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L’objet d’art et la prévention des risques – Les risques d’ordre physique

Les objets d’art, comme toute œuvre humaine, sont à terme inexorablement voués à la destruction. Trois facteurs influent directement sur leur longévité : la solidité du matériau, la qualité de la réalisation et l’utilisation qui en est faite. L’auteur envisage successivement les risques à prévenir – risques matériels, risques immatériels, vol – et les moyens de prévention applicables à chacun. Les premiers ressortent principalement de 3 causes – climatiques, accidentelles naturelles ou humaines – ; les seconds incluent, outre les risques financiers, la notion d’authenticité, le dépistage des faux, les restaurations et les vices cachés ; le troisième et dernier risque est le vol dont la prévention relève essentiellement des règles de sécurité recommandées par les compagnies d’assurance.

La Revue Experts n° 25 – 12/1994 © Revue Experts

 

 

Dès sa création, l’objet d’art se dirige inexorablement vers sa destruction. La matière composite dont il est fait n’échappe pas au vieillissement et aux avatars de la vie. Ce cycle, création destruction, est plus ou moins long selon la solidité de matériau de base, la qualité de sa réalisation par l’homme et, l’usage qui en est fait.

Ces trois facteurs, indépendants les uns des autres, ont une influence directe sur la longévité de l’objet

Prenons le cas par exemple d’une statuette en marbre enfouie dans le sol pendant 1 000 ans : elle ressortira presque indemne, alors qu’il ne restera rien d’une statuette en bois polychrome ayant subi le même sort.

Un siège du XVllle siècle, d’une facture courante, sera utilisé sans égard et ne bénéficiera pas des mêmes précautions qu’un siège de qualité royale.

Enfin, en troisième exemple, nous savons que les meubles actuels qui ne bénéficient plus des mêmes impératifs de solidité qu’autrefois, ne sont plus réalisés avec les mêmes techniques et matériaux. Les assemblages à mortaises et tenons chevillés qui ont régné depuis l’Égypte pharaonique jusqu’au milieu du XXe siècle, ont cédé la place aux pastilles, tourillons et pigeons.

L’importance de ces trois facteurs de dégradation peut être réduite par une prise de conscience générale. La prévention des risques matériels inhérents aux objets d’art ne peut s’accommoder de leur ignorance.

Nous allons passer en revue les principaux risques matériels auxquels sont confrontés les particuliers, leur parade éventuelle, leurs conséquences physiques et financières.

Il convient ensuite de vérifier, pour le particulier, si le descriptif qui est établi est correct, afin que l’authenticité et la valeur des objets ne soit pas remise en cause lors d’un sinistre.

Ceci implique au préalable une démarche d’expertise et d’assurance. Il appartient alors à l’expert contacté de sensibiliser le propriétaire aux risques encourus, s’il perçoit des risques. Cela peut être l’accrochage d’un tableau au-dessus d’un radiateur, le chauffage à l’électricité qui dessèche un appartement, une exposition directe au soleil d’une aquarelle ou d’un meuble marqueté, ou encore l’accrochage de dessins et d’aquarelles dans une salle de bains où l’humidité relative monte fréquemment jusqu’à 100 %.

Les principales causes de la dégradation des objets sont les suivantes :

  • les causes climatiques avec principalement l’eau, l’humidité relative, la chaleur, la lumière,

  • les causes accidentelles naturelles, le feu, les inondations, les tremblements de terre.

  • les causes accidentelles humaines, les chutes, les chocs, l’entretien, les restaurations, l’exposition, l’usage, etc.

 

LES CAUSES CLIMATIQUES

De nombreux objets résistent mal aux intempéries. Tous les objets en bois, naturel, polychrome ou doré ainsi que les objets en textile, en papier ou les tableaux sont destinés à être conservés à i’ abri de la pluie et de la chaleur.

Le bois, et tous les matériaux organiques sont plus ou moins hygroscopiques, c’est-à-dire que leurs cellules se dilatent en absorbant de l’eau et s’amenuisent par suite de son évacuation.

En présence d’eau, ou en atmosphère humide, le bois se gonfle selon le sens de ses fibres. Il peut en résulter des décollages des marqueteries, des dorures, et l’apparition de taches blanchâtres sous le vernis. Ces voiles laiteux, appelés chancis sont dus à la prolifération de champignons entre le vernis et le bois dans le cas des meubles, ou entre le vernis et la couche picturale dans le cas de tableaux.

Le dos de boiseries ainsi que les meubles entreposés dans des caves humides, dans le noir, sont facilement sujets aux attaques de la mérule qui est un champignon en forme de toile d’araignée. Ses fibres pénètrent le bois et brisent la structure de ses veines en formant de petites crevasses appelées pourriture cubique.

Les variations importantes de l’humidité contenue dans l’air (H.R) détériorent également les objets organiques.

Prenons le cas d’un meuble entreposé depuis plusieurs générations dans une bâtisse ancienne, stable du point de vue de l’hygrométrie relative de l’air, entre 45 et 60 %. Il s’est parfaitement conservé et ne comporte aucune fente. S’il se trouve déplacé après un héritage, dans un milieu hygrométrique sec, comme un appartement moderne surchauffé en hiver, en continu avec le chauffage central, il se déforme rapidement. Les masses de bois se rétrécissent, les panneaux se fendent et se voilent, la colle au dos qui maintient le placage se déshydrate et ne retient plus la marqueterie sur le meuble.

Cet exemple est d’ailleurs le sujet de nombreux litiges entre des propriétaires qui, venant d’acquérir un objet d’art, le font partiellement restaurer et imputent la dégradation subite constatée chez eux à un vice redevable au restaurateur.

La lumière dégrade également les objets d’art. Ses ondes attaquent les surfaces. Les couleurs “passent”, les vernis jaunissent. Ceci se remarque principalement sur les pigments et les colorants organiques plus fragiles que les pigments minéraux. Sans pousser la protection jusqu’à cacher les aquarelles ou les dessins par un tissu épais et opaque comme dans de nombreux musées, il suffit d’abaisser l’intensité lumineuse en dessous de 80 Lux dans les pièces où sont exposés les objets fragiles pour augmenter considérablement la longévité des couleurs et des tissus.

 

LES CAUSES ACCIDENTELLES NATURELLES

Les catastrophes naturelles sont souvent si brusques et si importantes que leur prévention ne dépend pas d’un seul individu, mais de la collectivité, et dépassent notre propos. Ce sont principalement les inondations naturelles, les tremblements de terre et la foudre.

 

LES CAUSES ACCIDENTELLES HUMAINES

Il est plus facile de détruire que de construire. Sans passer en revue toutes les activités dangereuses de l’homme pour les objets d’art, nous nous cantonnerons à l’essentiel : les déménagements et une utilisation journalière ont souvent raison du service en porcelaine ou de la dorure à la feuille du miroir d’époque Louis XVI qui disparaît sous les nettoyants miracles modernes. Tout comme les sièges d’époque Louis XVI ne résistent pas aux assises brutales des adolescents irresponsables.

Les guerres génèrent d’innombrables cas de destruction, soit par les incendies et les bombardements, soit par l’abandon aux intempéries.

Autre risque, le vol. Dans sa précipitation, le voleur ne prend pas les mêmes précautions qu’un transporteur responsable du bon acheminement de l’objet.

 

LA PRÉVENTION DES RISQUES MATÉRIELS

La prévention des risques consiste à connaître les risques encourus, à les évaluer et à diminuer leur probabilité.

La règle n° 1 consiste à évaluer la conséquence de ses actes. Par exemple, en restauration, le fameux nettoyage des tableaux à la pomme de terre, recommandé il y a encore 10 ans, est une véritable catastrophe. La partie humide et poreuse de la pomme de terre frottée sur la peinture décrasse la surface mais remplit d’amidon les craquelures invisibles de la couche picturale.

Cet amidon constitue ensuite une nourriture de choix pour les champignons qui se développent dans toute la peinture en changeant les couleurs et en provoquant des écailles.

La règle n° 2 est de faire preuve de bons sens.

Le guéridon Louis XV estampillé sera éloigné du foyer de la cheminée, ne sera pas placé devant une fenêtre, mais à l’abri des courants d’air, de la chaleur, de l’humidité et des rayons du soleil.

Les meubles de valeur ne seront pas placés dans des endroits humides ou dans une entrée, mais à l’étage où la température et l’humidité sont plus stables.
Il suffit souvent d’un peu de lucidité pour diminuer considérablement les risques : ne pas exposer des objets fragiles en dehors des vitrines, ne pas chauffer à 30° C son appartement comme un prince arabe dans son hôtel particulier parisien, ou encore séparer par un sas les piscines privées des lieux d’habitation, etc.

 

LES RISQUES IMMATÉRIELS

Les risques financiers

Le prix d’un objet d’art dépend de sa qualité, du renom de son auteur, de son ancienneté, de sa rareté, de la mode, de l’importance que lui octroie son propriétaire et des possibilités pécuniaires de l’acheteur. La valeur d’un objet d’art varie entre le coup de cœur et la raison, et n’est jamais stable.

La qualité peut devenir discutable, l’aura de l’auteur peut tomber dans l’oubli, l’ancienneté et la rareté peuvent être discutées, la valeur marchande peut chuter ou augmenter dans le cas d’une nouvelle attribution.

Les décotes constituent un risque constant lors de succession et de revente à court terme. Un héritier ayant préféré prendre un tableau de Picasso à la place de l’ancien mobilier d’époque dans un château du XVllle siècle voit avec consternation l’œuvre du maître estimée 100 000 000 Francs en 1989, lors du partage, chuter à 20 000 000 Francs en 1994… Pendant ce temps ; celui qui possède la part du mobilier a réalisé une meilleure affaire puisque les cotes du mobilier sont légèrement en hausse.

Que dire alors de cet autre cas, hélas très fréquent, où un héritier reçoit dans son partage un objet que la tradition familiale porte aux nues et qui, après expertise, réalisée quelques années plus tard, se révèle être un faux.

Ces risques pécuniaires sont atténués par un expertise préalable, quand la science et la conscience vont de paire. L’expert ne doit pas hésiter à faire appel à un ou des sapiteurs pour des objets importants qui échappent à sa qualification, car il ne peut décemment expertiser avec assurance un lustre en bronze Louis XV, des meubles, des faïences, des porcelaines, des tableaux et des tapis de toutes époques.

L’authenticité

La notion d’authenticité évolue selon les époques et les œuvres d’art concernées. Pour les tableaux, l’authenticité détermine la valeur. Une œuvre de Rembrandt désattribuée par le dernier conservateur en place du Rijksmuseum vaut mille fois moins cher que la veille, de même pour une œuvre de Van Gogh ou de Fragonard…

L’authenticité d’une œuvre d’art ancienne est une notion objective, qui regroupe l’avis de tous les spécialistes du maître en question : elle n’est ni une datation ni une vague attribution.

L’authenticité d’une œuvre contemporaine est moins contestable tant que l’artiste est vivant. La multiplication des catalogues raisonnés facilite également le travail des experts pour autant que les œuvres qui y figurent soient toutes, avec certitude, de l’artiste en question.

En règle générale, la signature confirme l’authenticité des tableaux modernes et contemporains (XIX et XXe siècles). Le cas des tableaux anciens est plus complexe, car peu de toiles étaient signées et le maître se faisait souvent aider par ses élèves pour les grands tableaux, se réservant la touche finale des visages et des mains.

L’authenticité des meubles et objets d’art est plus aisée, car elle se réfère plus à l’époque de la fabrication de l’œuvre qu’à leur auteur. Le pedigree (une provenance royale par exemple décuple sa valeur) et l’état (en pourcentage des parties restaurées) ont une grande influence sur sa valeur.

Le dépistage des faux

Le dépistage des faux est réalisé aujourd’hui par les experts assistés des scientifiques. L’œil ne perçoit que la surface et la couleur des objets. A la demande de l’expert, le scientifique augmente sa vision avec les rayons X, ultraviolets et infrarouges. Il analyse les composants de l’œuvre d’art pour les comparer avec les originaux et date certains éléments, comme les matériaux organiques, les céramiques avec, plus ou moins de précision.

Les examens scientifiques constituent une sécurité, mais également un risque de déclassement et sont boudés par de nombreux propriétaires. Ils sont cependant de plus en plus utilisés pour les œuvres importantes lors de transactions ou de présentation aux musées pour les commissions d’admission.

L’expert qui a une obligation de moyens et non de résultat, peut se voir reprocher ultérieurement, en cas de fausse attribution, de ne pas avoir pris certaines précautions élémentaires comme des examens radiographiques.

Les restaurations

Une œuvre restaurée doit également être présentée avec son pourcentage de restauration, facilement réalisable aux rayons X, UV et IR.

Une restauration faite dans les règles de l’art n’affecte pas la cote d’un objet. Elle ne doit pas empiéter sur les parties d’époque, et être réversible.

La réversibilité résulte des produits utilisés qui doivent pouvoir être retirés sans endommager les parties d’origine.

Les vices cachés

La notion de vice caché ne s’applique pas à la fabrication des objets d’art anciens parvenus jusqu’à nous, mais aux malfaçons relevées sur des interventions de conservation et de restauration.

Une consolidation avec une résine non réversible ou qui jaunit est un vice caché.

Le stockage d’un mobilier dans un container non stabilisé à l’humidité relative environnante, sur un quai, pendant un mois, constitue un vice caché qui peut se révéler plusieurs semaines après la livraison.

Une restauration inadaptée peut se révéler catastrophique plusieurs mois après sa réalisation et constitue un vice caché. La restauration d’une sculpture en plâtre, par exemple, avec des inserts en fer utilisés pour maintenir les éléments entre eux, constitue un vice caché. A long terme, les inserts ferreux rouillent, se dilatent et feront, sous les pressions, éclater le plâtre.

L’application de vernis inadaptés aux tableaux constitue également un vice caché, qui peut aller jusqu’à détruire l’aspect de l’œuvre.

 

LE VOL

La prévention du vol consiste à respecter certaines règles de sécurité recommandées par les compagnies d’assurances. Outre la mise en place de systèmes de sécurité modernes comme les radars reliés à des postes d’écoute, des fermetures et des grilles agréées, il est recommandé d’inventorier son patrimoine artistique et de le faire marquer.

L’inventaire qui comporte la description précise de l’objet agrémenté de photographies, doit être stocké dans un autre local pour que les cambrioleurs ne l’emportent pas !

Le marquage des objets est une mesure dissuasive, lorsqu’il est visible à l’œil nu, et efficace après le vol pour récupérer l’objet lorsqu’il est localisé. Il constitue une preuve de propriété indiscutable et facilite les démarches de restitution.

Lorsque l’inventaire et le marquage sont réalisés par un professionnel, il convient de d’assurer de la sécurité des fichiers et de la pérennité de l’entreprise pour que les informations ne tombent pas dans des mains indélicates.

 

CONCLUSION

La prévention des risques concernant les oeuvres et objets d’art consiste à être vigilant sur les risques encourus. Elle concerne aussi bien l’exposition des objets, leur usage, que, dans le domaine de l’immatériel, leur authenticité, leur cote, et le vol.

La délectation qu’en tirent leurs propriétaires mérite bien ces quelques contraintes.

Il est du code de déontologie des experts, des marchands et des restaurateurs d’avertir les propriétaires d’œuvres d’art dès qu’ils constatent un risque pesant sur celles-ci et de les aiguiller vers une solution.

Tableau original d’Albert LEBOURG découvert dans un grenier. Après suppression d’une épaisse couche de crasse. Cette œuvre représente la Seine à Bougival. L’oubli et la vieillesse constituent un risque pour les objets d’art. Dans certains cas, comme dans celui-là, il est positif car “l’oubli” a protégé l’œuvre “redécouverte”, mais hélas il faut admettre que cet exemple est assez rare
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Faux Maurice UTRILLO. Emile Boyer s’amusa, de connivence avec Maurice Utrillo, à apposer une fausse signature, imitant son ami, sur certains de ses tableaux, pour lui prouver qu’il était aussi compétent que lui. Mais heureusement, si E. Boyer porta son attention sur la copie de la signature, il ne put s’empêcher de peindre selon sa propre manière, ce qui avec le recul du temps et de l’analyse de l’œuvre des deux maîtres, ne trompe plus aujourd’hui les experts patentés de Maurice Utrillo et d’Emile Boyer. La copie ou le pastiche réalisé par un proche du maître ont toujours été pratiqués dans les ateliers. Cela constitue un énorme risque lorsque tous les témoins oculaires sont décédés. La légende s’installe, alimentée par les ayants-droit qui souvent n’ont pas connu l’artiste.

 

La crucifixion du Christ.

La folie humaine a toujours fait des ravages. Ce tableau du XVlle siècle qui avait bravé deux siècles d’histoire a été lacéré par un dément il y a à peine deux ans. Ce type de risque relève de la psychanalyse et reste difficilement neutralisable.

 

 

 

 

Salle du trésor de la cathédrale de Noyon après le bombardement de 1918. On note à gauche le coffre écrasé par les gravats et en face ce qu’il reste d’une armoire en chêne

 

 

 

 

Coffre médiéval en chêne provenant du trésor de la cathédrale de Noyon après restauration.

 

 

 

 

 

Les œuvres en verre, en terre cuite, en plâtre, en faïence etc. sont fragiles. Elles traversent difficilement les siècles sans casse.

Une sculpture en terre cuite comme celle-ci est rarissime de par sa qualité et son auteur (signée Falconnet 1754). Le scanner n’a révélé aucune restauration.

Trop d’œuvres fragiles ont été au cours de leur vie cassées et mal restaurées. Voici un exemple de ce qui était encore admis au début du siècle : des agrafes métalliques, des rebouchages grossiers en plâtre et des recouvrements épais pour masquer les faiblesses du restaurateur. Le technicien actuel retire ces agrafes et les restaurations précédentes qui dénaturent la sculpture.

 

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Copie d’une œuvre de Raoul Dufy (photo n°8) signée en bas au milieu par le “procédé de reproduction AEPLY”, vers 1950 (photo n°9). Seul le graphisme est reproduit par un procédé photographique sur le papier, les couleurs (gouache) étant déposées à la main. Les reproductions ne trompent pas les experts mais constituent un risque permanent dans les foires de brocante et les déballages, lorsque les tampons (photo n°10) sont grattés et le papier marouflé sur une toile. Elles abusent les crédules qui pensent être plus malins que les marchands. Dans ce cas précis, il s’agit surtout d’un risque financier qui existe aussi avec des œuvres de Braque, Picasso, Renoir, Marquet, Juan Gris, etc.

 

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