de l’œuvre et plus de 70 ans après le décès des deux artistes ne peuvent être considérées comme des œuvres originales, cela va de soit. Mais si ces reproductions avaient été réalisées du vivant des artistes dans une matière utilisée à l’époque comme le bronze, le plomb ou le plâtre, il est bien évident que la notion d’originalité serait alors aujourd’hui évoquée, car les sculpteurs en auraient certainement supervisé la production en y ajoutant ou soustrayant même certains détails créant par là même une version nouvelle. Prenons comme autre exemple le groupe de Latone(1) mère d’Apollon et de Diane, réalisé en marbre par les frères Marsy pour orner un bassin dans l’axe central du parc de Versailles (photo n° 3). Cette œuvre originale et unique donna naissance à des réductions en bronze, réalisées peu après la mort des artistes. Elles sont considérées aujourd’hui comme originales (photo n° 4).
3. « Latone et ses enfants ». Le marbre original, unique, des frères Marsy, ornait le bassin du même nom dans le parc du château de Versailles. Le groupe central est remplacé depuis les années 1980 par un moulage en résine chargée de poudre de marbre. Les Lyciens, métamorphosés en batraciens sont ceux d’origine, en plomb redoré.
Latone et ses enfants.
Réduction en bronze, fonte à la cire perdue, circa 1715.
Il est donc important de dissocier la notion d’unicité de celle d’originalité, car une œuvre réalisée en terre ou en marbre est unique alors qu’une œuvre originale en bronze peut être le sixième voire le douzième exemplaire issu d’un même moule.
3. DU XIX AU XX SIÈCLES
3.1. La mode du bronze d’art
C’est au XIXème siècle avec l’avènement d’une bourgeoisie avide d’une reconnaissance rapide que les sculptures se multiplièrent dans de nombreuses tailles et matériaux différents selon leur succès rencontré au Salon. Voulant surveiller la qualité de leur œuvre afin qu’elle ne s’amenuise pas dans la transcription en bronze, certains sculpteurs comme Alfred Barye se firent fondeurs. Suivant cette voie, Emmanuel Frémiet mit en place une belle entreprise pour réaliser par le procédé de la fonte au sable ses œuvres, mais également pour les commercialiser dans son magasin en direct, ou sur les salons français et étrangers.
Dans ses débuts Alfred Barye numérota sa production, avant de s’apercevoir que ses clients rechignaient devant des numéros élevés : il dût bien malgré lui arrêter la numérotation de ses éditions circa 1847.
En règle générale, l’œuvre nouvelle était présentée au salon dans ses dimensions d’origines en marbre ou en plâtre. Puis selon son succès, elle était éditée dans différents matériaux : bronze, fonte de fer, plâtre, terre cuite ou marbre, à différentes échelles. La « taille originale » correspond à l’échelle 1 de la création de l’oeuvre. Les procédés de réduction ou d’augmentation des volumes aux trois compas, ou à l’aide d’une pige comme pour le procédé Colas, facilitèrent l’expansion des sculptures d’édition.
5. « Balzac nu » d’Auguste Rodin
Plâtre d’atelier réalisé par le musée Rodin confié à la fonderie Georges Rudier pour l’obtention d’épreuves originales en bronze (technique au sable).
6. La mention gravée « original » sur le bord de la terrasse indique qu’il s’agit de la taille d’origine de l’œuvre.
7. En effet, les coutures (laissées par les joints du moule à pièces) visibles en lumière rasante à la surface de cet exemplaire, attestent qu’il s’agit d’un plâtre d’atelier et non du plâtre original.
Tous les sculpteurs du XIXe siècle s’engouffrèrent dans la mode du bronze d’art, car l’édition en de nombreux exemplaires d’un même sujet leur permit de multiplier leurs gains tout en consacrant plus de temps à la création. L’édition originale était alors l’édition réalisée aux mêmes dimensions que le modèle d’origine en terre ou cire (photos n° 5 à 7). Elle n’était généralement limitée que par le succès remporté. Comme indiqué précédemment à côté de cette édition originale (taille 1) figurait sur les catalogues de vente des fonderies, des demi-tailles, quarts de taille ou des agrandissements (taille.2), etc. (Photos 8 à photos 11) Lorsque Auguste Rodin céda ses droits de reproduction à Ferdinand Barbedienne pour Le baiser et L’éternel printemps, le contrat réglementa différentes tailles, mais aucune limite à l’édition. Afin de ne pas dénaturer le modèle en plâtre, pour effectuer les nombreuses fontes prévues par le procédé du « moule au sable », la maison Barbedienne réalisait des modèles en bronze qui pouvaient supporter, au besoin, plusieurs centaines de moulages et de tirages. Les épreuves issues de ces « chefs modèles » en bronze avaient le privilège d’être de grande qualité mais coûtaient fort cher et n’étaient amortissables qu’après de nombreux tirages.
A part quelques artistes comme Mène et Frémiet ou des maisons d’éditions telles F. Barbedienne qui n’utilisèrent que ce procédé, pour la grande majorité des autres sculpteurs, la qualité des tirages issus de maîtres modèles en plâtre diminuaient dès la première dizaine de tirages en bronze, ceci à cause de l’usure des moules ou des modèles en plâtre. On considérait qu’un modèle en plâtre était émoussé à partir d’une dizaine de moulages au sable et qu’un moule en plâtre et gélatine destiné à la cire perdue à partir de 6 tirages. Au-delà de ces chiffres, les fondeurs utilisaient un nouveau modèle.
8. Stock saisi lors de la première affaire G. H. par le Tribunal de Grande Instance de Lure où l’on reconnaît entre autres, pèle mêle, des oeuvres originales et des contrefaçons d’Auguste Rodin, de P.J Mène,du Comte du Passage.
9. L’expert judiciaire découvrant, dans le stock de 2 500 scellés, un plâtre d’atelier des causeuses de Camille Claudel. En arrière plan, un plâtre d’atelier du penseur en taille monumentale préparé pour réaliser des fontes au sable. 10. « Le penseur » taille 1, d’Auguste Rodin,env. 72 cm de Ht, dimensions originales, musée Rodin. Plâtre d’atelier de la fin du XIXème siècle ou tout début du XXème ayant servit à la réalisation de plusieurs exemplaires originaux en bronze. Sept épreuves originales en bronze sont répertoriées comme ayant été fondues avant 1901, auxquelles s’ajoutent à partir de 1902 une trentaine réalisée par la fonderie Alexis Rudier, dont 11 de 1926 à 1945, plus huit exemplaires officiels, commandés par le musée Rodin à Georges Rudier de 1955 à 1969. A ces 46 tirages légaux s’ajoutent de nombreux tirages illégaux réalisés sans le consentement de l’ayant droit (le musée Rodin), puis de très nombreuses contrefaçons réalisées en France et à l’étranger et enfin des reproductions indiquées comme telles, lorsque cette mention gravée dans le bronze n’a pas été meulée par des aigrefins.
11. « Le penseur », d’Auguste Rodin. Fonte au sable réalisée par la fonderie Alexis Rudier en taille 1. Épreuve en bronze, d’édition originale non limitée circa 1910, ayant atteint le prix d’adjudication record de 3,095 millions d’euros le 17 janvier 2009 à l’Hôtel Drouot à Paris, grâce à son pedigree irréprochable. Son ancien propriétaire l’avait acquis en 1917 (cabinet d’expertise Brun-Perazzone).
3.2. L’originalité fiscale ou l’œuvre originale vue par le fisc
Le législateur s’appuya sur ces constats techniques pour donner une limite aux tirages considérés comme originaux en 1968, afin de déterminer quel taux de TVA devait être appliqué aux éditions(2). Les œuvres tirées dans la limite de 8 exemplaires, marquées sur huit en chiffres arabes, furent considérées comme originales, les suivantes de grande diffusion. Les 8 premiers exemplaires bénéficient depuis du taux de TVA réduit attribué aux artistes, de 5,5 % contre 19,60 % actuellement. Le législateur admit ensuite « au même régime » 4 tirages supplémentaires, dits « d’artistes », non négociables (Documentation administrative, TVA, 3-k 213). Rapidement artistes et fonderies profitèrent de cet octroi, marquant tantôt H.C. pour « hors commerce » ou E.A. pour « épreuves d’artistes », suivi d’une numérotation sur quatre en chiffres romains. Ce supplément entraîna de nombreuses dérives. Des ayants droits n’hésitèrent pas à augmenter la production réalisée du vivant de l’artiste en éditant une édition originale « post mortem » sans tenir compte des tirages exécutés avant 1968.
Après la seconde guerre mondiale, pour palier un manque de clarté dans les fontes réalisées, le musée Rodin, ayant droit de l’artiste, avait déjà instauré une limitation de tirage à 12 épreuves qualifiées de commerciales, numérotée de 1 à 12, auxquelles il ajoutait le n°0 réservé à ses collections. Ce n’est qu’à partir de 1982 que le musée Rodin s’inscrit dans la ligne de conduite imposée par le décret 81-255 du 3 mars 1981 (3), ne fondant plus que 8 bronzes « originaux » commercialisables, numérotés de 1/8 à 8/8 et quatre épreuves d’artiste numérotées de I/IV à IV/IV, destinées aux institutions culturelles françaises et étrangères, incluant son exemplaire.
En dehors de ce musée qui essaie depuis quatre-vingt-dix ans de résoudre la question d’originalité des bronzes d’art tout en respectant le testament du maître, quelques aigrefins éditèrent des épreuves non numérotées ; les désignant comme épreuves d’essais, offertes par les fondeurs ! Rappelons au passage que les fondeurs, sauf dispositions contraires bien précisées, ne disposent pas librement des modèles qui leurs sont confiés par les artistes, et ce depuis toujours. Ils ne peuvent ni commercialiser à leur profit les plâtres d’ateliers, ni des épreuves en bronzes réalisées sans l’accord spécifique de l’artiste ou de ses ayants droits.
Des « éditions originales » limitées à 200 exemplaires, voire beaucoup plus, se rencontrent parfois dans d’autres matériaux que le bronze, diffusées avec des publicités trompeuses. Elles n’ont d’« original » que la matière ou les dimensions. L’utilisation de ce qualificatif induit souvent le client lambda dans l’erreur ; car il pense posséder une œuvre rare.
Il est également surprenant de voir soumis au feu des enchères des œuvres titrées H.C. ou E.A. Mais certains ayants droits qui éditent des épreuves d’artistes estiment pouvoir les offrir ou même les vendre à des personnes qui en disposent ensuite à leur guise (4).
12. Esquisse d’un soldat grec blessé (Philocthèque), terre cuite originale unique,
signée avant cuisson, T. Géricault.
Réalisée en quelques minutes, le temps d’une pose d’atelier, l’artiste a su imprimer dans la terre à cuire toute l’ampleur de la tragédie du soldat immobilisé, les jambes percées de deux traits de flèches.
13. « La grève » par Jules Dalou, terre cuite originale, unique.
4. L’OEUVRE UNIQUE : L’ACTE CRÉATEUR
Fort de tout ce qui précède nous constatons que l’originalité technique et stylistique d’une oeuvre sculptée est à l’opposé de la notion d’originalité fiscale. Le sculpteur travaille la pierre, le marbre, la terre à cuire, la terre crue (argile grise), la cire, le bois, puis depuis le milieu du XXe siècle des plastilines, pâtes à modeler auto durcissables, etc… Il réalise de ses mains une œuvre unique dans le matériau de son choix, d’où la notion d’originalité stylistique s’il se détache de la copie, et celle d’originalité technique si l’œuvre est entièrement copiée à la main. (Photo n°12 et photo n°13)
Jusqu’au milieu du XXème siècle l’argile grise était la matière la plus usuelle pour créer des modèles de taille moyenne ou de grande taille. Mais il fallait constamment la garder humide pour qu’elle conserve sa plasticité et son volume. La cire, d’un maniement plus dur, donc plus long, convenait mieux aux figurines de petites tailles et ne requerrait pas autant d’astreinte. Auguste Rodin, Camille Claudel, Bourdelle et tant d’autres avaient pour habitude d’œuvrer dans la terre glaise, matériau souple, rapide à travailler, économique,… (photos N° 14 à 17). L’œuvre unique ainsi créée devait être moulée en plâtre le plus rapidement possible après son exécution, pour conserver toute la vigueur de ses formes et aspérités.
4.1. La copie unique entièrement réalisée « à la main » :
Du point de vue technique, une sculpture, qu’elle résulte d’une invention ou d’une copie, est unique lorsqu’elle n’est pas issue d’un surmoulage. Une œuvre recopiée entièrement à la main possède une certaine originalité qui la différencie parfois seulement par de menus détails de son modèle initial. Mais, même resculptée entièrement très fidèlement ou avec des variantes, une copie doit être annoncée comme une reproduction en y faisant figurer le nom du créateur initial. Autrement, sans ces indications, le législateur considérera cette œuvre comme une contrefaçon, même si les droits d’auteurs sont tombés dans le domaine public (70 ans après le décès de l’artiste).
4.2. La transcription du modèle dans le marbre
Lorsque la matière est rigide et insensible aux variations d’humidité, l’œuvre unique peut rester dans son état. C’est le cas, généralement, pour les statues de pierre, de marbre, de bois, etc… Auguste Rodin qui œuvrait presque essentiellement dans la « glaise », reléguait à ses nombreux assistants le travail du marbre, long et fastidieux. Il en découle que les spécialistes reconnaissent par exemple la main de F. Pompon dans la réalisation d’œuvres d’Auguste Rodin en marbre, œuvres uniques et originales signées pourtant du Maître.
14. La terre glaise est pétrie sur une armature métallique.
15. L’œuvre en cours est recouverte d’un linge humide
pendant les pauses pour que la terre ne se rétracte pas.
16. Le modèle, l’œuvre, l’artiste en 1988.
17. L’œuvre terminée qui attend le mouleur.
5. DE LA CRÉATION À LA FONTE
5.1. Le moule en plâtre à creux perdu, la conservation de l’acte créateur
Jusqu’au milieu du XXe siècle le mouleur se déplaçait chez les artistes et entourait délicatement l’œuvre d’une première couche fine de plâtre, puis d’une seconde plus épaisse, en une ou deux coques. Ce moule portait le nom de moule à creux perdu. La « glaise » qui lui avait donné son empreinte devait ensuite être retirée par petits morceaux et remise au bac, pour permettre la coulée du plâtre original (en positif). C’est ainsi que les œuvres primitives, en terre ou en cire, étaient détruites pour ne subsister qu’en négatif dans le plâtre.
5.2. La seconde naissance de l’œuvre : le plâtre original unique
Le moule « à creux perdu » (volume en négatif), nettoyé, repositionné, servait à la coulée d’un plâtre unique, « original », qui permettait donc à l’œuvre de renaître. Le démoulage de ce plâtre original ne pouvait être réalisé qu’en cassant le moule à creux perdu à cause des nombreuses contre-dépouilles(6). Ce plâtre original était donc extrêmement précieux, et néanmoins fragile. Il était important de le dupliquer pour rendre pérenne la création.
5.3. La conservation de l’œuvre par duplicatas : le moule à pièces en plâtre, les plâtres d’ateliers ou de diffusions
L’artiste ne confiait qu’un duplicata en plâtre au fondeur, et conservait précieusement le plâtre original. Donc par sécurité, le plâtre original était dupliqué à l’aide d’un nouveau moule en plâtre. Ce dernier, réalisé sur le plâtre original matériau solide à l’inverse de la terre glaise, était réalisé en pièces s’imbriquant les unes dans les autres. Elles étaient démontées ensuite après la coulée du plâtre d’atelier (photo n°18 et n°19). Ce qui, à l’inverse du premier moule détruit, permettait l’obtention de plusieurs épreuves en plâtre dites « d’atelier ». Le plâtre d’atelier était destiné d’une part à la fabrication des moules de fonderie « au sable » (empreintes), dans lesquels était coulé le métal (ces empreintes correspondent toujours au négatif de l’oeuvre en positif à reproduire en bronze) ou d’autre part à permettre au metteur aux points d’effectuer des agrandissements, des réductions dans le plâtre, ou de transposer l’oeuvre dans le marbre ou la pierre. Confié au praticien, il restait la propriété du sculpteur. Mais souvent oublié sur l’étagère de l’atelier, il réapparaît des années plus tard après le décès de l’artiste, comme un cadeau… Le plâtre issu du moule à pièces pouvait être aussi destiné aux cadeaux ou à une diffusion à bon marché de l’ œuvre. Dans ces cas, il ne comporte pas les stigmates d’un usage en fonderie ou d’une mise aux points.
18. « Le baiser du faune » de Jules Dalou
Plâtre d’édition ancienne, patiné façon terre cuite, coupé pour servir de maître modèle à des contrefacteurs circa 1990 « d’épreuves originales » en bronze.
19. « L’implorante », taille 1, de Camille Claudel
Plâtre d’atelier (issu du surmoulage, d’une épreuve en bronze d’Eugène Blot, réalisé par des contrefacteurs) préparé pour l’exécution d’épreuves en bronze pour la technique de la fonte au sable.
20. « L’implorante » de Camille Claudel, « grand modèle » en taille originale. Epreuve en bronze avant patine : contrefaçon issue du plâtre précédent (technique au sable).
5.4. La fonte en bronze
Le bronze, initialement alliage de cuivre (65% min.) et d’étain, appelé également airain, est devenu un terme générique englobant également le laiton (alliage de cuivre et de zinc). C’est un matériau de duplication parmi bien d’autres, mais il est choisi pour ses qualités de coulabilité et d’inaltérabilité (photo n°20). Il prend forme, dans le cas qui nous préoccupe, par fusion et coulée dans un moule réfractaire. Il ne peut en aucun cas être travaillé directement par le sculpteur. Toute la statuaire en bronze est donc issue d’un travail collectif : l’œuvre est successivement confiée au mouleur, au fondeur, au ciseleur et enfin au patineur. Les tirages d’épreuves en bronze réalisés par des ouvriers n’en conservent pas moins tous les détails plastiques de l’œuvre initiale. (cf Schéma des phases successives de la réalisation d’un bronze d’art jusqu’au milieu du XXème siècle) On notera que seuls les plâtres originaux et d’ateliers sont récupérables ainsi que le moule à pièces en plâtres. Ces duplicatas successifs ne se font pas sans une altération de l’œuvre primitive, ce qui justifie la recherche par les amateurs d’art de la réalisation la plus proche de l’œuvre de départ travaillée par le sculpteur.
Schéma des phases successives de la réalisation d’un bronze d’art jusqu’au milieu du XXème siècle
6. LE MARCOTTAGE OU LA MULTIPLICATION D’OEUVRES ORIGINALES UNIQUES
Rodin est un exemple intéressant, car en plus de sa production modelée en terre ou en cire, cet artiste avait l’habitude de transformer une œuvre originale maîtresse de multiples manières pour donner lieu à des œuvres originales secondaires ou de nouvelles œuvres maîtresses. Il demandait à son mouleur d’exécuter plusieurs épreuves d’atelier en plâtre puis en changeait les têtes, amputait des membres, ou en modifiait les positions. Il pouvait encore changer des tailles, ou regrouper différents sujets,…
Toutes ces œuvres, différentes les unes des autres, devenaient uniques et originales. Elles étaient en plâtre pour faciliter les coupes, les adjonctions, les montages… On désigne ce procédé du nom de « marcottage ».
CONCLUSIONS
Une sculpture originale en bronze est issue de plusieurs étapes de moulages et de préparations avant d’être présentable et ressembler à l’oeuvre initiale en terre crue. Elle peut être unique, tirée en de multiples exemplaires, ou depuis 1968 tirée seulement à 8 exemplaires plus quatre épreuves d’artistes tout en conservant pour chacune le label « d’œuvre originale ». Les tirages réalisés après le décès de l’artiste par ses ayants droits conservent aussi dans la limite autorisée les qualificatifs d’œuvres originales. Mais ces fontes posthumes non surveillées par l’artiste bien que « originales » ne possèdent pas la même valeur pour les amateurs d’art que les épreuves réalisées du vivant du sculpteur.
Une sculpture en plâtre est considérée comme originale lorsqu’il s’agit du tirage issu directement du moule à creux perdu. Ce plâtre original, unique, est à opposer aux tirages ultérieurs obtenus à l’aide d’un autre moule démontable. Pour les amateurs d’art éclairés, le plâtre original tient sa valeur de l’extrême fidélité de la reproduction de ses volumes, alors qu’un plâtre d’atelier ne porte plus tous les détails de l’empreinte de l’artiste.
Une sculpture en terre cuite est considérée comme originale lorsqu’il s’agit d’une œuvre réalisée directement dans une terre à cuire. Argile naturelle mélangée à de la brique pilée (chamotte). La cuisson modifie sensiblement les proportions entre les parties épaisses et fines. L’oeuvre qui s’est solidifiée est unique.
Une terre cuite d’édition est une oeuvre dont la terre à cuire a été estampée ou coulée dans un moule. Les volumes de ces sculptures bon marché, sont moins vifs que dans les cas précédents. Grâce au législateur, qui n’était assurément pas sculpteur, depuis 1968 la notion d’originalité fiscale a aussi élargi l’originalité technique et plastique des sculptures en terre cuite. Il a offert aux terres cuites moulées éditées dans la limite de 8 exemplaires la qualité d’oeuvres originales. Cet imbroglio a ouvert la voie à de nombreux abus.
Du point de vue stylistique une œuvre est originale lorsqu’elle comporte l’empreinte caractéristique d’un artiste, ce qui la rend unique aux yeux du connaisseur. Avant 1968, l’édition originale d’une sculpture en bronze, ou dans un autre matériau, n’était ni limitée dans le temps, ni par le nombre d’exemplaires.
Notes
1. Fuyant la colère de Junon, Latone traversait la Lycie avec ses jumeaux Diane et Apollon, enfants de Zeus. Prise sous les feux du soleil d’une soif ardente, elle voulut se désaltérer avec l’eau d’un marais. Des paysans qui cueillaient le jonc et l’algue le lui interdisent en l’injuriant et en troublant l’eau de leurs pieds. Par méchanceté, devant la pauvre mère implorante, ils soulèvent la vase molle en sautant de-ci de-là. La colère fait oublier sa soif à la déesse qui implore Zeus, levant les mains vers les astres : « puissiez-vous vivre éternellement dans votre étang ! ». Son souhait fut exaucé par le maître de l’univers : ils furent changés en grenouilles et tritons. (Ovide, « les métamorphoses », VI, 361-385.)
2. Art. 71-3 de l’annexe III du Code Général des Impôts : « Sont considérées comme des oeuvres d’art originales (…) les productions en toute matière de l’art statuaire ou de la sculpture et assemblages, dès lors que ces productions et assemblages sont exécutées entièrement de la main de l’artiste ; fontes de sculpture à tirage limité à huit exemplaires et contrôlé par l’artiste ou ses ayants droit ».
3. Décret 81-255 du 3 mars 1981, art.9 : « Tout fac-similé, surmoulage, copie ou autre reproduction d’une oeuvre d’art originale au sens de l’article 71 de l’annexe III du code général des impôts, exécuté postérieurement à la date d’entrée en vigueur du présent décret, doit porter de manière visible et indélébile la mention « Reproduction ». »
4. « Monsieur Lavédrine rappelle à M. le ministre du budget que (…) les épreuves d’artistes sont conservées par l’artiste lui-même ou ses ayants droit, qu’elles ne peuvent faire l’objet d’un acte de commerce et qu’elles ne sont conservées par l’artiste (ou ses héritiers) que pour ses collections personnelles ou son travail (…) ». JOAN 8 déc. 1978 / Lavédrine – 10 mai 1978 – n°1097.
5. Cf. La sculture sur bois par Gilles Perrault, Ed H. Vial, Dourdan.
6. Un volume en contre-dépouille ne peut effectivement pas être démoulé sans se casser et reste enfermé dans un moule rigide en plâtre. Ce même volume ne peut être démoulé que si le mouleur réalise au moins 2 pièces dans la contre-dépouille lors de l’élaboration du moule à pièces en plâtre.