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Le bois qui parle : la dendrochronologie

Aperçu de la dendrochronologie qui est une méthode de datation du bois, très fiable, basée sur 2 principes, d’une part les variations climatiques qui laissent des traces différentes dans le tronc, d’autre part les mêmes variations qui se retrouvent sur tous les arbres d’une même région formant autant de points de repère et d’identification selon les espèces.

La Revue Experts n° 05 – 05/1989 © Revue Experts

 

 

Une science récente au service des expertises des objets en bois.

L’expert d’art longtemps guidé essentiellement par son intuition profonde, intuition élaborée jour après jour d’après la connaissance des techniques de fabrication et des matériaux utilisés, recourt de plus en plus aujourd’hui aux techniques de pointe pour étayer ses rapports.

En effet si le savoir et la notoriété permettent d’affirmer sans être contredit qu’un meuble est de telle époque, il est préférable de recourir à une science toute récente dont les possibilités d’erreurs sont quasiment nulles : la dendrochronologie.

De nombreux Archéologues, Conservateurs de musées, Inspecteurs des Monuments Historiques l’ont déjà mise à profit et les résultats sont sans appel.

La dendrochronologie, du grec Dendron qui signifie arbre, est une science dont les prémices furent établis au début de notre siècle. Elle se base sur deux principes fondamentaux :
– selon le premier, les variations climatiques, un printemps doux suivi d’un été pluvieux par exemple, laissent des traces différentes dans le tronc de l’arbre pendant sa croissance,
– pour le second, ces mêmes variations se retrouvent sur tous les arbres d’une même région et forment ainsi des points de repère et d’identification selon les espèces.

En prenant comme référence des arbres dont la plantation ou l’abattage est connu, le dendrologue mesure au microscope la distance qui sépare chaque cerne annuel sur la coupe transversale et introduit ces données dans l’ordinateur qui les ressort sous la forme d’un graphique appelé courbe de référence. L’ordinateur compare et recherche dans sa mémoire les éléments similaires et les présente au scientifique qui les interprète.
La pratique revêt beaucoup de patience car chaque courbe de référence ne correspond qu’à la région de son origine et n’est valable que pour l’essence donnée. Les dendrologues doivent donc établir le plus de courbes possibles pour répondre aux besoins des Archéologues, des Historiens, mais aussi des amateurs d’art et des Experts.

Chaque laboratoire établit ses courbes régionales de référence et les met à la disposition des autres. Un tableau allemand présumé du XIVème siècle, peint sur chêne, peut ainsi être daté dans un laboratoire français sans être obligé de franchir les frontières.
Pour être efficace la comparaison doit s’établir sur une trentaine de cernes annuels au minimum, ce qui exclue d’emblée la datation des bois de placages et en règle générale de tous les morceaux de bois trop petits en section transversale.

Les surfaces observées doivent être propres et lisses, ce qui nécessite parfois un léger ponçage.
Réservée longtemps à l’archéologie, cette science s’ouvre aujourd’hui au grand public comme aux musées désireux de connaître avec précision l’âge d’une statue, d’un tableau ou d’un meuble.

Lorsqu’un fragment d’aubier (1) complet apparaît à l’intérieur d’un meuble ou au dos d’une statue, la précision de l’abattage de l’arbre est de l’ordre de l’année.

Lorsqu’un cerne ou deux seulement d’aubier apparaissent, le dendrologue rajoute quelques années de plus en sachant par exemple qu’un jeune chêne possède un aubier avoisinant dix cernes annuels et un vieux, une vingtaine.

La datation se révèle moins précise quand l’aubier est totalement absent de l’échantillon observé, le technicien se reporte alors sur d’autres échantillons pour affiner ses résultats.

De nombreux exemples réalisés notamment pour le Musée du Louvre avec les départements des sculptures et du laboratoire de restauration ainsi qu’avec les services des Monuments Historiques ont permis de dater déjà des objets aussi divers que :
– le mobilier médiéval de la Cathédrale de Noyon (2), l’âme de la chasse reliquaire de Moissat-Bas dans le Puy de Dôme, un portail médiéval, le retable polychrome de Souppes sur Loing (3) et des tableaux peints sur bois.

Aujourd’hui la France ne compte plus qu’un laboratoire sur son territoire alors qu’il en existe au moins quatre en Suisse et une dizaine en Allemagne Fédérale !…

Le Centre Technique du Bois a fermé le sien en décembre dernier, si bien qu’il ne reste plus que le laboratoire de la Faculté de Besançon, déjà débordé par la datation des bois archéologiques.

Les services de l’Etat s’étant déjà tournés vers l’étranger, il fallait réagir rapidement et créer un nouveau laboratoire en étendant ses activités pour qu’il puisse s’auto-financer.

Ce laboratoire s’est implanté à Versailles (4) et ouvrira ses portes dès le mois d’avril aux administrations, mais aussi à tous les Experts, Antiquaires et amateurs d’art…

Madame Yvonne TRENARD (5), bien connue des spécialistes réalisant des expertises pour le compte de la C.E.E. a pris sa direction.
La vocation de ce laboratoire est de subvenir aux besoins de l’Etat, mais aussi à ceux des particuliers amateurs d’art ou professionnels, qui pourront ainsi obtenir des renseignements très précis sur tous supports en bois.

Il est grand temps que nous nous mettions au diapason Européen, car nos voisins dont les laboratoires de dendrochronologie sont très actifs, risquent d’en avoir l’exclusivité. Ce monopole aurait de graves répercussions jusque dans les salles de vente où les meubles et objets analysés au microscope conforteraient le sérieux des compagnies étrangères, au détriment de nos commissaires priseurs.

(1) Aubier : partie du tronc impropre à la bonne conservation du bois, généralement enlevé car sa forte teneur en sève attire les insectes xylophages. Les derniers cernes de l’arbre naissent dans l’aubier.

(2) Se reporter à notre article sur la restauration du mobilier médiéval de la Cathédrale de Noyon dans l’Estampille N°208.

(3) Abattu en 1525 d’après l’analyse dendrochronologique. Longtemps présumé du XIII au XVIème siècle l’analyse coupe court à toute discussion et le retable apparaît aujourd’hui comme une copie d’un retable détruit par les reitres allemands ou les calvinistes. Cf. Françoise Baron – catalogue de l’exposition Trésors sacrés Trésors cachés. Musée du Luxembourg 10.09.88 au 30.11.88 – P. 188/190.

(4) “Laboratoire d’expertises d’objets d’art”. Dendrochronologie, identification des essences de bois et des polychromies.

(5) Ancienne Directrice du Laboratoire de Morphologie du Bois et de Dendrochronologie du C.T.B. (Centre Technique du Bois).

Coupe transversale d’un tronc
faisant apparaître les cernes annuels.

Coupe transversale d’une poutre.
On retrouve les cernes annuels de l’arbre
qui permettent au dendrochronologue d’effectuer la datation.

Mobilier de la Cathédrale de Noyon,
restauré en 1988 et daté par la dendrochronologie

Armoire à pentures du XIII siècle
Coffre à pentures du XIII siècle

© Revue Experts