L’objet d’art est apprécié, jugé et commenté par l’homme grâce à la vue, elle-même dépendante de la présence et de l’intensité de la lumière laquelle est composée de rayonnements électromagnétiques. Pour voir au-delà de l’invisible, c’est à dire de part et d’autre des couleurs de l’arc-en-ciel, il y a des procédés scientifiques utilisés par les experts en objets d’art leur permettant d’appréhender le passé (dessins préparatoires ou repentirs sous la couche de peinture…) et le présent (insectes xylophages, causes de dégradations en cours…). Ainsi en est-il de la lampe de Wood, des caméras UV et IR, des rayons X, des coupes tomographiques, de la fluorescence X, de la microsonde X et la diffraction aux rayons X.
La Revue Experts n° 31 – 06/1996 © Revue Experts
Les rayonnements électromagnétiques sont de plus en plus domestiqués par l’homme. Ils augmentent notre vision des planètes lointaines comme celle des objets d’art. De la perception à la connaissance, il n’y a souvent qu’un pas que les historiens, les experts et chercheurs franchissent grâce aux nouveaux ordinateurs surpuissants. Mais, avant d’aborder ce sujet, il convient de faire le point sur ce que nous appelons la vue.
LES LIMITES DE LA VUE
La vue permet à l’homme de se diriger à travers l’espace en percevant les objets touchés par les rayons du soleil.
L’œil visualise les couleurs de l’arc en ciel réfléchies sur les surfaces baignées de lumière. Reliés au cerveau, associés par paire, les yeux nous permettent de percevoir les volumes, la perspective et les distances.
Mais comme tous les dons de la nature, aussi merveilleuse soit-elle, l’efficacité de la vue est limitée par l’étendue du rayonnement électromagnétique de la lumière du soleil ou de la lumière artificielle. L’intensité lumineuse ambiante joue également un rôle important. En l’absence de lumière, dans le noir total, l’œil ne voit rien. Par contre, trop de lumière conduit à l’éblouissement dépassant là encore les limites de notre vision.
LA VUE, PERCEPTION DE L’ART
L’objet d’art qui élève son créateur au rang de démiurge, est apprécié par l’homme grâce à la vue : sans elle, la féerie d’un vitrail ou le sourire magique de La Joconde resterait dans les ténèbres de la nuit.
La vue est le passage obligé, et presque l’unique moyen pour apprécier une œuvre peinte, graphique ou en volume. Elle intervient dans la réalisation de l’œuvre comme elle informe notre cerveau sur ses qualités esthétiques.
L’amateur d’art, comme l’expert, se fient toujours à la vue pour apprécier, commenter et juger ce qu’ils contemplent.
Le jugement de l’amateur d’art est porté par sa sensibilité personnelle, qui englobe ses goûts, sa culture, son expérience. Celui de l’expert, sans négliger ces paramètres naturels, dépend toujours de ces critères esthétiques, mais aussi aujourd’hui à des examens et analyses qui relèvent de moyens scientifiques récents.
Ces moyens, caméras, capteurs numériques, récepteurs et ordinateurs sont des organes créés de toute pièce par l’homme pour explorer la réalité qui nous entoure et que nos sens naturels ne nous permettent pas de percevoir.
Ces nouveaux moyens nous permettent de mieux comprendre le passé et le présent d’une œuvre d’art, sa composition, ses dégradations : le rejet de quelques amateurs qui ne sont qu’éclairés paraît en notre fin de millénaire, anachronique.
- Mieux comprendre le passé, en découvrant les dessins préparatoires sous la couche de peinture ou les repentirs masqués jusqu’à présent à notre connaissance dans la profondeur de la couche picturale grâce aux rayonnements infrarouges.
-
Mieux connaître le présent en localisant les insectes xylophages dans une statue en bois, grâce aux rayons x, ou en identifiant les causes d’une dégradation dangereuse pour la pérennité de l’œuvre.
L’homme de cette fin du XXème siècle demande à l’œuvre d’art de lui livrer ses moindres secrets. Il utilise, entre autre, pour percer les mystères contenus dans la matière, toutes sortes de rayonnements électromagnétiques qui augmentent son acuité visuelle. Il suffit d’utiliser du matériel médical comme le scanner ou des caméras mises au point pour l’exploration de l’espace.
VUE DANS LES RAYONNEMENTS ÉLECTROMAGNÉTIQUES
La lumière
Techniquement, l’œil est une caméra qui transmet au cerveau des formes et des couleurs réfléchies par la lumière naturelle ou artificielle. En absence totale de lumière, il ne distingue rien.
La lumière est composée de rayonnements électromagnétiques traversant l’espace, d’une longueur comprise entre 800 nm (nanomètre) (1 nm = 1 milliardième de mètre) et 350 nm.
Les couleurs de l’arc-en-ciel se répartissent de 800 nm à 350 nm en commençant par le rouge, l’orangé puis le jaune, le vert, puis le bleu et le violet. Les rayonnements supérieurs à 800 nm sont appelés infrarouges, les rayonnements inférieurs à 350 nm sont appelés ultraviolets. De 10 nm à 0,01 nm, les rayonnements sont appelés rayons X (découverts par Röntgen en 1895), puis suivent les rayons gamma (une des trois formes de rayonnement émis par les noyaux des atomes radioactifs).
Voir dans l’invisible
En moins d’un siècle, les scientifiques ont mis au point des caméras ou des films (radiographie X) pour voir dans les rayonnements invisibles à l’œil.
LES APPLICATIONS ACTUELLES
La lampe de Wood
La célèbre lampe de Wood (du nom de son inventeur), est utilisée quotidiennement pour la détection des repeints récents sur les tableaux, les meubles et boiseries.
Le tube de la lampe émet des rayonnements qui se situent au delà du violet du spectre visible. Ces ultraviolets permettent à l’œil de distinguer des surfaces plus ou moins violettes selon le degré d’absorption et de fluorescence des surfaces éclairées. Afin d’augmenter l’acuité visuelle, l’observation se fait en absence totale de lumière. Les retouches récentes sur un tableau, les restaurations, fausses signatures, se perçoivent aisément par ce moyen, par la différence d’absorption des molécules récentes par rapport aux molécules d’origine.
Les caméras, UV et IR
Ces caméras sont des yeux électroniques qui fonctionnent en visualisant la réflection des rayonnements situés en dehors de la lumière dans la gamme des ultraviolets ou des infrarouges.
L’image est reproduite en noir et blanc sur un moniteur. Les réglages sont réalisés en fonction de la densité des surfaces observées et de l’intensité des rayonnements.
Les caméras utilisées par le laboratoire du musée du Louvre comme les nôtres sont des caméras Hamamatsu et couvrent la gamme des rayonnements infrarouges de 760 nm à 2 200 nm et celle des rayonnements ultraviolets de 400 nm à 200 nm.
L’examen dans cette gamme d’infrarouges permet de pénétrer dans la couche picturale des tableaux selon la composition des pigments, et de découvrir parfois un dessin préparatoire, une signature cachée ou un repentir.
Les rayonnements dans la gamme des ultraviolets ont une longueur d’onde beaucoup plus courte et dispensent plus d’énergie que la lumière. La caméra adaptée aux ultraviolets permet de visualiser les différentes interventions récentes à la surface d’un tableau, comme une signature rapportée, des restaurations.
Les rayons X
La radiographie
Jusqu’à l’avènement des ordinateurs, les rayons X étaient utilisés en radiographie dite conventionnelle pour visualiser sur une plaque photographique en noir et blanc, un corps ou un objet traversé par ces rayons.
Les premiers examens scientifiques sur les tableaux eurent lieu par radiographie dès le début du XXème siècle, et sont utilisés aujourd’hui très couramment (cf. radiographie complète des Noces de Cana au musée du Louvre en 1992).
Les coupes tomographiques
Puis avec l’ère numérique, le scanner est né. Les rayons X qui traversent le volume qui leur est soumis, perdent de leur intensité selon les résistances rencontrées et finissent leur course sur des petits capteurs d’un quart de mm².
Ces capteurs transmettent à l’ordinateur cette intensité selon une valeur numérique de 1 à 120. L’ordinateur dirigé par l’opérateur reconstruit ensuite une image qui permet de visualiser par coupes successives le volume examiné.
La numérisation des rayons x permet une meilleure image en réduisant les éblouissements et en augmentant l’intensité des zones sombres.
La fluorescence X
La fluorescence x est une technique d’analyse des composés minéraux d’une surface.
L’opérateur envoie un faisceau de rayons x étroitement canalisé sur une surface et la réflection de ces rayonnements est récupérée par un capteur relié à un ordinateur qui identifie à l’aide d’un spectre la composition élémentaire de la surface touchée.
La micro sonde x
L’émission de rayons x est également utilisée dans la microscopie électronique à balayage pour analyser les particules minérales élémentaires des couches picturales.
Cette méthode possède l’avantage de pouvoir analyser la composition d’un grain de moins d’un micron d’épaisseur, parfaitement localisé dans une couche.
Par comparaisons successives, l’expert peut en déduire si le pigment présent était utilisé à l’époque par l’artiste présumé et son atelier, ou s’il s’agit d’un pigment anachronique du XIXème siècle par exemple pour une oeuvre présumée du XVIème siècle.
La diffraction aux rayons x
La diffraction aux rayons x est une méthode d’analyse en pleine progression. Elle permet d’étudier la structure des molécules les plus complexes (A.D.N.). Comme technique d’analyse, elle sort de notre propos qui est les techniques de vision.
LONGUEURS D’ONDES DES RAYONNEMENTS ÉLECTROMAGNÉTIQUES UTILISÉS
EN CONCLUSION
L’utilisation des rayonnements électromagnétiques apporte une meilleure connaissance technique des objets d’art.
Leur champ d’action est de ce fait limité et ne peut s’étendre au subjectif, comme l’appréciation de la beauté ou de l’authenticité, mais ils y contribuent dans de nombreux cas.