La copie des œuvres d’art dont les droits de reproduction sont tombés dans le domaine public et appartenant aux Musées de France est libre d’accès et de droit. Profitant d’une anecdote, l’auteur retrace toutes les mesures et obligations légales qui régissent les copies depuis la loi du 4 janvier 2002 sur la propriété littéraire et artistique.
Article de la Revue Experts n° 80 – septembre 2008 © Revue Experts
L’expert judiciaire ne sert en principe qu’occasionnellement la justice et doit continuer son activité principale afin de rester toujours au sommet des connaissances de son art. Aussi, lorsqu’un sculpteur, expert en objets d’art, pétrit dans l’argile avec ses compagnons au sein de son atelier une sculpture monumentale destinée à être transcrite pour les générations futures dans le marbre, nous ne pouvons que l’en féliciter dans l’attente d’en apprécier le résultat. En l’occurrence, il s’agit de la copie d’une fontaine du XVIIe siècle située dans le parc du Château de Versailles. Commandée par un musée asiatique, elle a suscité de la part de l’administration française concernée un haut-le-cœur compréhensible mais injustifié au niveau du droit. Compréhensible car lorsqu’on a la charge de la conservation d’un fleuron du patrimoine français, il est naturel de s’y attacher, mais l’affectif conduit parfois à des sautes d’humeur injustifiées au vu des arguments avancés.
1. Les faits
En janvier 2008, un confrère remporte le marché de sculpter la copie à l’échelle 1, en marbre de Carrare de l’œuvre de Jean-Baptiste Tuby, Apollon guidant le char du soleil, réalisée pour Louis XIV et placée dans le parc du Château de Versailles entre le « tapis vert » et le grand canal (voir photo). Bien qu’aucun écrit précis ne semble en justifier la raison exacte, cette œuvre fut exécutée en fonte de plomb et non en marbre comme les premières commandes royales, situées plus près du château. Cet alliage étant moins onéreux que le marbre de Carrare, on peut voir dans le choix royal une volonté d’économie alors très perceptible (voir photo). La direction du musée asiatique avait hésité au préalable entre différents modèles principalement italiens, comme la fontaine de Trévi ou celle du Cavalier Bernin de la Piazza Navona, situées à Rome, toutes deux en marbre de Carrare. Grâce à l’argumentaire développé par ce confrère, la direction de la fondation asiatique porta définitivement son choix sur l’œuvre de J.-B. Tuby, souhaitant déposer les 14 m de la copie transcrite dans le marbre au milieu d’un bassin de 38 m de diamètre. Ce bassin accueillera les visiteurs dans un grand parc, les invitant ensuite à traverser un pont à l’antique en marbre de Carrare, de 190 m de long, orné de douze sculptures copiées également de l’antique, pour accéder aux bâtiments du musée actuellement en construction… Aux alentours de 2012, ce seront trois mille visiteurs par jour qui visiteront ce lieu, ce qui ne manquera pas de susciter un intérêt pour Versailles et les engagera, dès que l’occasion s’en présentera, à venir admirer l’œuvre originale. Il n’est pas besoin de s’appesantir davantage pour discerner le pont culturel et économique que cette copie provoquera auprès des visiteurs chinois de plus en plus avides de découvrir l’Europe, d’autant que les collections du nouveau musée sont principalement axées sur l’art français.
2. La demande d’autorisation d’accès
C’est dans ce contexte que notre confrère présenta cette commande et requis auprès de la conservation du Château de Versailles l’autorisation d’effectuer des mesures sur l’œuvre de J.-B. Tuby à l’aide d’un rayon laser. Précisons que cette technique est sans effets négatifs sur le plomb. Après un premier contact téléphonique avec le conservateur des sculptures, il fut dirigé vers le service du mécénat dont la responsable évoqua un premier coût de 1 500 000 € au bénéfice de l’Établissement public administratif (EPA) au titre du droit de reproduction. Dès la première réunion, cette requête tomba à 1 000 000 € avec l’exigence de l’administration de conserver la maîtrise de l’opération, de ne réaliser qu’une seule copie en terre glaise, qu’un seul tirage en plâtre pour servir de maître modèle aux sculpteurs italiens et qu’une seule copie en marbre de Carrare. Notre confrère souligna que J.-B. Tuby étant décédé depuis plus de 70 ans (1) (en 1700), les droits de reproduction étaient tombés dans le domaine public ! Le conservateur du musée national acquiesça et avoua très justement ne pas percevoir à quel titre cette somme pouvait être légitiment sollicitée si les parties ne s’engageaient pas vers une convention de mécénat.
3. Les conventions de mécénat
Il se révèle exact que les nombreuses conventions signées avec des partenaires privés afin de restaurer le parc royal et les bâtiments portent leurs fruits. La restauration du plafond de la Galerie des glaces nous éblouit encore. Dans le parc, elles ont permis, notamment grâce à l’action de la Versailles Foundation ou de grandes entreprises, de restaurer de nombreux bosquets et de placer à l’abri des intempéries les œuvres d’origine en les remplaçant par des moulages en poudre de marbre. En compensation de son don, chiffré aux alentours de 100 000 € par sculpture, chaque mécène reçoit en contrepartie une épreuve moulée en résine synthétique et poudre de marbre de l’œuvre dont il parraine la préservation. Ces actes de mécénat se révèlent pleinement justifiés puisqu’ils répondent au désir de la direction du château qui a pris la décision de remplacer toutes les sculptures en marbre ornant le parc, des antiques à celles du XVIIe siècle, par des moulages pour les entreposer après restauration à l’abri des intempéries. La requête du copiste ne s’inscrit donc pas dans cet esprit de conservation du patrimoine, mais dans une démarche de divulgation de l’œuvre originale.
4. La discussion
Le lendemain de la réunion, un bref courriel adressé par le chef de cabinet du président du Domaine national déboutait le lauréat. L’affaire n’était pas réalisable pour la direction du musée, « compte tenu des précisions que vous avez bien voulu apporter lors de votre entrevue d’hier soir, et de l’état très avancé de votre projet auquel nous n’avons malheureusement pas été associés dès le départ, j’ai le regret de vous indiquer que l’établissement public de Versailles ne pourra apporter son concours à sa réalisation ». Toute discussion semblait close et inutile, du moins pour un bureaucrate. L’artiste opiniâtre ne l’entendit pas ainsi. Dans de multiples échanges épistolaires il rappela les dispositions de la loi n° 92-597 du 1er juillet 1992 (2) sur la propriété littéraire et artistique, art. L123-1, L113-3, L121-3, ainsi que celles de la loi du 31 décembre 1921 corrigée par la loi du 4 janvier 2002 (3). L’administration lui répondit que toujours consciente « de votre souhait de procéder à un relevé numérique par laser du groupe du Char d’Apollon par J.-B. Tuby, dans le but d’en fabriquer une copie en marbre de Carrare », elle déplorait que « la copie que vous allez réaliser comportera des différences notables avec l’œuvre originale, ce qui va à l’encontre de la mission de protection des collections du Château de Versailles, dont l’Établissement public administratif de Versailles est investi de par son décret statuaire du 27 avril 1995 ». Cet ultime argument était erroné, car si ce décret engage bien l’EPA à l’entretien et la protection notamment des sculptures du parc, il n’enjoint aucune interdiction de copie ou de contrôle de la qualité des copies ou même d’interprétations susceptibles d’en être issues.
5. La mention obligatoire « reproduction »
La seule contrainte que la direction du musée aurait dû stipuler consiste en l’application sur chaque élément copié du mot « reproduction (4)» de manière visible et indélébile suivi de la mention « d’après J.-B. Tuby ». Accessoirement, le nom du sculpteur, la marque du copyright ainsi que le millésime de la réalisation de la copie peuvent figurer en accord avec les recommandations du Code de déontologie des fonderies d’art, des galeristes, des sculpteurs et des commissaires priseurs français, signé le 18 novembre 1993. Nous ne pouvons qu’être surpris que cette administration n’ai pas cru devoir rappeler dans ses courriers adressés au sculpteur les termes du décret 81-255 du 3 mars 1981 édicté par son ministère de tutelle. Il y est clairement précisé dans l’art. 8 que « toute copie où autre reproduction d’une œuvre d’art doit être désignée comme tel ». Les sanctions encourues par le copiste pour non-respect des art. 8 et 9 de ce décret sont passibles des amendes prévues pour les contraventions de la cinquième classe (5). S’agit-il d’un oubli volontaire, ou de la méconnaissance du droit des interlocuteurs de l’Établissement public administratif ? Quoiqu’il en soit, l’artiste copiste qui ne connaît pas ces obligations légales risque de très sévères amendes et la confiscation de son ouvrage.
6. Le recours en justice
Après plus de trois mois de chassés-croisés, notre confrère sculpteur adressa au directeur de l’EPA une mise en demeure administrative par lettre recommandée avec accusé de réception dans laquelle, après avoir retracé son historique des faits, il précisait : « Il n’a jamais été sollicité de ma part un quelconque concours de votre établissement, seulement une autorisation d’effectuer des mesures […]. En conséquence, ce refus est dénué de toute motivation et ce en violation des dispositions de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 sur la motivation des actes administratifs, car dénué de moyens précis et sérieux ». Ceci constituant à son avis « un abus de droit et un excès de pouvoir caractérisé », notre confrère engageait l’administration à reconsidérer sa position « afin d’éviter de porter le litige naissant qui en découle devant la juridiction compétente ». Dès réception de l’envoi recommandé avec accusé de réception, le Musée national disposait d’un délai de deux mois pour éviter que le litige ne soit porté devant le tribunal administratif.
7. La délivrance de L’autorisation
La réponse vint de l’administrateur général qui, après avoir défendu la version historique des faits de son EPA, admit que « ce faisant, la position de notre Établissement ne s’analyse en aucun cas comme une interdiction de réaliser une copie de l’œuvre qu’il vous est parfaitement loisible de faire, dans le respect de celle-ci ». Soulignons au passage que la notion évoquée « dans le respect de celle-ci » reste sujette à de nombreuses interprétations. Cependant, l’œuvre concernée étant située au milieu d’un bassin rempli d’eau dont la profondeur oscille entre 1,80 et 2 m, notre sculpteur avait toujours besoin d’une autorisation spécifique pour disposer un groupe électrogène, un laser, une batterie de mires, etc. afin de prendre un maximum de mesures pour que la copie projetée soit fidèle et de qualité. Un nouveau courrier fut adressé à M. l’administrateur général le remerciant de la position précitée de l’EPA, mais lui rappelant que l’accès du petit parc du château était soumis à un règlement intérieur régulant entre autre l’usage de pieds photographiques. Notre artiste eut donc l’honneur de requérir « cette autorisation afin de [lui] permettre de réaliser, dans le respect de ces dispositions, la photométrie nécessaire à la copie projetée ». Enfin, après une quinzaine d’échanges épistolaires, l’autorisation souhaitée arrivait en ces termes : « Je vous indique qu’il vous est loisible d’effectuer un relevé au laser des mesures du groupe d’Apollon par Tuby. »
En conclusion
La ténacité du sculpteur fort de son bon droit avait eu raison d’une administration vraisemblablement mécontente de ne pas diriger cette copie et d’en tirer certains bénéfices. Bien qu’il soit parfaitement admissible que la mission confiée aux EPA soit entre autre d’obtenir des revenus par différents biais tels que la vente de billets, l’organisation de spectacles, la location de salles ou la collecte de fonds par des actions de mécénat, les Musées de France ne peuvent plus solliciter de droit de reproduction concernant des œuvres tombées dans la domanialité publique. Les droits concernant les photographies de ces biens sont donc aussi libres depuis la loi de 2002 précitée. Il faut y déceler une volonté du législateur de libéraliser une économie et de permettre l’élargissement de la diffusion des œuvres afin d’en faciliter l’étude et la connaissance universelle. Cependant, certaines images du Château de Versailles ne pourront plus être diffusées, lorsque par exemple Jeff Koons(6) aura installé dans les grands appartements son homard gonflé en matière plastique ou placé devant une façade une tête de chien géante en grillage orné de verdure, lors de l’exposition de ses œuvres dans le musée et le parc (7).
Notes
- Loi du 27 mars 1997 -Art. L.123-1 puis dir. (CEE) dite de Berne n° 93/98 du 29 oct. 1993 art.1er § 1er augmentant le droit d’exploitation réservé à l’auteur ou ses ayants droit à 70 ans après son décès. Le droit exclusif de reproduction qui fait partie des droits patrimoniaux de J.-B. Tuby ou de ses ayants droit est donc tombé dans le domaine public.
- Loi n° 92-597 du 1er juillet 1992 sur la propriété littéraire et artistique : art. L.113-3 : « La propriété incorporelle définie par l’article L.111-1 est indépendante de la propriété de l’objet matériel. L’acquéreur de cet objet n’est investi, du fait de cette acquisition, d’aucun des droits prévus par le présent code, sauf dans les cas prévus par les dispositions des deuxième et troisième alinéas de l’article L.123-4. Ces droits subsistent en la personne de l’auteur ou de ses ayants droit qui, pourtant, ne pourront exiger du propriétaire de l’objet matériel la mise à leur disposition de cet objet pour l’exercice desdits droits. Néanmoins, en cas d’abus notoire du propriétaire empêchant l’exercice du droit de divulgation, le TGI peut prendre toute mesure appropriée, conformément aux dispositions de l’art. L.121-3. En cas d’abus notoire dans l’usage ou le non-usage du droit de divulgation de la part des représentants de l’auteur décédé visés à l’article L.121-2, le TGI peut ordonner toute mesure appropriée. Il en est de même s’il y a conflit entre lesdits représentants, s’il n’y a pas d’ayant droit connu ou en cas de vacance ou de déshérence. Le tribunal peut être saisi notamment par le ministre chargé de la culture. « Un musée, légataire de sculptures, n’est pas titulaire des droits de reproduction qui s’y attachent »… civ 1re, 20 déc. 1966 : BVII.civ.1, n°558 ; D.1967. IR159 ; RTD com.1967.744, obs. Desbois.
- Loi du 31 décembre 1921 corrigée par la loi du 4 janvier 2002 sur les collections des Musées de France. Les tribunaux et la cour d’appel de Paris ont mis en exergue une limite à l’étendue de la taxe requise par les « Musées de France » pour service rendu. Cette taxe ne peut en aucun cas être qualifiée de droit à l’image ou de droit de reproduction (pour une œuvre tombée dans le domaine public). Lorsque le bien relève de la domanialité publique, son montant reste limité exclusivement en fonction des frais engagés par le musée.
- Art. 9 du décret 81-255 du 3 mars 1981. Tout fac-similé, surmoulage, copie ou autre reproduction d’une œuvre d’art originale au sens de l’article 71 de l’annexe III du Code général des impôts, exécuté postérieurement à la date d’entrée en vigueur, du présent décret, doit porter de manière visible et indélébile la mention « reproduction ».
- Art. 10. Quiconque aura contrevenu aux dispositions des articles 1er et 9 du présent décret sera passible des amendes prévues pour les contraventions de la cinquième classe.
- Jeff Koons, né en 1955, artiste américain contemporain dont les œuvres provocantes qualifiées « d’art kitsch » par les critiques atteignent les sommets de la renommé internationale.
- Exposition Jeff Koons Versailles du 10 septembre 2008 au 4 janvier 2009.
Rappel
Le droit de reproduction photographique, volumétrique ou audiovisuel d’une œuvre d’art tombe dans le domaine public 70 ans après le décès de son auteur. Il devient alors libre de tout paiement.