Le plus grand musée d’Asie, dédié à l’art occidental sort de terre à Tainan (au sud de l’île de Taïwan, république occidentale de Chine). L’inauguration est prévue en février 2015, après cinq ans de chantier colossal.
Pour y avoir participé, en tant que restaurateur ; mais également conseiller pour les collections de tableaux et de sculptures, je pense que ce musée mérite le détour. Vingt ans de collaboration me donnent l’occasion de revenir sur l’histoire de la création de ce singulier musée privé qui possède, entre autres, la plus importante collection privée d’instruments de musique à corde au monde.
Tout commence en 1977, lorsque M. Wen-Long Shi (enfant exilé de Chine continentale devenu président de la Chi Mei Industrial Corporation) décide de promouvoir ce qu’il appelle « appreciable music and appreciable art ». Il instaure la Chi Mei Culture Foundation.
La fondation gère deux branches distinctes. L’une acquiert des instruments de musique, forme des musiciens, organise des concerts à travers le monde, etc. L’autre constitue des collections d’armes, d’œuvres et objets d’art depuis l’antiquité au début du XXe siècle, avec une prédilection pour l’art européen depuis le moyen âge.
Quinze ans plus tard, au début des années 1990, le premier Chi Mei Museum voit le jour à Tainan. Installé au sein même du siège social de Chi Mei, à l’entrée du site industriel, il ouvre gratuitement ses portes au public. L’éclectisme de ses collections offre aux visiteurs un voyage historique et culturel à travers les âges de l’occident.
Rapidement, les 6 600 m² de superficie destinés aux expositions et réserves ne suffisent plus. Les collections, dont chaque entrée requiert l’avis du fondateur, continuent de s’étoffer d’année en année.
Trente ans après sa création, la Chi Mei Culture Foundation lance un projet pharaonique : la construction d’un musée de 12 000 m² de salles d’exposition dans un parc.
La construction antisismique, habillée de marbre, dispose également d’une salle de concert, d’un atelier de restauration, d’une boutique et de restaurants.
5 000 visiteurs par jour seront accueillis gratuitement. Pour découvrir l’espace muséal, ils traverseront des jardins aux essences variées, tourneront autour du bassin de la fontaine d’Apollon (reproduction en marbre de Carrare par mes ateliers et Franco Cervietti, de celle en plomb réalisée par J.-B. Tuby pour le Roi Louis XIV) et traverseront un pont inspiré de celui de Sant’Angelo à Rome et accueillis par une haie de Dieux issus du panthéon grec en marbre de Carrare.
Les collections en 5 principaux départements
Les instruments de musique anciens et modernes,
dont la plus grande concentration au monde de violons, altos et violoncelles, environ 1750 modèles dont plusieurs de Stradivarius, Guarnérius, et d’autres célèbres luthiers. C’est d’ailleurs avec la collection de « violons » que la Chi Mei Culture Foundation a initialement débuté.
La chambre forte des instruments à corde de la Chi Mei Foundation.
Violoncelle par Antonio Stradivari circa 1730.
Au sein du nouveau musée, une salle de concert à l’acoustique exceptionnelle accueillera régulièrement 700 spectateurs pour des concerts lyriques et philharmoniques.
Les artéfacts historiques,
de grandes civilisations passées, depuis les pierres sculptées préhistoriques aux mosaïques romanes, ce département nous offre un tour d’horizon de l’évolution de l’humanité avec notamment l’Égypte, la Grèce, la Rome Antique, la Chine et le Sri Lanka.
Cercueil égyptien 800 ans avant Jésus Christ (restauration Ateliers Gilles Perrault)
Mosaïque de sol de l’empire romain au 3ème siècle
Histoire naturelle,
avec cette section les visiteurs découvrent les animaux du monde grâce à la taxidermie. Les spécimens sont mis en scène dans des décors représentant leurs milieux naturels, ils proviennent d’Afrique, d’Amérique, d’Eurasie, d’Australie, d’Inde, d’Arctique et d’Antarctique. Une partie est spécialement dédié aux oiseaux du monde, tandis qu’une gamme de papillons, de fragments de météorites et de fossiles vient compléter cet impressionnant catalogue. A noter que ces échantillons sont d’une grande valeur pour l’éducation scientifique des écoliers, mais peut également être source d’apprentissage pour le grand public.
Les armes et armures anciennes,
jusqu’au XIXe siècle en provenance d’Europe, d’Inde, de Perse, d’Afrique, d’Asie et du Japon. Elles reflètent l’évolution de la civilisation humaine ainsi que les distinctions culturelles des différentes régions du monde. Les collections d’armes à feu européennes ainsi que les épées et armures de samouraïs japonais sont particulièrement impressionnantes de part la qualité des pièces tout autant que leur quantité.
Conception et design des agencements et vitrines par Ian Ashdown, grand spécialiste de la restauration des armes et armures.
La peinture et la sculpture occidentale,
sont à l’honneur avec la plus grande collection privée asiatique. Elle regroupe des œuvres représentatives de toutes les périodes et écoles majeures de l’art occidental, de la Renaissance au baroque, du rococo au romantisme, c’est un véritable trésor qui est exposé ici avec une mention spéciale pour la peinture et sculpture française de la fin du XIXe siècle, la partie la plus marquante de l’empreinte française avec des chefs d’œuvres de Rodin, Claudel, Barye, Bourdelle, Degas, Dalou et tant d’autres… (1)
Othello
Bronze et marbre
Pietro Calvi (1817-1855)
Saint Martin et le Mendiant
Huile sur toile
El Greco (1540~1550-1614)
Faites venir à moi les enfants
Lucas Cranach le Jeune (1515-1586)
Charité
Huile sur toile
Jacques Blanchard (1600-1638)
La récolte des foins
Huile sur toile
Julien Dupré (1851-1910)
L’orage
Huile sur toile
Pierre-Auguste Cot (1837-1883)
La bénédiction des blés
Huile sur toile
Jules Breton (1827-1906)
Portrait de Madame De Blanzay
Huile sur toile
Alexis-Joseph Perignon (1806-1882)
“Les Trois Grâces” et “La Danse”
Plâtres
Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875)
Le Baiser
Taille originale – Fonte F.Barbedienne
Auguste Rodin (1840-1917)
L’abandon
Grand modèle – Fonte Eugène Blot
Camille Claudel (1861-1943)
Depuis 2010 un nouvel écrin est donc en construction pour les collections et son inauguration est prévue pour février 2015. Le bâtiment de style néoclassique sera comme l’ancien musée ouvert gratuitement au public. M. Wen-Long Shi l’a réalisé pour le peuple taïwanais avec en ligne de mire l’éducation artistique des ses concitoyens. Il sait que la contemplation de belle œuvres et objets est une étape fondamentale vers l’expression de sa propre créativité, une base nécessaire à l’épanouissement de chacun.
Cette volonté est marquée avec éclat dès l’entrée du parc, le visiteur sera accueilli par deux reproductions en bronze d’œuvres monumentales majeures d’A. L. Barye : « Thésée combattant le Centaure Biénor » et « Le lion au serpent » (2), puis 200 mètres après par la reproduction en marbre de Carrare du groupe le plus célèbre du parc du Château de Versailles : « Apollon guidant le char du soleil », réalisé à l’origine par J. B. Tuby en plomb doré (A noter que le choix du matériau à cette époque est dû à l’obligation de réaliser des économies royales).
La réalisation de la copie de ce groupe, d’un diamètre de 13 m et d’une hauteur de 3 mètres, m’a été confiée en 2008 en tant qu’ancien restaurateur au château de Versailles et de sculpteur (3).
Les modèles en plâtre sortit de mes ateliers au 2/3 de l’original, dignes du grand siècle, ont permis aux praticiens de la région de Carrare, l’atelier Franco Cervietti à Pietrasanta (4), de réaliser la mise au point à l’échelle 1.
Nous avons installés le groupe en marbre dans son bassin en janvier 2014 :
Passé ce second hommage au génie français, les cinq mille visiteurs journaliers devront franchir un pont de style romain en marbre de 190 m de longueur par 15 m de large. Le panthéon Grec posé sur les piliers, composé de 22 sculptures en marbre de Carrare (également réalisé par l’atelier Franco Cervietti), forme une haie d’honneur pour l’accès aux beautés occidentales exposées dans le musée.
Notes
(1) Ces informations sont également disponibles sur le site officiel du musée
et le Digital Violin Archive Project of Chimei Museum
(2) Le mécénat de la Chi Mei Foundation a offert à la ville de Paris une fonte en bronze identique de « Thésée combattant le Centaure Biénor » pour le monument de Barye sur l’île Saint-Louis. Je vous invite à consulter à ce propos l’article de Didier Rykner sur la Tribune de l’art.
J’aurais l’occasion de revenir sur ce sujet très prochainement, car « le lion au serpent » reviendra lui aussi, au pied de ce monument de Paris grâce au mécénat de la Chi Mei Foundation le 23 juin 2014.
(3) C’est ma seconde copie d’une œuvre du château de Versailles car j’ai réalisé en 1981 une table à gibier, en chêne sculpté et doré, qui fait pendant au même modèle d’époque XVIIème siècle dans la Galerie des Glaces.
(4) Pour découvrir d’autres réalisations de l’atelier Franco Cervietti à Pietrasanta : www.cervietti.com Franco Cervietti, dans une carrière à Carrare, sur le bloc de marbre de 36 tonnes ayant servit à la réalisation d’Apollon.Franco Cervietti et Gilles Perrault durant le fixage des mors à Pietrasanta en Toscane.
Photographies © Chi Mei Foundation
Photographies © Gilles Perrault
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