Intervention faite le 16 décembre 2016 lors du colloque de la Compagnie des experts agréés par la Cour de cassation : “Contrefaçon, propriété intellectuelle et industrielle : le rôle de l’expert”.
Article de la Revue Experts n°130 – Février 2017 @ Revue Experts
Tout ce qui a été créé par l’homme peut être copié et falsifié. Ce postulat nous ouvre d’emblée les portes de la contrefaçon artistique. Nous savons que depuis la plus haute Antiquité, l’apprentissage artistique se faisait par la copie, que l’élève entrait très jeune dans un atelier et gravissait les échelons de la connaissance auprès d’un Maître. L’œuvre du Maître se distinguait par son habileté et sa physionomie. C’est ainsi que les spécialistes peuvent discerner dans une même œuvre les parties réalisées par la main du Maître de celles réalisées par l’atelier : l’apprenti, puis compagnon, n’égalant pas encore le professeur.
Les faux existaient déjà dans l’Antiquité grecque et de surcroît dans l’Antiquité romaine au cours de laquelle les riches romains recherchaient des marbres grecs alors à la mode et très onéreux. La demande étant beaucoup plus forte que l’offre, les ateliers exécutèrent des copies dont les plus réussies, patinées et vieillies artificiellement, étaient présentées comme des authentiques. Le moulage en plâtre d’originaux permit la diffusion des chefs-d’œuvre grecs, les vulgarisant comme des œuvres mineures.
Remontons de la chute de l’Empire romain à la Renaissance italienne, pour nous arrêter sur le commerce lucratif des œuvres et objets découverts dans les tombeaux romains et étrusques mis au jour : “les grottes”. Si le décor ornemental sculpté ou peint envahit le style d’alors par ses grotesques (copie des ornements décoratifs remis au jour), les œuvres anciennes excitaient toujours l’intérêt et demeuraient très convoitées. On raconte que Michel-Ange lui-même dupa le Cardinal San Giorgio en lui présentant l’une de ses premières œuvres, un cupidon endormi en marbre, qu’il avait enfoui pendant plusieurs années pour le protéger d’une destruction. Le collectionneur le lui acheta comme une antiquité.
Si le décor ornemental sculpté ou peint envahit le style d’alors par ses grotesques (copie des ornements décoratifs remis au jour), les œuvres anciennes excitaient toujours l’intérêt et demeuraient très convoitées.
On raconte que Michel-Ange lui-même dupa le Cardinal San Giorgio en lui présentant l’une de ses premières œuvres, un cupidon endormi en marbre, qu’il avait enfoui pendant plusieurs années pour le protéger d’une destruction. Le collectionneur le lui acheta comme une antiquité.
Pris de remords, l’artiste avoua en être l’auteur après la transaction. Cette tromperie fit grand bruit dans le cercle des collectionneurs chevronnés à Rome et attira l’attention des mécènes sur ce jeune sculpteur capable de berner l’un des plus grands érudits de l’époque.
Dans le monde occidental, la Renaissance marque le départ de l’activité lucrative des faussaires (nous laissons bien sûr les fausses reliques et la fausse monnaie, non considérées ici comme relevant d’une activité artistique, quoique…).
La valeur accordée à un original a donc toujours été nettement plus élevée que celle accordée à une copie. L’apprentissage par l’imitation perdurant jusqu’au milieu du 20e siècle, la frontière entre une belle copie et un faux sera souvent infime et de nombreux aigrefins en profiteront.
Aujourd’hui encore, ces copies anciennes nous entourent sans que l’amateur puisse les déceler.
Les artistes modernes n’échappent pas à l’engagement des faussaires : soit par vengeance intellectuelle, soit par lucre.
Une belle copie savamment patinée, réalisée avec les mêmes outils et la même technique qu’un original, devient une contrefaçon si elle n’est pas présentée pour ce qu’elle est en réalité. La création d’œuvres inexistantes ou perdues, en s’imprégnant de la manière du Maître, constitue également une contrefaçon si l’œuvre ne revêt pas lisiblement la mention “reproduction” ou la mention “d’après” suivie du nom de l’artiste présumé quand il s’agit d’un pastiche.
L’expertise traditionnelle
Cette expertise n’est que visuelle et s’appuie uniquement sur les connaissances acquises par l’expert d’art : examens comparatifs avec des œuvres similaires, recherches historiques. La science entrera très lentement dès la fin du 19e siècle au service de notre expertise par le biais des rayons X (radiographies), des UV (lampe de Wood) et des analyses chimiques (par réaction au solvant, etc…) ou de l’observation des surfaces et composants (sous microscopie optique) et ce, jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale.
Le développement de l’informatique permit à la science une avancée spectaculaire avec l’apparition d’analyseurs de plus en plus rapides et performants comme le scanner aux rayons X (tomographie médicale), le procédé Raman, le M.E.B (Microscope Électronique à Balayage) couplé avec un analyseur aux rayons X (microsonde EDS), ou encore les analyseurs PIXE faisant appel à des accélérateurs de particules : AGLAE (Accélérateur Grand Louvre d’Analyse Élémentaire) au C2RMF (Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France), ou le ESRF (European Synchrotron Radiation Facility) à Grenoble. Les moyens de datation comme la mesure du carbone 14, de la radioactivité (due aux essais nucléaires et pollution moderne) pour les corps organiques, la dendrochronologie pour le chêne et quelques autres essences de bois, la thermoluminescence pour les céramiques et terres cuites, complètent ce panel. Cette liste actuelle des moyens techniques utilisés n’est bien sûr pas exhaustive.
On ne saurait quitter cette brève liste sans citer les caméras utilisant le spectre des infrarouge en examen de surface et les analyseurs à infrarouge pour identifier notamment les liants des tableaux.
Le contrôle scientifique
Il faut attendre 1985 pour que le premier laboratoire privé spécialisé dans les objets d’art fasse son apparition en France à Versailles.
Dans un premier temps, le marché de l’art refusa en bloc le contrôle scientifique et même les experts les plus renommés avancèrent que seule l’appréciation visuelle comptait. Après trente années de lutte et d’expérience, les mentalités ont bien changé et plus aucun expert ne s’aventure aujourd’hui à rendre un avis sérieux sans le concours d’un contrôle scientifique ad hoc.
L’apport scientifique est entré dans les habitudes et fait partie des obligations de moyens de toute expertise délicate et importante.
L’expert qui se trompe en faisant appel à des examens et analyses scientifiques appropriés est excusable, celui qui s’est trompé en se basant uniquement sur son jugement visuel l’est beaucoup moins.
L’expertise du 21ème siècle
L’expertise aujourd’hui requiert non seulement des connaissances approfondies sur l’artiste ou la manière stylistique de l’époque présumée, mais aussi sur :
• l’environnement historique de l’œuvre et sa traçabilité,
• la technique utilisée,
• le contrôle scientifique.
Toutes ces spécialités ne peuvent pas être le fait d’une seule personne et l’expert devient de facto un chef d’orchestre qui utilise et coordonne les savoirs des sachants dont le choix et la nécessité relèvent de sa seule compétence.
L’expert et le faussaire
Cette évolution des moyens des experts a permis de déceler de nombreux faux réalisés avant l’utilisation des moyens scientifiques.
Or, l’expert judiciaire devant apporter dans ses rapports les preuves de ses arguments, les faussaires en tiennent compte et corrigent leurs erreurs.
C’est ainsi qu’aujourd’hui, un bon faussaire prendra un support authentique (panneau de bois, toile, cuivre…) récupéré sur une œuvre sans intérêt donc peu onéreuse, pour exécuter son faux avec des pigments utilisés à l’époque présumée et vieillira le tout, par enfouissement ou chauffage contrôlé par exemple.
Face à ce savoir technique grandissant, les analyses scientifiques doivent être de plus en plus affinées. Cependant, le risque d’interprétation humaine dans ces analyses est parfois non négligeable selon les procédés utilisés. Ceci ne facilite pas la tâche de l’expert, qui doit tout vérifier, de l’opportunité du moyen scientifique utilisé à sa fiabilité.
Conclusion
La course entre le faussaire et l’expert ne semble pas près de s’arrêter. D’une part, le négoce des fausses œuvres d’art est extrêmement lucratif et d’autre part, les peines encourues restent très faibles eu égard à d’autres infractions comme le faux monnayage par exemple.